miércoles, 19 de agosto de 2020

(TOUJOURS) YVES AVANT SAINT LAURENT




Il fut l’incomparable. Le sans pareil. Et il est toujours si difficile de parler de lui au passé. Raconter la vie de Monsieur Saint Laurent est la promesse de partir au royaume des fées où les démons ont des aiguilles. Tentons de dévoiler la chair du mystère qui nimbe encore un couturier unique. Commençons par le début…

Une photographie le représente, visage de pierrot lunaire, barré par d’austères lunettes qui ne parviennent pas à vieillir cet enfant-prince grandi trop vite. Il a l’air soucieux. Pour un peu, on pourrait prétendre qu’il a peur. Il a 21 ans. Pèse sur ses épaules l’avenir d’une maison, celle de Christian Dior décédé quelques mois avant d’une crise cardiaque à 52 ans.

La passation de pouvoir, entre le raminagrobis du ciseau et l’archange venu d’Oran s’est imposée en douceur. Yves Mathieu-Saint-Laurent était le plus doué des disciples et voilà tout. Le 30 janvier 1958 sera la date de son sacre. Au dernier modèle présenté de la ligne "Trapèze", nuque et épaules dégagées, le délire des applaudissements est tel qu’il annonce le mot qui résumera une vie: gloire. "La gloire et toi, vous ne vous êtes plus quittés", écrira Pierre Bergé.

"Le cher Yves" invente une nouvelle femme, audacieuse et forte
Robes du soir, tailleurs, robes de cocktail dessinent une allure droite et plaquée. Une nouvelle femme, audacieuse et forte, qui claque ses talons dans les rues de Paris, séduit, fascine et s’impose aux États-Unis. "Le cher Yves" est à part. Ce natif du Lion, ultranerveux, ultrasensible, emprunte aux enfants leurs caprices, leur blondeur, leur regard éperdu et lèche ses plaies en se cachant du monde. De ce milieu bourgeois qui l’a vu naître, il conserve la facilité de moyens, l’amour exclusif d’une mère, l’adoration de deux soeurs et l’incompréhension de ses condisciples.


Le jeune Yves Saint Laurent chez Dior en 1958, après sa nomination à la direction artistique de la Haute couture. Popperfoto/Getty Images
Yves adore peindre. Yves, qui veut être décorateur, habille ses soeurs et les amies de sa mère. Il envoie des dessins de mode au tout puissant directeur de Vogue, Michel de Brunhoff, qui lui demande d’abord de passer son bac. Bachot en poche, Yves tente le concours de la chambre syndicale de couture. Il gagne un prix, part pour Paris. Végète, déprime. Expédie 50 autres croquis à Monsieur de Brunhoff. Son talent éclate à un point tel qu’il le recommandera chaleureusement à Christian Dior. La première à être prévenue de la démarche? Une certaine Edmonde Charles-Roux, alors en
voyage en Italie…

Quatre ans et six collections plus tard, c’est le drame. Yves Saint Laurent doit partir sous les drapeaux. Il craque. Il est réformé après un séjour au Val-de-Grâce. La guerre d’Algérie fait rage. La presse se déchaîne, ne pardonne pas sa lâcheté à ce planqué. Marcel Boussac, l’homme le plus riche de France et propriétaire de la griffe, abandonne son poulain. À 25 ans, Yves perd sa place. Marc Bohan le remplace. Sur ce jeu tragique des chaises musicales, Pierre Bergé, calme et déterminé, veille.

Lancer la maison de Yves Saint Laurent a été pour Pierre Bergé "une évidence absolue"
Il a assisté, pour la première et dernière fois, au défilé Dior. Séduit, fou d’admiration, fou d’amour, il ne jure plus que par Yves Saint Laurent. L’homme qui a fait la carrière de Bernard Buffet quitte le peintre. Pour une maison de couture, celle qu’il va créer, quitte à vendre ses toiles du maître et son appartement de l’île Saint-Louis. Le mannequin vedette Victoire se souvient de ce deux pièces loué par Pierre. "Nous faisions comme si. Parce que si nous cessions d’y croire, tout serait perdu. L’heure est venue où Yves a dû choisir les tissus de la première collection qui serait présentée à la presse sous sa griffe, le 29 janvier 1962. On déjeunait d’un sandwich jambon-beurre et de champagne. On avait débauché quelques anciens de Dior, Claude Licard, responsable du studio, Denise Barry de Longchamp, première vendeuse, Gabrielle Buchaert qui s’occupait des relations avec la presse."


Des croquis aux essayages, Pierre et Yves, toujours… Derek Hudson/Getty Images
Pierre Bergé, suprêmement habile, distille les informations: oui, il se passe quelque chose, non, on ne peut pas encore montrer, oui, Zizi Jeanmaire a bel et bien été habillée par Yves Saint Laurent et les femmes adoreraient, enfin, si elles le pouvaient, porter cette robe-châle… Quatre-vingt-dix personnes rejoignent la maison: Pierre Bergé, qui sillonne Paris en Jaguar, a tout fait en très grand. En réalité, il cherche encore de l’argent. Élie de Rothschild a refusé d’investir. Paul-Louis Weiller, idem. La chance viendra des États-Unis. J. Mack Robinson est un homme d’affaires discret qui n’a jamais encore investi en France. Il a découvert le génie Saint Laurent dans le magazine Life. 700.000 dollars seront versés en trois ans. Une manne. Yves et Pierre respirent mieux. La suite s’écrira en lettres d’or.

Par Philippe Séguy,

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