sábado, 10 de noviembre de 2018

OPÉRA DE PARIS. L'AMOUR EST-IL UN PHILTRE ?


Regard sur L'Elisir d'amore
Par Tobie Nathan et Simon Hatab
C'est Donizetti - et à travers lui ce charlatan Dulcamara – qui avait raison : les philtres d'amour existent ! Et quand c'est un ethnopsychiatre aussi délicieux que Tobie Nathan qui nous l'affirme, on aurait tort de ne pas le croire.



Pour commencer cet entretien, je voudrais relever un paradoxe qui m'intrigue : vous exercez la fonction très sérieuse d'ethnopsychiatre et vous n'en avez pas moins intitulé votre livre Philtre d'amour. Comment le rendre amoureux ? Comment la rendre amoureuse ?

Tobie Nathan : Il y a une idée qui court depuis des siècles selon laquelle l’amour naîtrait naturellement entre deux êtres, charmés par leurs corps harmonieux, leurs doux visages ou leurs belles âmes. Le postulat du philtre d'amour, qui est à la fois le point de départ de mes recherches et celui de l'opéra de Donizetti, c’est affirmer le contraire : le désir de l'autre peut être déclenché par une action délibérée. Attention, je parle ici moins d'amour que de passion. Il existe deux mots différents en grec pour dire l'amour : Philia et Eros. Philia, c'est l'amour apaisé de ceux qui partagent leur existence depuis vingt ans. Eros, c'est la passion, avec tout ce que cela implique de bonheur mais aussi de souffrance, et c'est cette passion que l'on cherche à déclencher par le philtre. D’ailleurs, remarquez que, dans l'opéra de Donizetti, le créateur de l'élixir se nomme Dulcamara, ce qui signifie doux-amer.

Pensez-vous vraiment que l'on puisse déclencher la passion amoureuse au moyen d'un philtre ?

Tobie Nathan : C’est une idée qui paraîtra provocatrice à certains, délirante peut-être. Mais elle n'en hante pas moins toute notre culture depuis l'Antiquité. Les Grecs avaient une expression pour désigner tout objet qui permettait de manipuler quelqu'un : ils parlaient « d'objets de contrainte ». Si vous trouvez ridicule l'idée qu'un objet permette de contrôler quelqu’un, regardez ce téléphone portable que vous avez posé sur la table : voici un objet que vous gardez en permanence avec vous, qui vous relie à une personne – en vérité à une multitude de personnes ! – et qui vous contraint à de nombreuses actions. Il s'agit d'un objet de contrainte.

À quand remonte l'apparition de ces « objets de contrainte » ?

Tobie Nathan : Dans l’Antiquité, on retrouve des traces de ces fameux objets, souvent des poteries. Les Grecs, que l’on imagine toujours fascinés par la rationalité, croyaient beaucoup en ce type de manipulation : on trouve de nombreux cas de procès où les gens prétendent avoir été victimes d’un de ces objets. Certains accusés allaient jusqu'à être emprisonnés. Les Grecs les avaient sans doute empruntés aux Mésopotamiens qui les avaient eux-mêmes empruntés aux Égyptiens. Il faut dire que ce sont des « techniques », et que la technique est ce qui circule le plus naturellement d’une culture à l’autre. Au Moyen-Âge, ils connaissent une grande fortune. Un dénommé Albert le Grand signe au XIIe siècle un traité très officiel de recettes magiques qui est parvenu jusqu’à nos jours : c’est le genre de livre que l’on trouve encore chez les bouquinistes, sur les quais de Seine. Il contient une recette fameuse pour rendre n'importe qui passionnément amoureux de vous…

https://www.operadeparis.fr/magazine/lamour-est-il-un-philtre

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