miércoles, 14 de octubre de 2020

EXPOSITION "LUXES". MUSÉE-DES-ARTS-DECORATIFS, PARIS

 du 15 octobre 2020 au 2 mai 2021

À la suite de « Dix mille ans de luxe », conçue en partenariat avec le Louvre Abu Dhabi en 2019, le Musée des Arts Décoratifs présente « Luxes ». L’exposition propose un voyage à travers le temps et la géographie, alliant des moments de contemplation et des scansions plus monumentales, offrant à chacune des 100 œuvres présentées l’espace le plus pertinent pour la délectation et la compréhension. Le parcours, chronologique et thématique, ouvre deux lieux emblématiques pourtant habituellement fermés à la visite : le salon 1900, mémoire vivante de l’Exposition universelle de Paris, une commande du musée pour célébrer l’Art nouveau et les arts décoratifs français, et lesalon des Boiseries, dévoilant d’autres chefs-d’œuvre du décor européen, dont un incroyable lustre de Venini exposé à Paris en 1925, une salle généreuse où lire et rêver, en prenant le temps, face aux Tuileries et au rythme de la ville. Sensible et encyclopédique, sélective et historique, l’exposition offre ainsi, pour la première fois à Paris et au Musée des Arts Décoratifs, une certaine idée du luxe à l’usage du monde contemporain. La scénographie a été confiée à Nathalie Crinière et à son agence, avec la participation exceptionnelle de la Confédération européenne du Lin et du Chanvre.



Fondé en 1864 par les représentants des industries d’art qui devaient devenir plus tard ce que nous connaissons sous le nom d’industries du luxe, le Musée des Arts Décoratifs a, sans aucun doute, une légitimité particulière à proposer une exposition sur un tel sujet. Ses collections se sont constituées de manière rétrospective ou simultanée afin de défendre une certaine idée des arts décoratifs à la fois français et ouverts sur toutes les cultures artistiques, c’est-à-dire de l’art de vivre, de la créativité dans le domaine de l’objet, objet d’art ou objet de mode. En plus de 150 ans, il a su tisser des liens étroits avec les manufactures du XIXe siècle, comme avec ce qui en transmet l’héritage contemporain, les maisons du luxe français. Très tôt en ses rangs, des personnalités aussi remarquables que Charles Christofle ou Louis Cartier ont contribué à faire du musée, dans ses expositions comme dans ses collections, ce qu’il est aujourd’hui.

Sans se limiter à l’idée d’un luxe à la française, l’exposition « Luxes » s’emploie à donner à ce sujet si vaste, d’un point de vue anthropologique et culturel, toute son ampleur universelle, portée par un choix très serré d’œuvres ou d’ensembles d’œuvres, qui sont autant de moments cruciaux, témoins d’une évolution de la notion de luxe, de son emploi dans une civilisation donnée. Elle souligne des points moins connus du grand public pour lequel la notion de luxe est de nos jours très profondément définie par la présence massive des marques dans notre quotidien, mots-sésames du fantasme de la consommation, logos surreprésentés dans l’espace urbain, artères des métropoles ou aéroports d’un monde globalisé, en somme une nouvelle lingua franca à l’échelle de la planète. Si certaines maisons apparaissent dorénavant comme consubstantielles à l’idée même du luxe, l’idée force de l’exposition Luxes est de ne pas s’y réduire.


Coupe à emblema, Trésor de Boscoreale, Italie, 1er siècle avant J.-C. - 1er siècle après J.-C.Découvert à Boscoreale, villa Pisanella, en 1895© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

À travers siècles et civilisations, des objets insignes marquent une sorte de généalogie du luxe, commençant par la Perle d’Abu Dhabi, la plus ancienne au monde, fragile témoignage des premières sédentarisation, puis par les plus beaux exemples de l’Antiquité, cuiller à fard égyptienne ou pièces insignes du Trésor de Boscoreale. Faite de choix drastiques et de partis pris, l’exposition dessine une histoire du luxe qui pourrait être toute autre selon l’optique de commissaires différents.

Elle souligne l’aspect matériel et objectif de cette incarnation du luxe, cette patiente défense de savoir-faire transmis d’une génération à l’autre. Elle rappelle combien l’histoire de l’art en général, et l’histoire des arts décoratifs en particulier, est modelée par l’archéologie du luxe, les objets précieux conservés avec soin et transmis, qu’ils soient cachés dans la panique de l’éruption du Vésuve (Boscoreale) ou pieusement légués par les trésors princiers (coffret de Mangot). Notion mouvante et poreuse, le luxe s’incarne dans tant de réalités différentes, quelquefois façonnées de paradoxes radicaux.

Au XVIIIe siècle, l’effervescence décorative du luxe chinois offre un saisissant contraste au sentiment de l’épure si cher au luxe japonais, ces céramiques élémentaires, réparées avec délicatesse lorsqu’elles ont été brisées, à l’instar de la pratique du Kintsugi. Aux temps médiévaux, le luxe, ce sont les épices, le sel, les produits les plus répandus à notre époque.

À la Renaissance, une cuiller ouvragée épousant un coquillage de porcelaine est d’un luxe éblouissant et distinctif. Au XVIIe siècle l’Europe se ruine pour les tulipes…

Aux XVe et XVIe siècle, l’otium, le loisir des Romains, est une autre forme de luxe, quand le peuple lui n’a d’autre choix que de travailler : jeux de cartes d’un raffinement extrême, backgammon marqueté, mais aussi instruments scientifiques et manuscrits rares, tant le savoir est une forme de luxe en soi.


Charles Frederick Worth, Robe du soir en deux parties, Paris, vers 1885Satin de soie à décor façonné, tulle de soie, broderies de fils métalliques et paillettes or© MAD, Paris / Jean Tholance

C’est plus tardivement, au XVIIe siècle avec les manufactures royales assises sur le pouvoir et le rayonnement louisquatorziens, puis au XVIIIe siècle avec l’avènement des marchands-merciers, « marchands de tout, faiseurs de rien », habiles à créer des objets dont les clients raffolent même s’ils n’en ont guère besoin, que le luxe proche de son acception contemporaine s’épanouit, renforcé au XIXe siècle par les luttes artistiques qu’incarnent aussi les Expositions universelles où créativité et progrès technologique deviennent l’obsession des industries d’art en Europe, aux États- Unis mais aussi, déjà, en Asie. Au même moment, en révolutionnant l’idée de ce qu’est la mode, non plus une simple toquade de cliente, mais la signature, la griffe, qui impose un geste créateur en tant que tel, Charles Frederick Worth promeut la naissance de la haute couture.


 Malle Pullman, Duc de Windsor, Goyard, 1942© Goyard

Depuis lors, la fondation de nombreuses maisons de luxe et leur épanouissement tout au long du XXe siècle ont puissamment contribué à définir la place du luxe dans nos sociétés contemporaines, et à trop souvent l’y enfermer dans une vision consumériste et matérialiste. Toutefois, le siècle qui vient de s’écouler a prouvé combien le luxe a vu se renouveler encore ses visages : sophistication virtuose et préciosité maximale de l’Art déco, minimalisme de la petite robe noire de Coco Chanel et des marqueteries de paille de Jean-Michel Frank, le héraut de « l’étrange luxe du rien », la lenteur des paquebots palais des océans et l’art de voyager, etc.

 

En 2020, exposer le luxe, c’est nécessairement y montrer les échos et les battements du monde, nouvelle prise de conscience du vivant, du respect nécessaire pour le monde animal notamment, alors que pendant des millénaires certains matériaux, fourrures ou ivoires, étaient gages de prestige, de valeur et de luxe, renouvellement des inspirations et problématique de l’appropriation culturelle, notion de collaborations entre créateurs, valorisation des métiers d’art, résurgence des formes, renaissance de traditions du luxe malmenées par l’histoire de certaines nations, la Chine par exemple…


Karl Lagerfeld pour Chanel, Collection Métiers d’art, New-York Look 84, 2018© Chanel

En 2020, exposer le luxe, c’est aussi parcourir d’autres réalités du temps présent, non plus la possession matérielle à tout prix, mais le sentiment de la transmission d’un objet chéri et réparé, jamais jeté, non plus la course à la production, mais plutôt l’expérience, la liberté de mouvement, l’espace et le temps, et l’aspiration à se forger un luxe à soi, comme Virginia Woolf parle d’une « chambre à soi. »

Si, au fil des millénaires, les sens et la matérialité du luxe, ses usages et ses expressions n’ont cessé d’évoluer et de se transformer, force est de constater que le mot même de luxe fait dorénavant partie de l’environnement quotidien de nos sociétés contemporaines, pour le meilleur et pour le pire, qu’on le vénère et qu’on y aspire, qu’on le rejette ou qu’on le critique. En le remettant dans une perspective historique, culturelle et artistique, l’exposition « Luxes » se propose de donner des clés antiques comme actuelles, afin de comprendre ce qui fait du luxe l’incarnation la plus singulière et la plus symbolique de grands faits de civilisation à travers les millénaires et les continents.

À une époque où les maisons de luxe semblent tant avoir à dire sur l’art, la culture et les musées, sans doute les musées ont-ils des choses à dire sur le luxe et sa place dans l’art.

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