sábado, 18 de julio de 2020

ELLE A DIT, AUGUSTA HOLMÈS: "QUE C’EST DUR, L’AMBITION"


Compositrice reconnue par ses pairs à la fin du XIXe siècle, elle se rêvait en Wagner français et fut même choisie pour célébrer les 100 ans de la Révolution française en 1889. Occultée par la postérité comme beaucoup de ses consœurs, elle bénéficie aujourd’hui d’une redécouverte amplement méritée.

Il est 20 heures, le 11 septembre 1889, quand le rideau s’ouvre à l’intérieur du Palais de l’Industrie, à deux pas des Champs-Élysées. Sous la nef monumentale du bâtiment édifié en 1855, une scène éphémère de 60 mètres de profondeur sur 20 mètres de large et 30 mètres de haut a été dressée. Il faut bien cela pour accueillir le décor panoramique imaginé par les peintres Lavastre et Carpezat figurant les montagnes et les forêts de France, face à 400 musiciens dirigés par le chef Édouard Colonne. Dans la salle, vingt mille spectateurs s’apprêtent à découvrir l’Ode triomphale imaginée par Augusta Holmès pour commémorer le centenaire de la Révolution. Âgée de 42 ans, la compositrice a réglé les moindres détails, texte et partition, de cette production pharaonesque dont le coût se chiffre à 300 000 francs-or. À la fin de ce spectacle hors norme, 1 200 choristes entourés par des jets de lumière entonnent l’hymne final: "Gloire à toi, liberté, Soleil de l’Univers."


Le lendemain de la première des trois représentations prévues, la presse est unanime, et le musicien Camille Saint-Saëns s’enflamme dans les colonnes du Rappel: "Il fallait plus qu’un homme pour chanter le centenaire; à défaut d’un dieu impossible à rencontrer, la république a trouvé une muse." Quelques années plus tard, Augusta Holmès sera la troisième femme, après Élisabeth Jacquet de La Guerre, auteure d’un Céphale et Procris, et Louise Bertin, créatrice d’une Esmeralda, à être programmée sur la scène de l’Opéra de Paris.

S'émanciper pour mieux triompher
Pourtant, dès le début du XXe siècle, les ouvrages historiques font à peine allusion à la place qu’elle occupa dans la vie musicale de l’époque. Si elle n’est pas la seule femme artiste à avoir pâti de cette mémoire sélective, Augusta Holmès, femme dans un milieu artistique essentiellement masculin, fut aussi un esprit libre au cœur d’une époque qui tolérait mal les écarts. "Placée par sa naissance dans la classe élevée d’une société parfaitement structurée, Augusta en a rejeté les codes et a vécu à la frange", résume ainsi sa biographe Michèle Friang*.

"Le 16 décembre 1847 naquit à Versailles une enfant dont les ancêtres avaient été rois d’Irlande. Cette enfant était, comme celles des contes de fées, merveilleusement belle." Pour rédiger l’oraison funèbre de celle qui fut sa belle-mère, l’écrivain Henri Barbusse n’hésite pas à enjoliver légèrement son ascendance. Fille d’un ancien officier de cavalerie irlandais et d’une descendante de clan écossais, Augusta grandit dans un milieu érudit et original. Elle puise à volonté dans les 12 000 volumes de l’immense bibliothèque rassemblée par son père dans son hôtel particulier à deux pas du château et parle couramment, à 12 ans, l’italien, l’anglais et l’allemand. Elle étudie la peinture et le piano, et bientôt l’harmonie et l’orgue. À 16 ans, elle fréquente assidûment l’un des salons littéraires de Versailles où l’on peut croiser les poètes Cazalis et Vigny –par ailleurs parrain d’Augusta– et les musiciens Gounod et Saint-Saëns.



Courtisée par plusieurs hommes, elle préfère Catulle Mendès, avec lequel elle aura cinq enfants. © Culture Club/Getty Images

La beauté de sa chevelure blonde et de sa voix subjugue bon nombre de ses fréquentations masculines, de Frédéric Mistral à Saint-Saëns en passant par César Franck et Franz Liszt, qui en dépit de son âge ne reste insensible ni à sa musique ni à ses charmes. "Chère Maestra, en comparaison de votre Astarté, les œuvres des compositeurs les plus osés ne sont que bagatelles de pensionnats de jeunes filles", lui écrit-il avec enthousiasme en 1872, alors que plusieurs de ses œuvres ont déjà été produites sur les scènes parisiennes.

Parmi tous ses soupirants, c’est sur le beau Catulle Mendès qu’Augusta jette son dévolu. Il est pourtant déjà marié avec Judith Gautier, la fille de Théophile. Qu’importe: Augusta va vivre avec lui une dévorante passion, couronnée par la naissance de cinq enfants qu’elle ne souhaite pas élever, trop occupée à travailler et à composer –à l’instar de Wagner, qu’elle a rencontré et fréquenté en Allemagne, elle écrira elle-même les textes des 180 mélodies que compte son répertoire.

Sa quête vers le succès
Plus scrupuleux à l’égard de sa progéniture, Catulle "trouve une solution aussi élégante que surprenante: il fait reconnaître par son père, Tibulle Mendès, veuf, les enfants de sa maîtresse, devenant ainsi leur demi-frère et créant un bel imbroglio juridique."* Augusta, elle, préfère demander à Mallarmé de garder ses enfants pour chanter ses mélodies dans le salon de la sulfureuse Nina de Callias, où l’on peut croiser Degas, Cézanne, Manet ou Charles Cros, mais aussi Verlaine ou François Coppée.

Mais la gloire et la liberté ont un prix. En 1881, la nouvelle création d’Augusta Holmès, Les Argonautes, remporte un véritable triomphe aux Concerts populaires, lançant définitivement sa carrière et réhabilitant ses pièces antérieures, tel ce Lutèce qui n’avait jamais été joué. "Que c’est dur, l’ambition", confie-t-elle pourtant à son amie Méry Laurent, modèle et maîtresse de Manet, inspiratrice de l’Odette de Crécy de Proust et future compagne de Reynaldo Hahn.



Les trois filles de la compositrice, peintes en musiciennes par Renoir dans ce tableau conservé au Metropolitan Museum de New York. © Heritage Art/Heritage Images/Getty Images

Exigeante avec elle-même, Augusta Holmès l’est aussi avec ses interlocuteurs, commanditaires ou interprètes, peaufinant jusqu’au dernier moment l’orchestration de ses pièces. En 1890, la ville de Florence lui commande un "Hymne à la paix" pour célébrer le 600e anniversaire de la mort de la Beatrice de Dante. Le triomphe remporté est à la mesure du travail colossal fourni par la musicienne. Comme le souligne Michèle Friang, "même auréolée de ses succès parisiens ou florentins, elle doit toujours batailler pour s’imposer."

Une femme qui réussit dans un monde d'hommes
À tel point que lorsqu’elle parvient, en 1895, à faire donner son opéra La Montagne noire sur la scène du palais Garnier, la presse se déchaîne sans ménagement. "Il semble que la composition musicale, j’entends la grande composition, ne soit décidément pas besogne féminine", juge le critique de la Revue des Deux Mondes. D’autres journalistes avaient pourtant auparavant loué le caractère "viril" des compositions d’Augusta.

Cet échec marque le déclin de sa carrière. "Elle a quand même réussi à faire jouer son opéra treize fois, et cette mauvaise réception ressemble fort à une cabale, souligne la soprano Aurélie Loilier, qui vient de lui consacrer un disque de mélodies judicieusement baptisé L’Indomptable**.

Si la vie d’Augusta est éminemment romanesque, il ne faut pas perdre de vue que son œuvre, tant par son ampleur que par sa qualité, mérite vraiment d’être redécouverte et jugée au delà des critères de genre." Le 28 janvier 1903, la compositrice meurt brutalement d’une crise cardiaque, dans une situation financière précaire et dans un relatif anonymat. Seul le don d’un riche Anglais permet de la doter, à Versailles, de la sépulture dont elle rêvait, dans laquelle une muse armée d’une lyre s’incline devant un médaillon à son effigie. Méditant pour l’éternité la devise qu’elle s’était choisie: "Ad augusta, per angusta": "Vers les hauteurs, par des chemins différents."

* Augusta Holmès ou la gloire interdite, par Michèle Friang, Éditions Autrement.
** Augusta Holmès, l’indomptable, Aurélie Loilier (soprano) et Qiaochu Li (piano), 1 CD, Maguelone.

Par Pauline Sommelet

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