PAR JORDAN HOFFMAN
Réalisé par le juif vénézuélien Jonathan Jakubowicz, il explore les
jeunes années de Marcel Marceau, quand il s’est allié à son frère et à son
cousin pour aider des orphelins juifs
NEW YORK — Quand je mentionne le nom de Marcel Marceau, à quoi
pensez-vous donc ? A un type au visage peint en blanc, éphémère serveur de
bistrot ? Ou à l’intérieur d’une boîte invisible ? Ou incarnant le seul rôle
parlé dans « La dernière folie » de Mel Brooks ? Eh bien, à part avoir été le
mime le plus célèbre du monde, il s’avère que ce grand artiste juif français a
également été pas moins qu’un héros pendant la Seconde Guerre mondiale.
Un nouveau film appelé « Résistance » et réalisé par le juif vénézuélien
Jonathan Jakubowicz explore les jeunes années de Marceau, pendant lesquelles le
comédien en herbe s’est allié à son frère et à son cousin pour venir en aide à
des orphelins juifs. C’est à ce moment-là qu’il aurait utilisé pour la première
fois ses talents de clown, et ses capacités devaient être précieuses pour
calmer les enfants alors qu’il leur faisait passer la frontière séparant la
France et la Suisse.
Le film, disponible en streaming et sur demande en Amérique du nord
depuis le 27 mars, amplifie très certainement ce qu’a été la réalité à des fins
dramatiques. Je doute que Marceau ait autant rencontré en face à face « le
boucher de Lyon », Klaus Barbie. Et il est impossible qu’il ait utilisé ses «
pouvoirs de cirque » pour envoyer une boule de feu sur les gardes de la Gestapo
en un seul souffle, permettant ainsi à des gens de s’évader d’un camion de la
police. Mais l’histoire sous-jacente – et en particulier les passages de la
frontière en Suisse – sont vraies.
J’ai eu la chance de m’entretenir, il y a quelques semaines, avec
Jakubowicz – bien avant que le COVID-19 ne vienne bouleverser nos existences.
Vous pourrez découvrir ci-dessous une retranscription révisée de notre
conversation.
Je viens tout juste d’apprendre que « Résistance » va être projeté
lors du festival du film de la mer Rouge inaugural en Arabie saoudite. C’est
significatif parce que – je n’ai pas à vous le dire – les histoires sur les
Juifs et la Shoah ne sont pas souvent mises en avant dans le monde arabe.
J’ai reçu un message très émouvant de la part du directeur du
festival, le réalisateur saoudien Mahmoud Sabbagh. Il m’a parlé de l’utilité de
l’art pour briser les barrières historiques entre les cultures. Je sais combien
le négationnisme de la Shoah est fort dans certaines parties du monde arabe et
il n’y a donc probablement aucune autre région de la planète qui ait davantage
besoin d’entendre le message transmis par le film. Je ne pense pas qu’un film
sur la Shoah ait été présenté dans le monde arabe – et ce n’est assurément pas
le cas en Arabie saoudite.
Est-ce que vous irez
à la Première ?
Je ne le sais pas encore.
(Nota bene: Comme on le dit en Yiddish, « Mann
tracht, Gott lacht » – « l’homme prévoit, Dieu en rit » – . Le festival du film
de la mer Rouge a été annulé depuis en raison de la pandémie de COVID-19.)
Je vais le confesser : C’est sûr, j’ai déjà entendu parler de
Marcel Marceau ; j’ai même vu une vidéo ou deux de ce qu’il faisait. Mais
j’ignorais totalement qu’il avait été un membre juif de la résistance
française.
C’était aussi mon cas. Et c’est la raison pour
laquelle je suis devenu dingue quand j’ai entendu cette histoire. J’avais lu un
article à ce sujet dans Open Culture et cela m’avait fasciné. Des histoires de
la Seconde Guerre mondiale, j’en avais entendu pendant toute ma vie – il y a
des survivants de la Shoah des deux côtés de ma famille – mais je n’avais
jamais eu le sentiment que je pourrais en faire un film. C’était trop proche de
moi.
Mais il y a quelque chose, dans ce qu’a fait Marcel Marceau, qui a
réellement retenu mon attention. Ça parle d’espoir, de la manière dont il a
sauvé des enfants. J’ai commencé à faire des recherches puis j’ai rencontré
Georges Loinger, leader de la résistance qui était à la tête des Scouts juifs
et qui était le cousin germain de Marcel. Nous nous sommes rencontrés à Paris,
il avait 106 ans. Et il m’a offert un aperçu de première main sur la manière
dont s’étaient déroulées les opérations.
Marcel Marceau
photographié à Paris, le 12 février 2003 (Crédit :AP Photo/Laurent Emmanuel)
Entendre une histoire racontée par un homme de 106 ans – cela m’a
obsédé. Et j’ai été sidéré par le fait qu’aucun film n’ait été réalisé sur le
sujet auparavant.
Malheureusement, Georges est mort à l’âge de 108 ans lorsque nous
étions en post-production et il n’a donc jamais pu voir le film. Mais nous le
montrerons à la famille.
Et je soupçonne qu’ils vont l’aimer.
Eh bien, Marcel ne s’était jamais considéré comme un héros – ce
qu’il était très clairement. La médaille Wallenberg lui avait été décernée en
2001 et on peut voir son discours sur YouTube à cette occasion – c’est incroyable.
Il parle de sauver la vie de ces enfants, mais il dit qu’en
côtoyant toutes les horreurs qu’il y avait à ce moment-là, c’était impossible
de se considérer comme un héros. Cela ne lui a jamais traversé l’esprit. Il ne
s’était jamais senti à l’aise à l’idée d’être un héros, mais il avait risqué sa
vie. Dans son esprit, c’était ce que n’importe qui d’autre aurait pu faire.
Mais nous savons, bien sûr, que ça n’a pas toujours été le cas.
Pensez-vous que Marcel Marceau a minimisé cette partie de sa biographie ?
Il en a parlé plus tard dans sa vie. Et il a dit qu’il
avait réalisé que cet « art du silence » était le reflet du silence conservé
par les survivants dans les camps. Il a dit, dans de nombreuses interviews,
qu’il y avait un parallèle à faire ici.
Je pense qu’il avait tenté de dissimuler cet héroïsme affiché en
temps de guerre parce qu’il voulait que l’art transmette un message d’unité,
mais si vous regardez certaines de ses chorégraphies au sujet des soldats,
alors vous y verrez l’expression de la compréhension de la souffrance. Il était un mime, sans utiliser le langage, qui tentait de transmettre un
message de paix. Quand j’ai reçu cette invitation depuis l’Arabie saoudite,
j’ai pensé que oui, c’était quelque chose du message de Marcel Marceau qui
était en train de se réaliser.
J’ai vu votre précédent film, « Hands of Stone
», qui raconte l’histoire du boxeur Roberto Durán et, au moins du point de vue
de la réalisation, les deux hommes utilisent le mouvement comme forme
d’expression. Que ce soit avec le mime ou, vous savez, en utilisant le
punching-ball. Avez-vous trouvé des similarités en tournant ces séquences ?
Plus vous filmez, plus vous vous améliorez. Plus vous avez de
raccourcis. Alors oui, nous avons approché les combats de « Hands of Stone »
comme une danse – c’était mon approche artistique. Mon compositeur m’a montré
que j’avais mis en place des modèles – même s’ils ne m’avaient pas sauté aux
yeux de prime abord.
Le casting de ce film est essentiel. Et Jesse
Eisenberg est le choix parfait.
J’ai écrit le film en pensant à lui. Sa mère
était clown professionnel – croyez-le ou non. Il a donc grandi en la voyant
peindre son visage pour aller travailler. Et il a perdu une partie de sa
famille pendant la Shoah. Il a également une ressemblance physique avec Marcel
mais, également, Jesse conserve une sorte d’arrogance artistique – comme Marcel
– au moins au début du film.
Il a lu le script très rapidement et il a
fallu peu de temps pour le convaincre de participer au film. Et cela a été une
collaboration merveilleuse. Il avait de nombreuses idées formidables. Il a aidé à donner sa forme au film. C’est un génie créatif ; c’est un
privilège de travailler avec une personnalité comme celle-là.
Je ne pense pas qu’il réalise qu’il est une
star du cinéma. C’est un intellectuel, c’est un lecteur et un père formidable. Il y avait de
nombreux enfants sur le tournage – les miens, ceux des autres membres de
l’équipe – et tous couraient partout, ce qui était très particulier parce que
le film parlait du secours apporté aux enfants pendant la guerre. Tourner un
film sur la Shoah en Allemagne, comme ça, ça a été très spécial.
Oh, vous n’avez pas
tourné en France ?
En Allemagne pour les intérieurs et en République tchèque pour les
extérieurs. On avait regardé des sites en France, mais ils étaient trop
modernisés. Les endroits qui n’avaient pas changé étaient bondés de touristes.
Alors j’ai parlé avec des amis réalisateurs, en France, et il m’ont dit : « Va
à Prague – c’est là où on va tous ».
Se trouver en Europe et réaliser un film sur l’antisémitisme a dû
être intéressant à l’heure actuelle au vu de l’augmentation des incidents antisémites
qui a été enregistrée dans la région.
C’est indéniable. L’antisémitisme est de retour. C’est, en partie, ce qui m’a motivé à faire le film. Mais cela nous a aussi
motivé lorsqu’on tournait.
Si vous vous rappelez de la scène sous le pont
– pas de Spoiler, mais vous devez vous souvenir que c’est une scène remplie
d’émotion, qui succède à un incident terrible – elle a été tournée précisément
au lendemain du massacre de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh [le 27
octobre 2018]. Et nous nous trouvions alors à Nuremberg. Que Jesse et moi, nous
nous soyons trouvés à Nuremberg, en train de tourner un film sur le nazisme,
vingt-quatre heures après que des Juifs ont été tués dans une synagogue aux Etats-Unis…
Je ne trouve pas les
mots pour décrire ce qu’a été cette journée.
Il y avait ce sentiment de se dire qu’une fois encore, ça
recommençait – avec ce sentiment, également, que nous assumions notre part du
travail.
Pendant que nous étions en Allemagne, malheureusement, nous avons
eu certaines interactions avec des néo-nazis. Il y avait eu une manifestation à
Chemnitz lorsque nous étions là-bas. Cette ville était à environ 90 kilomètres
de là où nous nous trouvions. Il y avait d’ailleurs eu un état d’urgence face
aux nazis qui avait été mis en place à Dresden alors que nous étions là-bas.
Ed Harris dans le rôle de George S. Patton
dans ‘Resistance.’ (Autorisation : IFC Films)
Un jour, nous nous trouvions dans une piscine
municipale et un néo-nazi était présent. Il est arrivé au bord du bassin et il
arborait sur tout son dos un tatouage avec le mot « Aryen ». Et il y avait
environ 100 Allemands autour de nous, et personne n’a rien dit. Tout le monde a détourné le regard, personne ne voulait avoir des
problèmes.
Le pantomime français Marcel Marceau sur scène
à Berlin, le 2 janvier 1967 (Crédit : AP Photo/Edwin Reichert)
Vous le faites
remarquer à vos amis Allemands et ils vous répondent : « Eh bien, c’est ça,
l’Allemagne. Que faire ? »
Je veux dire, on a travaillé avec de nombreux Allemands
formidables, des libéraux à l’esprit ouvert. Mais, en même temps, il y a
quelque chose de sous-jacent qui s’exprime là-bas et particulièrement dans
l’est.
Il y a eu une fusillade dans un bar à narguilé récemment et, bien
sûr, il y a eu ce qui est arrivé dans une synagogue de Halle, le jour de Yom
Kippour. J’ai été choqué mais pas tant que ça.
Je pense que pour de nombreux Allemands, c’est une question
compliquée. Le passé est si horrible et de tels efforts ont été livrés pour en
venir à bout. Il est impossible pour eux de se dire que c’est réellement
revenu.
Je sais que vous
êtes originaire du Venezuela – même si vous vivez, aujourd’hui, aux Etats-Unis
– est-ce un problème là-bas également ?
Eh bien, j’ai quitté le Venezuela parce que Hugo Chavez n’avait pas
aimé mon premier film et que la chaîne publique officielle ne s’est pas
contentée de m’attaquer, elle l’a fait en utilisant des propos antisémites. Elle a dit que le film relevait d’un complot sioniste contre Chavez et elle
a menacé la communauté juive qui m’avait « laissé » réaliser le film. Le film
n’avait pourtant rien à voir avec les Juifs, Israël ou quoi que ce soit d’autre
– et bien entendu, rien à voir non plus avec Chavez. C’était un film dont le
sujet était un enlèvement.
Mais il comprenait un personnage homosexuel,
un soldat, et Chavez est un homophobe qui a perçu cela comme un délit contre
ses forces armées. C’était effrayant parce que le Venezuela, dans toute son histoire,
a accueilli des Juifs.
Quand ma famille et d’autres sont arrivés là-bas, pendant la
guerre, ils ont tous vécu en totale liberté. Mais Chavez a marqué le tournant.
Ma grand-mère, survivante de la Shoah, était encore en vie à l’époque et ça
avait été très difficile pour elle de voir ce changement. Ça a été difficile
pour moi aussi – j’étais né et j’avais grandi là-bas – et j’ai eu le sentiment
qu’il fallait que je parte parce que j’étais Juif, à peu près de la même
manière que mes parents et mes grands-parents avaient quitté l’Europe parce
qu’ils étaient juifs.
Conservez-vous
l’espoir que le Venezuela redevienne ce qu’il était ?
Des efforts sont livrés dans ce sens mais c’est difficile. Nicolás
Maduro a la mainmise sur l’armée. Ce n’est pas une situation qui pourra être
résolue de l’intérieur et personne ne veut y aller. J’ai écrit un roman
là-dessus. Et je reste en contact avec des gens qui tentent de libérer les
Vénézuéliens.
C’est compliqué, avec des intérêts étrangers, du pétrole. Le pays
n’appartient plus aux Vénézuéliens. Il y a eu récemment un scandale, le
Venezuela a fait imprimer 11 000 passeports pour des Syriens. Un grand nombre
d’entre eux sont liés à des activités terroristes. Le pays est devenu un pôle
du crime.
J’ai lu votre roman, « The Adventures of Juan Planchard », qu’il
faut lire pour comprendre l’Amérique du sud aujourd’hui. Y a-t-il une chance qu’il devienne un film ?
Non, mais peut-être une série. C’est trop
vaste pour un film. Mais en tout cas, le roman est en cours d’adaptation pour devenir
une pièce de théâtre. Il est adapté par [l’auteur juif vénézuélien] Moisés
Kaufman, qui s’est vu remettre la médaille nationale des Arts et des sciences
humaines par [l’ex-président américain Barack] Obama – c’était la première fois
qu’elle est décernée à un Vénézuélien. Je ne le pensais pas quand je
l’écrivais, à cette adaptation, mais les choses continuent à empirer. En
particulier parce que maintenant, d’autres pays s’intéressent au Venezuela. On
a été ignorés pendant 22 ans, mais maintenant, on s’intéresse à nous.
J’ai vu tant de films sur la Shoah ! Trop, franchement. Mais dans votre film, il y a une scène qui m’a giflé au
visage. Marcel est en train
de parler avec d’autres membres de la résistance qui ne sont pas Juifs. Ils
sont antinazis, c’est sûr, mais il y a une déconnexion sur la nature de
l’antisémitisme. Ce sont des gens qui se trouvent clairement du côté des Juifs
mais ils ne comprennent pas ce qu’est l’antisémitisme. Peut-être d’ailleurs
qu’ils se moquent de réellement le comprendre.
L’antisémitisme est unique. Ce n’est pas le racisme ou
l’homophobie. On le trouve à gauche, à droite et au centre et dans des cultures
différentes. J’ai eu le sentiment que c’était important d’entendre le point de
vue d’une intellectuelle française de la résistance, qui a son point de vue sur
l’origine de l’antisémitisme. Elle pense que cette origine est métaphorique,
que les Juifs qui se sont libérés de l’esclavage en Egypte sont devenus un
symbole de l’émancipation et qu’ils incarnent donc une menace pour les
dictateurs. Ce type de chose à laquelle aucun Juif ne penserait jamais !
Je suis content que vous ayez aimé ça. Ça a été, en fait, l’un des
moments les plus difficiles à faire entrer dans le film.
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