Rescapée de la Shoah
et passeuse de mémoire, magistrate et femme politique, Simone Veil s’est
révélée dans tous ses combats une femme digne et profondément humaine
DAHLIA PEREZ
Pierre-François
Veil, son fils, a bien voulu évoquer pour le Times of Israël, son rapport à
Israël, mais aussi son engagement politique, en faveur de l’interruption
volontaire de grossesse (IVG), puis pour l’Europe, nous livrant ainsi, à la
lumière aussi de souvenirs personnels, les clés d’un parcours singulier et
hors-norme. Devoir de mémoire, fragilités sociales, libertés individuelles,
dignité humaine : Simone Veil a mené une vie de combats.
A l’occasion de la
Journée Mondiale de la Femme qui aura lieu le 8 mars, le Campus francophone du
Collège Académique de Netanya lui rend hommage. Retour sur un parcours
exceptionnel.
Parmi les
intervenants, citons Maître Pierre-François Veil, le fils de Simone Veil, qui a
répondu présent. Cadet d’une fratrie de trois enfants, le jeune homme a
intégré, après une enfance heureuse, l’Institut d’études Politiques de Paris
avant de devenir avocat en 1979. Rare dans les médias, en dépit de sa célèbre
filiation, il est connu pour avoir défendu en 2011 l’ancien ministre de la
Culture Renaud Donnedieu de Vabres dans le cadre de l’affaire Karachi.
Apprécié pour ses
qualités de négociateur et sa discrétion, Pierre-François Veil s’investit
depuis des années pleinement dans la vie associative, en œuvrant notamment pour
un meilleur enseignement de la Shoah dans les écoles françaises.
C’est votre première
visite en Israël ? Avez des liens avec le pays ? Dans quel état d’esprit
êtes-vous à quelques jours de votre venue ?
Pierre-François Veil
: Je suis venu en Israël la première fois en 1971. j’y ai passé également près
d’une année entre 1972 et 1973. Depuis, je viens très régulièrement, deux à
trois fois par an, pour des raisons professionnelles ou amicales.
Personnalité au
destin exceptionnel, votre mère est la femme politique dont la légitimité est
la moins contestée, en France et à l’étranger. Savez-vous comment elle est
perçue, ici, en Israël ?
A vrai dire je ne le
sais pas très bien, non. Dans la plupart des cas on ne connaît des autres pays
que les personnalités politiques majeures ou qui ont eu un rôle international.
Ça n’a jamais été le cas de Maman. J’imagine qu’elle est plutôt connue comme une
personnalité qui a eu un rôle très important sur le plan d’un positionnement
moral et éthique, plus que directement politique et lié aux affaires
internationales.
Il est vrai que la
fonction qu’elle a exercée de première présidente élue au suffrage universel du
Parlement européen lui a probablement donné une assez forte notoriété
internationale.
Parlons déjà de
Simone Veil, rescapée de la Shoah et passeuse de mémoire. Votre mère a dit je
crois qu’après son retour en France, elle était prête à parler et à témoigner,
mais que presque personne ne voulait entendre ce qu’elle avait à dire. Comment
ce passé était-il évoqué dans la sphère familiale ? A quel moment avez-vous
appris vous-même que votre mère était une ancienne déportée et une survivante
de la Shoah ?
D’abord, je crois
qu’il faut remettre les choses dans une certaine chronologie. Le retour des
camps s’est fait en 1945. Je suis né dix ans plus tard. Par conséquent, quand
la question a commencé à se poser pour un petit garçon de l’âge de neuf ou dix
ans, on était déjà vingt ans après le retour des camps.
Effectivement dans
mon enfance, j’ai toujours su que notre mère avait été déportée, j’ai toujours
connu son histoire. Quand on a huit ou douze ans, on n’en connaît pas le détail
et les éléments comme on peut les connaître à vingt ans ou même après.
Chaque fois que je
partais en vacances avec ma mère ou qu’on allait à la piscine, je voyais
qu’elle avait un numéro sur le bras. Par conséquent c’est quelque chose qui a
toujours été dans ma vie. Encore une fois, on est quinze ou vingt ans après le
retour.
Juste après la
guerre, peut-être parce qu’il y avait la construction de l’Europe, parce qu’il
fallait regarder devant soi, personne ne voulait replonger dans ce qui s’était
passé. Peut-être la culpabilité aussi, sûrement tout un tas de raisons. C’est
vrai que ça n’a intéressé personne.
Mes frères et moi
savions. Cela faisait partie de notre histoire. C’est quelque chose dont on
parlait peu dans les familles juives. Soit parce que les familles avaient totalement
disparu, soit parce que dans celles ou une ou deux personnes avaient été
déportées et ou d’autres avaient échappé aux rafles, on n’avait pas envie d’en
parler.
C’était trop lourd
et il fallait regarder devant soi. Il y a un certain nombre d’œuvres de
littérature et de films qui sortent maintenant sur le sujet, et qui montrent
que personne en réalité ne voulait en parler, pour des raisons très
différentes. Les uns par culpabilité, les autres par honte. Pour regarder
devant, pour survivre et aussi se reconstruire…
Le 18 novembre 2007,
votre mère reçoit le prix Scopus de l’université hébraïque de Jérusalem des
mains de l’écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy. Quel est son rapport à
Israël ?
C’est un rapport
très fort et très intime. Au retour des camps ma mère avait rencontré un
certain nombre de déportés d’Europe Orientale, pour lesquels le yishouv,
l’existence d’un foyer juif en Palestine et le combat pour un futur pays,
Israël, étaient un avenir certain. Elle nous a toujours dit que pas un instant
elle n’avait imaginé aller en Israël, y compris après la déportation.
Elle a toujours été
française, et française totalement.
Néanmoins, son
attachement à l’État d’Israël est un attachement encore une fois extrêmement
intime et extrêmement fort ; un de mes plus vieux souvenirs d’enfance date du 5
juin 1967. J’avais treize ans mais c’est un souvenir très précis, lié je crois
au fait que mes parents avaient acheté la première télévision familiale
quelques mois auparavant. Notre mère était magistrate à l’époque, elle rentrait
déjeuner à la maison avec nous.
Je la revois, le 5
juin 1967, regardant les premières images qui arrivaient du Sinaï à la
télévision. Elle était en larmes, avec un sentiment extrêmement fort et marqué
de menace pour la pérennité de l’État d’Israël. C’était pour elle un drame
épouvantable.
Je cite
Bernard-Henri Lévy qui la décrit comme étant « l’Européenne qui, avec Primo
Levi, nous a enseigné à ne pas céder sur le devoir de mémoire. » Comment votre
mère vit-elle le fait qu’aujourd’hui la Shoah soit devenue si difficile et
tabou à enseigner dans certaines classes en France ?
La situation que
vous décrivez est préoccupante. En même temps, je pense qu’il faut faire
attention au vocabulaire qu’on utilise. Il y a peu de temps encore, au dîner du
Crif, le Président de la République a rappelé qu’il était impératif que
l’enseignement de la Shoah soit dispensé sans difficulté dans toutes les écoles
de France. La plupart des enseignants s’efforcent de le faire, alors qu’on sait
bien qu’il y a des difficultés, des collèges et des classes dans lesquels c’est
plus difficile qu’ailleurs.
C’est évidemment une
situation inquiétante parce qu’elle révèle chez les enfants qui s’opposent à
cet enseignement une sorte d’amalgame et de confusion de la pensée qui est
extrêmement préoccupante. Beaucoup d’organismes en France font des efforts
constants pour que l’enseignement de la Shoah puisse être d’abord transmis et
ensuite développé.
Encore ce matin,
dans d’autres fonctions, je me suis efforcé de finaliser des programmes pour
des professeurs que nous allons envoyer en formation à l’École internationale
de Yad Vashem. Des efforts qui participent à l’approfondissement de
l’enseignement de la Shoah en France et je pense que c’est très important.
Quel message votre
mère voudrait transmettre selon vous aux jeunes générations d’aujourd’hui, à la
jeunesse française ? Et de quelle manière son vécu, son parcours politique et
ses écrits nous parlent, à la lumière de l’actualité ?
Il me semble qu’à la
lumière de l’actualité, ce qui compte c’est de ne pas se laisser emporter par
la passion mais de toujours exercer sa raison et son regard critique sur les
idées admises et démagogiques qui sont présentées à ces jeunes, et données en
perspective de lendemains qui chantent.
Depuis toujours,
notre mère a toujours été très attachée à la culture et à l’éducation. Des
valeurs essentielles à transmettre aux jeunes pour qu’ils soient capables
d’affronter des situations imprévues. Ceci afin de leur donner les moyens de la
réflexion, et la possibilité de faire des choix qui préserveront les valeurs
que la France a été la première a apporté au monde : la tolérance, la
fraternité, l’humanité, les valeurs essentielles de la démocratie.
Je voudrais à
présent évoquer la loi Veil. En 1974, votre mère présente au Parlement le
projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui dépénalise
l’avortement. Ce combat lui vaut à l’époque des attaques et des menaces de la
part de l’extrême droite et d’une partie de la droite parlementaire. Vous aviez
20 ans à l’époque. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
C’est vrai que ça a
été un combat parlementaire et un débat très dur, parce qu’il y allait des
convictions individuelles de chacun. Et du reste, il faut se souvenir que les
groupes politiques n’avaient donné aucune instruction formelle de vote
parlementaire, laissant à chacun la possibilité de voter en vertu de ses
propres convictions personnelles sur le sujet, qu’elles soient religieuses ou
éthiques.
Pour autant, il y a
un certain nombre de gens qui n’ont pas manqué de manifester au-delà de leurs
convictions des expressions de haine absolument intolérables. C’est vrai qu’il
y a eu des moments difficiles, des courriers d’insultes, des inscriptions en
bas de la maison et des menaces. Franchement, le souvenir que j’en ai en ce qui
concerne Maman est qu’elle restait absolument imperturbable. Ça ne l’a pas
troublée un instant, peut-être même, mais je ne peux pas l’affirmer, ça n’a
fait que renforcer sa conviction que cette loi qui, encore une fois, instituait
une dépénalisation de l’avortement clandestin ne faisait que résoudre un
problème de santé publique. Comme elle l’a dit au début de son discours le 26
novembre 1974 à la tribune de l’Assemblée Nationale, et elle n’a jamais changé
d’avis là-dessus, aucune femme, jamais, n’envisage avec bonheur une
interruption volontaire de grossesse. C’est toujours un drame et je pense que
c’est pour elle une conviction absolue.
C’était aussi la
nécessité de régler d’abord un problème de santé publique, et d’ordre public
alors qu’il y avait, il faut s’en souvenir, pratiqués en France alors que
c’était interdit, 350 000 à 400 000 avortements clandestins par an. C’était une
situation à laquelle les pouvoirs publics devaient mettre un terme. Il n’y
avait pas le choix.
Il fallait affronter
une situation où le cadre juridique était complètement dépassé, face à cette
réalité sociologique. C’est ce qu’a fait Maman, affronter cette situation avec
le soutien complet du président de la République et du gouvernement.
Devoir de mémoire,
fragilités sociales, libertés individuelles et dignité humaine comptent parmi
les combats que votre mère a menés durant toute sa carrière politique…
Diriez-vous que ce qu’elle a vécu à Auschwitz l’a forgée en quelque sorte au
combat ?
Si c’était Maman qui
parlait à cet instant, elle vous dirait que le souvenir qu’elle garde de la
Pologne reste très vivace en elle. Quel est le principal enseignement qu’elle
en tire ? La conviction absolue que l’Histoire peut-être tragique et que le
pire peut arriver. Et que par ailleurs, le meilleur de l’homme peut également
s’exprimer et que c’est toujours une question de choix.
La conviction
absolue que l’Histoire peut-être tragique et que le pire peut arriver. Et que
par ailleurs, le meilleur de l’homme peut également s’exprimer et que c’est
toujours une question de choix
Il n’y a pas de
fatalité, que ce soit dans les histoires individuelles ou dans l’histoire
collective ou nationale. Essayer de choisir en fonction de critères éthiques et
moraux reste absolument essentiel. Être lucide face aux situations telles
qu’elles sont, ne jamais accepter et exercer son filtre éthique et moral sur
les situations auxquelles on est confronté.
Votre mère est
nommée membre du Conseil constitutionnel en mars 1998. Elle sort de son devoir
de réserve en 2005, pour appeler à voter « oui » au référendum sur la
Constitution européenne. Pour votre mère où en est l’Europe aujourd’hui ?
Autour de quelles valeurs peut-elle encore se fédérer ?
Plus que se fédérer,
c’est plutôt se retrouver, à une époque où des menaces, y compris pour la paix
civile, semblent revenir. On a pu penser que les gens s’éloignaient de l’Europe
parce qu’elle a été construite comme un gage de paix et que maintenant cette
paix semble acquise, et qu’il n’y a plus de risques de confrontation entre les
pays. Mais ces risques n’ont pas totalement disparu. Ils existent toujours et
ils peuvent revenir.
Les égoïsmes
nationaux se manifestent, les frontières sont en train de revenir. Ça devrait
plus que jamais redonner à l’idée européenne la volonté d’un rapprochement
commun, de l’énergie pour montrer aux citoyens européens que c’est probablement
le seul moyen d’éviter à nouveau la résurgence de conflits graves.
Donc oui, l’Europe
devra rester un idéal. Pour cela, il faudra développer le sentiment
d’appartenance et donc d’implication de chacun dans une démocratie européenne
renforcée.
Votre mère a été
reçue sous la Coupole le 18 mars 2010, en présence du président de la
République Nicolas Sarkozy. Sur son épée d’Immortelle est gravée le numéro
matricule qui avait été inscrit sur son bras à Auschwitz, ainsi que les devises
de la République française et de l’Union européenne : « liberté, égalité,
fraternité » et « unis dans la diversité ». Comment votre mère vit-elle
aujourd’hui la vague d’attentats sans précédent qui a touché la France ces deux
dernières années ?
Comme tout le monde,
avec beaucoup d’inquiétude sur l’avenir, et le sentiment que l’Europe et les
démocraties sont confrontées à des défis qu’il faut relever. Elle ne doute pas
que ces défis seront surmontés, mais ils ne seront pas surmontés sans efforts
ni difficultés. Il faudra se battre.
Les élections
présidentielles approchent et Marine Le Pen est peut-être aux portes du
pouvoir. Comment votre mère vit-elle cette normalisation de l’extrême-droite ?
Vous savez, ma mère
est aujourd’hui une femme très éloignée de la vie publique. Mais comme tous les
gens de sa sensibilité politique pour lesquels la démocratie et les valeurs
d’humanisme de la République sont intimement liées, ce développement des
extrêmes est pour elle une source de grande inquiétude.
http://fr.timesofisrael.com/a-lapproche-de-la-journee-de-la-femme-le-fils-de-simone-veil-parle-de-sa-mere-et-de-ses-combats/?utm_source=A+La+Une&utm_campaign=4760ade2cf-EMAIL_CAMPAIGN_2017_03_05&utm_medium=email&utm_term=0_47a5af096e-4760ade2cf-55586581
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