domingo, 23 de septiembre de 2012

CECILIA BARTOLI Y DONNA LEON INVESTIGAN EL PERSONAJE POLIVALENTE DE AGOSTINO STEFFANI


ENTRETIEN - À travers un roman et un disque, Donna Leon et Cecilia Bartoli font revivre le compositeur baroque oublié Agostino Steffani.

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La star d'opéra Cecilia Bartoli publie un nouvel album, Mission, le 24 septembre, et la reine du polar Donna Leon un nouveau roman, Les Joyaux du paradis, le 3 octobre. Toutes deux ont choisi le même personnage: Agostino Steffani, mystérieux prêtre-compositeur de la fin du XVIIe siècle…

LE FIGARO. - Comment est née votre amitié?
Donna LEON. - J'ai interviewé Cecilia il y a des années. Nous nous sommes tout de suite trouvé des passions communes et nous avons commencé à nous fréquenter régulièrement pour parler de l'Italie, de pâtes, de musique. Nous sommes devenues amies.
Cecilia BARTOLI. - Donna est une amatrice éclairée du répertoire baroque, et notamment de Haendel pour lequel j'ai moi aussi une vraie passion.
De là à travailler de concert sur Agostino Steffani… Qui en a eu l'idée?
C. B. - Je plaide coupable. Je cherchais pour mon prochain album un compositeur né de la transition entre la Renaissance et le baroque. Je connaissais Steffani de nom, pour sa musique de chambre et quelques duos, qui étaient à peu près tout ce que l'on avait joué de lui. Je me suis donc procuré des copies sur microfilms de ses manuscrits conservés à Londres. Dès la première lecture, j'ai pris conscience du fabuleux compositeur d'opéras qu'il avait été.
Dans le livret du disque, il est comparé à Haendel…
C. B. - Haendel a même utilisé certaines de ses mélodies dans Ariodante ouTheodora. Ce type de citations ou d'hommage était l'usage à l'époque.
D. L. - C'est là que j'interviens. Quand Cecilia a vu la proximité de Steffani et Haendel, elle m'en a fait part. Nous nous sommes vite passionnées pour cet homme dont la vie est encore plus déroutante que sa musique.
Pourquoi?
D. L. - Il prétend être à un endroit alors qu'il se trouve à un autre. C'était un homme bardé de contradictions, écartelé entre sa vie de compositeur, de prêtre missionnaire et de diplomate.
C. B. - Il a retourné sa veste à plusieurs reprises, tenté de convertir les protestants de Düsseldorf au catholicisme, après avoir voulu faire l'inverse quelques années plus tôt dans la même ville!
Du pain béni pour un auteur de polars?
D. L. - Et comment! Il y a quelque chose de très romanesque dans le fait qu'il se soit arrêté de composer très jeune. On ne saura jamais si c'était par lassitude ou parce que son rôle de missionnaire lui tenait à cœur. Si Mozart ou Bellini étaient morts moins jeunes, peut-être se seraient-ils arrêtés pour se consacrer à l'élevage ou à la pêche au thon !
C. B. - Avait-il compris, comme Rossini plus tard, que les temps changeaient et qu'il ne pourrait plier son génie aux goûts musicaux à venir?
Caterina, la musicologue héroïne du livre, tente de remonter le fil de la vie de Steffani. Une cantatrice ne ferait-elle pas, elle aussi, un bon personnage ?
D. L. - Mauvaise idée. Ce serait comme de prendre un clown pour héros. L'une des bases de l'écriture romanesque, c'est la révélation. Il est plus facile de créer la surprise avec des figures du quotidien qu'avec des personnages qu'on trouve a priori bizarres. Ce qui est le cas des chanteurs d'opéra.
Et vous, Cecilia Bartoli, n'auriez-vous pu devenir musicologue?
C. B. - La recherche fait partie de ma vie, car on ne peut pénétrer la musique d'un compositeur sans connaître sa vie et son époque. Mais mon vrai moment, c'est la scène.
D. L. - Sans l'interprète, la partition ne serait qu'une accumulation de signes dépourvus de sens.
Flic et musicologue, même combat?
D.L. - À ceci près que le flic veut découvrir qui, le musicologue comment et pourquoi.
Dans votre roman vous n'êtes pas tendre avec certains livrets d'opéra. Avez-vous été tentée d'en écrire?
D. L. - J'ai reçu de nombreuses propositions. Mais pour écrire un livret, je devrais d'abord étudier la musique et je n'en ai pas le temps.
Ne pourrait-on pas assimiler l'écriture à une composition musicale?
D. L. - Au-delà du rythme, vous devez savoir comment tel mot sonnera à la lecture pour obtenir l'effet souhaité. Mais écrire un livret implique de couler son langage dans celui d'un compositeur. C'est un exercice que peu d'auteurs du XXe siècle ont su faire, exception faite de W.H. Auden.
C. B. - Pour nous chanteurs, la qualité du livret est primordiale. Entre les mots impossibles à chanter et les récitatifs où vous n'avez rien à réciter, il y a parfois de quoi s'arracher les cheveux.
On parle d'accompagner certains livres numériques d'un fond musical choisi par l'auteur. Qu'en pensez-vous?
D. L. - Ce serait la mort du livre! On a déjà annihilé la capacité d'écoute de l'être humain en diffusant partout de la musique en fond sonore. Lire ou écouter de la musique, il faut choisir. Vous n'iriez pas à l'opéra avec un livre!
Et les mises en scène modernes?
D. L. - Je suis pour. L'opéra doit parler à un public d'aujourd'hui.
C. B. - Le problème est plutôt que certains metteurs en scène se croient plus importants que les compositeurs.
D. L. - Je déteste! Combien de fois ai-je dû corriger quelqu'un qui me parlait du Don Giovanni de tel metteur en scène en lui disant: «Êtes-vous sûr que ce n'est pas plutôt de Mozart et Da Ponte?»
Comment jugez-vous la vie musicale en Italie?
D. L. - Le problème est économique et politique. Trop de décisions sont prises en fonction de filiations politiques.
C. B. - Dans le berceau de l'opéra, il est désolant que rien ne soit fait pour combler le fossé entre les vieilles générations et les jeunes, qui ne savent plus rien de cette musique.

Qui êtes-vous, père Steffani?
Né en 1654, Agostino Steffani (ci-contre: portrait supposé d'après un original disparu), commence sa carrière à 11 ans comme chanteur à Venise. Repéré par un noble bavarois, il s'installe à Munich et entre en 1681 au service du prince électeur Max-Emmanuel de Bavière, après avoir été ordonné prêtre. Il écrit une quinzaine d'opéras influencés par le style lulliste, l'opéra italien et le contrepoint allemand, la plupart représentés avec succès. Envoyé extraordinaire de Hanovre à Bruxelles, en 1696, il réduit ses activités musicales. Il meurt d'une attaque en 1728, abandonné de ses derniers bienfaiteurs.

Cecilia Bartoli
• 1966: naissance à Rome.
•1975: première apparition à l'opéra dans Tosca.
• 1996: débuts au Met de New York dans Cosi fan tutte.
• 2001: sortie de Viva Vivaldi (Decca), point de départ du «revival Vivaldi» et de ses futurs succès discographiques.
• 2012: devient directrice artistique du Festival de Pentecôte de Salzbourg.


Donna Leon
• 1942:naissance aux États-Unis, dans le New Jersey.
• 1965:premier voyage en Italie.
• 1981:s'installe à Venise après enseigné en Suisse, Iran et Arabie saoudite.
• 1992: Mort à la Fenice, première enquête du commissaire Brunetti. Dix-sept suivront jusqu'àLa Femme au masque de chair.
• Mars 2011: devient présidente du conseil honoraire du Venetian Centre for Baroque Music aux côtés de Cecilia Bartoli.

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