viernes, 22 de agosto de 2014

DANS LA COUR. (EN UN PATIO DE PARÍS, AHORA ESTRENO EN ESPAÑA)





« Tu es un splendide papillon. Ce sont tes ailes qui te rendent magnifique. » Traduction d'une chanson qui revient deux fois, signée du groupe des années 90, The Magnetic Fields. Ces paroles paraissent d'a­bord d'une grande ironie, étant donné que tous les personnages, fatigués et fragiles, sont loin de voler comme des papillons : ils s'enfoncent de plus en plus dans leurs angoisses et leurs idées noires. Et puis le ciel est bas, au-dessus de cet immeuble de l'Est parisien sans aucun charme. Pourtant, il s'agit bien de ça : une beauté aérienne, ­funambule, irradiante, que le film finit par libérer, on ne sait comment.
De toutes les comédies de Pierre Sal­vadori (lire ci-contre), Dans la cour est la plus étrange, la plus risquée. Cet admirateur de Lubitsch a l'habitude d'inscrire ses héros dans des scénarios solidement construits. Il semble, cette fois, les suivre, dans des virages non contrôlés, des errances qui tournent à la dérive, et jusqu'au bord de gouffres d'une profondeur insoupçonnée. D'emblée, rien ne va plus pour Antoine (Gustave Kervern), musicien démissionnaire vidé de toute énergie, qui s'improvise gardien d'immeuble sur les conseils de Pôle emploi. Quant à Mathilde (Catherine Deneuve), retraitée dévouée mais anxieuse, elle passe ses insomnies à inspecter des fissures, évolutives croit-elle, dans ses murs et ses plafonds, prémices de terribles catastrophes, elle en est sûre.
Bref, c'est aussi drôle qu'alarmant quant à l'état de nos pauvres cerveaux. D'au­tres habitants de l'immeuble manifestent l'un une apathie carabinée doublée de kleptomanie (justifiée, selon lui, par la crise), l'autre des obsessions sécuritaires pathologiques. Sur toutes ces névroses dans l'air du temps, Pierre Salvadori propose des variations subtiles, aiguës, qui le rapprochent, un moment, du Woody Allen de Blue Jasmine. Mais un Woody Allen qui aurait encore de l'empathie et de l'amour pour ses personnages suppliciés.
A rebours de toute recette comique, le cinéaste retient alors pour seuls fils conducteurs la dépression du con­cierge apprenti, la déraison de la retraitée débutante, et l'alchimie entre les deux. Il n'est pas question d'attirance (il faut être un minimum en forme pour ça), mais seulement d'entraide, fût-elle inefficace. Elle lui prépare des ­endives au jambon qui le confortent dans sa morosité, son absence d'ap­pétit. Il l'assiste dans l'organisation d'une assemblée générale extraordinaire de la copropriété, où elle entend faire partager ses terreurs les plus saugrenues — tout à fait rationnelles pour elle. D'où une litanie de gags fêlés, voire bouleversants : le film nous apprend que c'est possible.

 Au bout du compte, Antoine et Mathilde ont un petit quelque chose des frère et soeur de Love Streams, de John Cassavetes, dans leur usure, leur désespoir burlesque, son envie à lui de s'enivrer, son besoin à elle d'aider. Une scène en particulier brille de cet éclat borderline propre au cinéaste américain disparu : ils sont en visite improvisée dans la maison d'enfance de Mathilde à la campagne, et la voilà qui perd tout contrôle et toute courtoisie face aux nouveaux occupants, simplement parce que plus rien n'est con­forme à ses souvenirs...
Gustave Kervern et Catherine Deneuve en alliés no future, il fallait y penser. La douceur épuisée du pilier de Groland (devenu réalisateur, avec Benoît Delépine) épouse idéalement la fébrilité de sa partenaire. Entre leurs deux personnages se jouent des questions plus graves que dans la majorité des comédies à la française : qui secourt qui ? Qui peut sauver l'autre ? Et aussi : le cinéaste saura-t-il sortir par le haut de sa cour des débâcles ? Il saura. In extremis, après des réalisateurs aussi différents que Philippe Garrel (dans Le Vent de la nuit) et Christophe Honoré (dans Les Bien-aimés), Pierre Salvadori prouve encore que rien ne vaut la voix off de Deneuve pour donner à un film sa plus belle inflexion romanesque. — Louis Guichard

Généalogie d'un film
De Cible émouvante (1993), son premier long métrage, à Hors de prix (2006), son plus grand succès public, Pierre Salvadori est un auteur de comédies singulier : tous ses films, même les plus calibrés, véhiculent les mêmes tourments, la même difficulté d'être. Pour lui, faire rire n'est pas renoncer à témoigner des expériences humaines les plus secrètes et douloureuses. Ce n'est pas un hasard s'il a donné à Guillaume Depardieu l'écorché quelques-uns de ses plus beaux rôles, notamment dans Les Apprentis (1995). Dans la cour évoque, par ses détours mélancoliques, un autre portrait de femme un peu folle : Comme elle respire (1998), où Marie Trintignant, menteuse manipulatrice en apparence, se révélait une innocente, à qui la réalité ne pouvait suffire.

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