domingo, 30 de octubre de 2016

"THE YOUNG POPE" : "CERTAINS VONT ÊTRE CHOQUÉS", CONFIE UN PRÊTRE

Par Marion Galy-Ramounot
Jeune et beau, pur et détraqué, mystérieux et imprévisible, le Pie XIII de Paolo Sorrentino ne fera sans doute pas l'unanimité dans le monde chrétien. Le père Francis Ayliès nous éclaire sur la question.


On avait presque oublié son regard polisson et son îlot capillaire. Jude Law est de retour, et dans la série la plus scandaleusement prometteuse de cette fin d'année 2016. The Young Pope, écrite et réalisée par Paolo Sorrentino, est diffusée sur Canal + à partir du 24 octobre. Dix épisodes durant lesquels nous marcherons dans les mocassins rouges de Lenny Balardo, alias Pie XIII, premier pape américain de l'histoire. Parenthèse : Pie XIII n'a jamais existé, il sort tout droit de l'imagination du réalisateur italien. En proie à ses souvenirs dévorants et aux privilèges du pouvoir, Sa Sainteté va se révéler mélancolique et implacable, en proie aux doutes et particulièrement déterminé, accroc à la cigarette et au Cherry Coke Zéro. Une sorte de Frank Underwood en soutane, si vous préférez. Bref, ça va chauffer au Vatican. Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de la première série du réalisateur d'Il Divo, nous avons demandé au père Ayliès, prêtre du diocèse de Bordeaux, de visionner les deux premiers épisodes.

Lefigaro.fr/madame. — Verdict ?
Père Ayliès. — Je viens d'écrire un livre comme une sorte de recueil de mails adressés au pape François (1). Ce qui est sûr, c'est que je n'écrirais pas à celui-là. Il est trop peu à l'écoute ! Mais la série est incroyable en intelligence, en qualité d'image et de dialogues. On est toujours tenus en haleine : quel est le plan de ce pontife ? Est-il vraiment aussi radical ? Utilise-t-il son autorité pour lui ou pour un futur bien de l'Église ? Est-il un fou ou un vrai stratège ? Un démon ou un ange ? Y a-t-il un rapport avec l'Église actuelle ?! Autant de questions que l'on se pose au fil des premiers épisodes. C'est assez addictif, en fait.

Nous ne sommes pas dans le probable
Ce pape est jeune, beau, fumeur, réac, coquet... Mais est-il réaliste ?
Non, et c'est ce qui fait la génialité de la série. Nous ne sommes pas dans le probable, mais dans le divertisemment italien. Bien sûr, nous pourrions avoir un pape plus autoritaire, plus radical. Mais deux aspects, notamment, sont invraisemblables. Le premier est qu'il s'enferme dans le Vatican et qu'il vit en huit clos. Un pape ne peut pas être pape s'il n'a aucun lien avec ses fidèles et le reste du monde. Le second est qu'il se questionne sans cesse sur sa propre foi. Il se demande même parfois s'il n'est pas athée. Or un pape est un homme qui "dit" la foi. Il est absolument insensé d'imaginer un pape indécis, qui doute de l'existence de Dieu.

La série aborde les thèmes, tabous, de l'homosexualité dans la curie, la corruption, le pouvoir, l'ambition, le sexe... C'est choquant ?
Il y a, c'est sûr, des gens qui vont être choqués. Sorrentino complexifie chaque personnage. Et Pie XIII en particulier. Par exemple, dans un rêve, il prononce un discours dans lequel il promeut la masturbation et l'avortement ; le lendemain, il vire le préfet de la Congrégation pour le clergé parce qu'il est homosexuel ! Autre exemple, il reprend la tiare, symbole du pouvoir absolu, et, dans un même temps, il aide ses proches à vivre en conscience... Ce qui est plus intriguant que choquant, finalement, c'est que Sorrentino nous retourne le cerveau en nous dévoilant chaque personnage dans ses ambiguïtés. Et nous ramène aux nôtres !


Concrètement, la série va-t-elle plaire aux chrétiens ?
Elle ne plaira pas à ceux qui ne s'autorisent pas le second degré. Il faut la regarder sans a priori et ne surtout pas la voir comme un "pour" ou "contre", "pour" l'avortement ou "contre" l'homosexualité... Dans cette série, on ne parle presque à aucun moment de la religion chrétienne et de l'évangile. On parle d'un lieu de pouvoirs, et de secrets. Un lieu où tout le monde s'auto-protège. La radicalité politique de Pie XIII plaira certainement aux catholiques traditionnalistes parce qu'elle est l'antithèse de la ligne tenue par le pape François, jugée trop en compromission avec le monde contemporain. Cela dit, son style et certains passages torrides ne passeront pas.

Cette tendance me fait peur
"The Young Pope" vous a-t-elle fait réfléchir, vous, en tant que prêtre ?
Elle fait réfléchir sur l'acte de foi. Très souvent, dans la série, on voit Pie XIII se recueillir avec son confesseur sur les balcons du Vatican, face à la voie lactée, et s'interroger : est-ce que je crois ? En quoi je crois ? Pourquoi je crois ? Pourquoi je me suis lancé ce défi fou ? La série questionne aussi notre rapport au pouvoir. Comment est-ce que j'utilise, à mon niveau, le petit pouvoir que je possède ? Et quelle doit être mon attitude face à ceux qui exercent le pouvoir : liberté ou allégeance ? Je trouve que la série pose très bien cette question.

Paolo Sorrentino suggère que Pie XIII pourrait être « la prémisse, le germe d'un fondamentalisme catholique que nous excluons a priori, tout comme, il y a cinquante ans, nous aurions exclu le risque d'un fondamentalisme islamisque »...
Il est vrai que ce Pie XIII est représentatif d'une tendance pastorale très actuelle, qui préfère une Église élitiste à une Église de la compromission, qui accueille en elle le chemin plus sinueux de beaucoup d'hommes et de femmes du 21e siècle. Dans son premier discours papal, Pie XIII demande au peuple une adhésion totale à Dieu, sans compromis. Il est le pape de l'impératif, qui fait tout de suite le choix d'une autorité dictatoriale. Cette tendance me fait peur. Elle est le danger principal de toute religion.

(1)   Journal d'un curé de quartier, de Francis Ayliès, éd. Le Festin, 2016

http://madame.lefigaro.fr/celebrites/the-young-pope-interview-dun-pretre-certains-vont-etre-choques-211016-117422

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