Par Philippe Delorme
Le Royaume-Uni est
une monarchie constitutionelle et vit sous le régime de la démocratie
parlementaire. © Bridgeman Images
Alors que les Français viennent d’envoyer au Palais-Bourbon une
assemblée nationale sans majorité bien définie, rappelons que le Royuame-Uni,
il y a deux siècles et demi, a inventé les délices du parlementarisme…
"Il n’y a plus de gouvernement !" Par cette déclaration
lapidaire, prononcée devant la Chambre des communes, Frederick North tire la
conséquence de son échec. Confronté à une motion de défiance des députés de
l’opposition, le Premier ministre remet sa démission au roi George III. Pour la
première fois dans l’histoire d’Angleterre – et sans doute du monde –, une
assemblée a renversé légalement un ministère, au mépris de la volonté du
souverain.
De ce jour mémorable du 20 mars 1782 date la véritable naissance du
parlementarisme. La France prétend souvent avoir inventé les droits de l'Homme,
dans l’élan de sa révolution de 1789. C’est oublier que, treize années avant,
la déclaration d’indépendance des États-Unis en avaient jeté les prémisses.
C’est omettre aussi que l’Angleterre, depuis plus de cinq siècles, arpentait le
chemin tortueux de la démocratie...
L'éphémère République d'Oliver Cromwell
Dès 1215, le haut clergé et les barons obligent le roi Jean sans
Terre à signer la Grande Charte. Fondé sur les traditions féodales, ce pacte
insiste sur les valeurs de liberté individuelle et confie à un Parlement élu le
soin de discuter et de voter les impôts. À l’issue de la guerre de Cent Ans,
l’Angleterre sombre dans les luttes intestines. En 1485, lorsque la Rose rouge
des Lancastre l’emporte en la personne de Henri VII Tudor, l’aristocratie,
décimée, n’a plus la force de s’opposer au triomphe de l’absolutisme. Cette tendance culmine avec le règne du terrible Henri VIII qui rompt avec
Rome et se proclame chef de l’Église anglicane. Sa fille, Élisabeth Ire, imite
son exemple, réunissant dans sa main les deux sceptres du temporel et du
spirituel.
En 1603, Jacques VI d’Écosse, descendant de
Henri VII en ligne féminine, hérite du trône d’Angleterre. Lorsque son fils,
Charles Ier, veut gouverner sans en référer au Parlement, la guerre civile
éclate, puis la révolution. En 1649, un siècle et demi avant Louis XVI, Charles
Ier est décapité à Londres. La République, dirigée d’une main de fer par Oliver
Cromwell, se révélera éphémère. Mais la restauration de Charles II – le fils du
roi exécuté – n’empêche pas les Anglais d’aspirer à toujours plus de liberté.
En 1688, le Parlement chasse le catholique Jacques II et offre la
couronne à sa fille Marie, protestante et épouse du stathouder de Hollande,
Guillaume III. Cette "Glorieuse Révolution" se termine par la
déclaration des droits de 1689, qui pose les bases d’une monarchie
constitutionnelle. Elle reconnaît à tous les sujets la personnalité juridique
et le droit d’adresse. Le monarque, pour sa part, ne peut plus agir sans
l’assentiment de ses ministres. Quant au Parlement, élu au suffrage censitaire,
son avis devient indispensable pour la suspension des lois, leur exécution, la
levée de tout nouvel impôt, l’entretien d’une armée sur le pied de paix.
Le Parlement prend plus de pouvoir sous la dynastie des
Hanovres
Au XVIIIe siècle, la dynastie hanovrienne
accentue cet effacement du pouvoir du roi, qui devient une sorte de
"subarbitre" de la nation, selon le mot de Voltaire. Ainsi, sous les
règnes de George Ier et de George II, apparaît la fonction de Premier ministre,
coordonnant l’action de ses collègues. Le souverain ne s’exprimant pas en anglais n’assiste plus aux
réunions du gouvernement. De son côté, le Parlement tire prétexte de cette
émancipation du cabinet pour instaurer la responsabilité politique des ministres.
George III, qui monte sur le trône en 1760, tente de rétablir son
autorité. Pour ce faire, il s’appuie sur les conservateurs "tories",
qui défendent les intérêts de l’aristocratie foncière. En 1770, il confie le poste de Premier ministre à Frederick North. Cette
nomination provoque le mécontentement des colonies d’Amérique, qui rêvent de
secouer le joug britannique. Au regard de l’Histoire, lord North – surnommé
"Boreas", le vent du Nord par ses adversaires – sera accusé d’avoir
entraîné la Grande-Bretagne dans la funeste guerre d’Indépendance, alors que
George III porte également sa part de culpabilité dans ce désastre militaire et
politique.
Quoi qu’il en soit, la défaite de Cornwallis à Yorktown, en octobre
1781, sera fatale au cabinet North. Au Parlement, l’opposition libérale
"whig" hausse le ton, et fait passer une adresse au roi pour réclamer
la paix en Amérique. De plus en plus attaqué, lord North résiste pied à pied,
tant qu’il peut encore compter sur la confiance du Parlement.
Cependant, le 8 mars 1782, lord Cavendish présente aux députés une
série de résolutions récapitulant les revers essuyés depuis 1775, dont il
attribue la faute au cabinet en place. Il conclut en demandant formellement son
renvoi. Lord North déploie tous ses talents d’orateur, et réussit à parer le
coup avec adresse. Utilisant les craintes et les passions qui agitent les
différentes factions de la chambre, il obtient une faible majorité. Mais c’est
là son chant du cygne.
Frederick North et la guerre d'Amérique
La semaine suivante, une motion similaire est déposée aux Communes.
Comprenant que, cette fois-ci, elle sera votée, le Premier ministre renonce
à poursuivre un combat perdu d’avance. Si l’on en croit sa fille, lady Charlotte Lindsay, lord North
n’aurait pas été mécontent de cette issue honorable : "Pendant les trois
dernières années de son ministère, mon père eut un ardent désir de se retirer.
Mais il se laissa gagner par les pressantes et fréquentes sollicitations de
George III. Enfin, l’affaiblissement croissant de la majorité à la Chambre des
communes rendit évidente la nécessité d’un changement dans le ministère, et le
roi fut obligé, bien à contre-coeur, d’accepter sa démission. Ce fut un grand
soulagement pour son esprit ; car, bien que je ne crois pas que mon père ait
jamais eu des doutes sur la justice de la guerre d’Amérique, cependant je sais
d’une manière certaine qu’il aurait voulu faire la paix trois ans avant qu’elle
prît fin."
Pour autant, Frederick North ne disparaît pas du théâtre public.
Dès le mois d’avril 1783, il revient à la tête du ministère de l’Intérieur, au
sein d’une étrange coalition avec son ennemi d’hier, le whig radical Charles
James Fox, sous l’autorité du duc de Portland. Ce gouvernement tombera le 17 décembre suivant, pour céder la place au
fameux William Pitt le Jeune. North continuera de siéger au Parlement jusqu’en
1790. Devenu aveugle, il n’en succédera pas moins à son père à la Chambre des
lords, en sa qualité de deuxième comte de Guilford, avant de s’éteindre à
Londres, le 7 août 1792, à l’âge de soixante ans.
Le parlementarisme,
une invention anglaise ! - Point de Vue
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