sábado, 27 de agosto de 2016

LA STYLISTE SONIA RYKIEL, CRÉATRICE D’UNE MODE LIBRE ET INSOLENTE, EST MORTE

Icône de Saint-Germain, la créatrice de mode qui s’est fait connaître avec ses tricots est morte jeudi à l’âge de 86 ans. Elle avait ouvert sa maison en 1968.

Robe noire absolue sous une chevelure rousse incendiaire, la silhouette de Sonia Rykiel manquera à Saint-Germain-des-Prés, où elle avait établi sa maison de couture. Quintessence de la femme française et de l’esprit rive gauche, la créatrice de mode qui prétendait avoir saupoudré la Tour Eiffel de strass, est morte le 25 août, à l’âge de 86 ans.
Sonia Rykiel avait traversé quarante ans de mode en dessinant pour « la femme-plaisir, la femme-travail, la femme-pouvoir et la femme-désir » des vêtements à l’élégance sexy et nonchalante, pimentés d’humour.
Ses défilés avec des mannequins souriant se prenant par la taille détonnaient dans l’univers souvent distancié et froid de la mode. Ils ressemblaient à une fête donnée par « une ribambelle de sœurs, avec quelque chose de très joyeux, et cela reflète sa vie », avait relevé son amie, la photographe Dominique Isserman dans le magazine Elle.


Lire notre portrait de 2013 : Sonia Rykiel, la maille au corps
Tricots et rayures comme marque de fabrique
La vie de Sonia Flis, née le 25 mai 1930 dans une famille bourgeoise russo-roumaine, à Paris, aurait pu ressembler à un long fleuve tranquille. Aînée de cinq filles, elle joue d’abord le rôle du garçon manqué puis celui de petite mère.
Jeune fille, sa seule ambition était, dira-t-elle, d’avoir dix enfants. Mariée en 1954 à Sam Rykiel, notamment propriétaire d’une boutique de mode (« Laura », près de la porte d’Orléans, à Paris), elle donne naissance, l’année suivante, à Nathalie, puis en 1961 à Jean-Philippe. Mais Sonia Rykiel va épouser plus sûrement les années 1960 et l’esprit de Saint-Germain-des-Prés, libertaire et poétique.
En 1962, alors qu’elle tient la boutique de son époux, elle se fait tricoter un petit pull moulant qu’elle porte en version étriquée, sur sa peau nue. Une amie, journaliste de mode, s’empare du modèle et publie en couverture de Elle la photo du Poor Boy Sweater. En quelques mois, Sonia Rykiel devient la reine du tricot, qu’elle a réinventé sans avoir jamais appris à manier des aiguilles. « Peut-être que j’avais du talent ? », s’est-elle souvent interrogée.
Le 5 mai 1968, la jeune femme, divorcée, ouvre sa propre boutique, rue de Grenelle, à Paris, où elle vend les robes qu’elle a dessinées pour de futures mamans. Sur ses pulls, elle écrit les mots « Heureuse », « Sensuelle », « Mode », « Lui »…
Ses créations, libres et insolentes pour l’époque, séduisent des femmes aussi émancipées qu’elle, comme Catherine Deneuve, Jacqueline Onassis ou Lauren Bacall. Les tricots, les rayures, les jupes sans ourlet, les coutures apparentes vont devenir sa marque de fabrique, ainsi que le velours et le strass. « Comme je ne savais pas car je n’ai jamais appris, j’ai fait autrement, j’ai fait à ma manière : pas d’ourlets, des pulls à l’envers, pas de doublure, des superpositions… »

La « démode » : sa façon de voir les choses
Dans les années 1960 et 1970, cette liberté de ton fait mouche. A bas les diktats : il faut « oublier les couturiers, faire la mode avec son corps à soi, son esprit à soi, cacherce qu’on a de laid et exalter ce qu’on a de beau », recommande celle qui défendra très tôt et jusqu’au bout le port du pantalon comme principe d’égalité « non pas avec les hommes, mais avec celles qui ont de belles jambes ». Elle appelle sa façon de voir les choses et d’aborder le métier la « démode ».
Le succès va grandissant. En 1973, Sonia Rykiel devient vice-présidente de la Chambre syndicale du prêt-à-porter. En 1977, elle est la première à dessiner des modèles pour le catalogue de vente par correspondance Les Trois Suisses. L’entreprise familiale se diversifie dans les parfums, la mode enfantine, masculine, les accessoires et les chaussures.
La mode, à laquelle elle s’était convertie par hasard, cette activité « pas pensable dans une famille bourgeoise », est devenue une affaire sérieuse. « Ce que je faisais était plutôt pour une femme politique, intello, pas du tout en accord avec la mode finalement. Et c’est ce que ces femmes-là voulaient. J’ai donc décidé de continuer ; je suis entrée en mode comme cela », explique Sonia Rykiel dans Le Jour d’avant, un documentaire réalisé par Loïc Prigent.
Sur les parts sombres de son existence – la guerre vécue adolescente, dans une famille juive, son fils musicien né aveugle, la maladie de sa mère… –, elle ne s’étend guère. Elle préfère contournerinventerjouer des rôles. Tous ceux qui lui permettent d’opposer le rire, le désir, l’excès, l’amour, la pensée, à une médiocrité ignorante, grise et étriquée.
« J’aime cette femme qui doit affronter de plus en plus la vie. Je me dois de continuer de l’habiller. Elle a besoin de bonheur et de tendresse. Et d’humour, c’est mon geste », confie Sonia au magazine Elle en 2008. Mégalomane et égocentrique un jour, la créatrice peut devenir fragile et vulnérable le lendemain, selon sa fille, Nathalie Rykiel, qui disait de sa mère : « C’est ma merveille. »


 Jouisseuse infatigable
Vouant un culte aux livres, qu’elle dévore, Sonia a illustré des romans de Colette, écrit et édité de la littérature et parsemé d’ouvrages ses vitrines de mode. Avec le sculpteur César, elle imagine le bar de l’Hôtel Crillon, décore aussi le Lutétia, reliant mode, art et littérature.
Ses amies sont des femmes indépendantes et rebelles, étourdissantes aussi, tout comme elle : la comédienne Anouk Aimée, la photographe Sarah Moon, les écrivains Nathalie Sarraute, Hélène Cixous ou Madeleine Chapsal.
Avec Régine Deforges, elle signe un livre illustré par Claire Brétécher, Casanova était une femme (Calmann-Lévy, 2006). Karl Lagerfeld s’est pris d’amitié très tôt pour elle. Robert Altman, pour son film Prêt-à-porter, a posé ses caméras dans sa maison de couture.
Jusqu’à la fin, cette séductrice disait apprécier « tout ce qui pimente la vie  un bon saint-émilion, du chocolat noir et des hommes ». Elle regrettait de ne pas pouvoirtéléphoner à ses amis, César, Jean-Claude Brialy, Philippe Noiret ou Marc Chagall, trop tôt disparus.
Ou encore à Andy Warhol, qui a fait d’elle un tableau où elle apparaît yeux verts et teint pâle auréolée de sa célèbre crinière. De ses cheveux roux, qui lui valaient d’être traitée de « sorcière » lorsqu’elle était enfant, elle avait su faire « une attraction, un pôle en plus », son étendard. Car en fait, la sorcière était une magicienne, élevée au rang de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2012.

A 80 printemps passés, Sonia Rykiel apparaissait encore au premier rang des défilés de sa maison, dont elle avait confié les rênes à sa fille, Nathalie (en 2012, l’entreprise est devenue la propriété du chinois Fung Brands).
Mais elle a pourtant, ces deux dernières décennies, combattu la douleur avec acharnement. A la fin des années 1990, les médecins lui découvrent la même maladie que sa mère. « Un p. de P. », comme elle l’appelle (« putain de Parkinson »), qui lui vole lentement son corps, son esprit et la vedette.
Elle en a parlé magnifiquement dans le livre cosigné en 2012 avec la journaliste Judith Perrignon (N’oubliez pas que je joue, éd. L’Iconoclaste). C’est d’ailleurs dans ce récit doux comme une confidence et déchirant comme un cri que Rykiel la jouisseuse infatigable, l’icône de Saint-Germain, l’actrice de sa propre vie, dit : « Plus tard, lorsque je ne serai plus la même, j’offrirai des cocktails sublimes dans des verres superbes. Je serai jeune longtemps, je ne me laisserai pas happer par la vieillesse, je me battrai, me transformerai, je ne crois ni aux potions, ni aux massages, je ne crois qu’à l’allure, au déplacement du dos, de la tête, je deviendrai un symbole. » Elle ne mentait pas toujours.


http://www.lemonde.fr/m-styles/article/2016/08/25/la-couturiere-sonia-rykiel-est-morte_4987763_4497319.html

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