Par Marion Galy-Ramounot
Jeune et beau, pur et
détraqué, mystérieux et imprévisible, le Pie XIII de Paolo Sorrentino ne fera
sans doute pas l'unanimité dans le monde chrétien. Le père Francis Ayliès nous
éclaire sur la question.
On avait presque oublié son
regard polisson et son îlot capillaire. Jude Law est de retour, et dans la
série la plus scandaleusement prometteuse de cette fin d'année 2016. The Young
Pope, écrite et réalisée par Paolo Sorrentino, est diffusée sur Canal + à
partir du 24 octobre. Dix épisodes durant lesquels nous marcherons dans les
mocassins rouges de Lenny Balardo, alias Pie XIII, premier pape américain de
l'histoire. Parenthèse : Pie XIII n'a jamais existé, il sort tout droit de
l'imagination du réalisateur italien. En proie à ses souvenirs dévorants et aux
privilèges du pouvoir, Sa Sainteté va se révéler mélancolique et implacable, en
proie aux doutes et particulièrement déterminé, accroc à la cigarette et au
Cherry Coke Zéro. Une sorte de Frank Underwood en soutane, si vous préférez.
Bref, ça va chauffer au Vatican. Pour bien comprendre les tenants et les
aboutissants de la première série du réalisateur d'Il Divo, nous avons demandé
au père Ayliès, prêtre du diocèse de Bordeaux, de visionner les deux premiers
épisodes.
Lefigaro.fr/madame. —
Verdict ?
Père Ayliès. — Je viens
d'écrire un livre comme une sorte de recueil de mails adressés au pape François
(1). Ce qui est sûr, c'est que je n'écrirais pas à celui-là. Il est trop peu à
l'écoute ! Mais la série est incroyable en intelligence, en qualité d'image et
de dialogues. On est toujours tenus en haleine : quel est le plan de ce pontife
? Est-il vraiment aussi radical ? Utilise-t-il son autorité pour lui ou pour un
futur bien de l'Église ? Est-il un fou ou un vrai stratège ? Un démon ou un
ange ? Y a-t-il un rapport avec l'Église actuelle ?! Autant de questions que
l'on se pose au fil des premiers épisodes. C'est assez addictif, en fait.
Nous ne sommes pas dans le
probable
Ce pape est jeune, beau,
fumeur, réac, coquet... Mais est-il réaliste ?
Non, et c'est ce qui fait
la génialité de la série. Nous ne sommes pas dans le probable, mais dans le
divertisemment italien. Bien sûr, nous pourrions avoir un pape plus
autoritaire, plus radical. Mais deux aspects, notamment, sont invraisemblables.
Le premier est qu'il s'enferme dans le Vatican et qu'il vit en huit clos. Un
pape ne peut pas être pape s'il n'a aucun lien avec ses fidèles et le reste du
monde. Le second est qu'il se questionne sans cesse sur sa propre foi. Il se
demande même parfois s'il n'est pas athée. Or un pape est un homme qui
"dit" la foi. Il est absolument insensé d'imaginer un pape indécis, qui
doute de l'existence de Dieu.
La série aborde les thèmes,
tabous, de l'homosexualité dans la curie, la corruption, le pouvoir,
l'ambition, le sexe... C'est choquant ?
Il y a, c'est sûr, des gens
qui vont être choqués. Sorrentino complexifie chaque personnage. Et Pie XIII en
particulier. Par exemple, dans un rêve, il prononce un discours dans lequel il
promeut la masturbation et l'avortement ; le lendemain, il vire le préfet de la
Congrégation pour le clergé parce qu'il est homosexuel ! Autre exemple, il
reprend la tiare, symbole du pouvoir absolu, et, dans un même temps, il aide
ses proches à vivre en conscience... Ce qui est plus intriguant que choquant,
finalement, c'est que Sorrentino nous retourne le cerveau en nous dévoilant
chaque personnage dans ses ambiguïtés. Et nous ramène aux nôtres !
Concrètement, la série
va-t-elle plaire aux chrétiens ?
Elle ne plaira pas à ceux
qui ne s'autorisent pas le second degré. Il faut la regarder sans a priori et
ne surtout pas la voir comme un "pour" ou "contre",
"pour" l'avortement ou "contre" l'homosexualité... Dans
cette série, on ne parle presque à aucun moment de la religion chrétienne et de
l'évangile. On parle d'un lieu de pouvoirs, et de secrets. Un lieu où tout le
monde s'auto-protège. La radicalité politique de Pie XIII plaira certainement
aux catholiques traditionnalistes parce qu'elle est l'antithèse de la ligne
tenue par le pape François, jugée trop en compromission avec le monde
contemporain. Cela dit, son style et certains passages torrides ne passeront
pas.
Cette tendance me fait peur
"The Young Pope"
vous a-t-elle fait réfléchir, vous, en tant que prêtre ?
Elle fait réfléchir sur
l'acte de foi. Très souvent, dans la série, on voit Pie XIII se recueillir avec
son confesseur sur les balcons du Vatican, face à la voie lactée, et
s'interroger : est-ce que je crois ? En quoi je crois ? Pourquoi je crois ?
Pourquoi je me suis lancé ce défi fou ? La série questionne aussi notre rapport
au pouvoir. Comment est-ce que j'utilise, à mon niveau, le petit pouvoir que je
possède ? Et quelle doit être mon attitude face à ceux qui exercent le pouvoir
: liberté ou allégeance ? Je trouve que la série pose très bien cette question.
Paolo Sorrentino suggère
que Pie XIII pourrait être « la prémisse, le germe d'un fondamentalisme catholique
que nous excluons a priori, tout comme, il y a cinquante ans, nous aurions
exclu le risque d'un fondamentalisme islamisque »...
Il est vrai que ce Pie XIII
est représentatif d'une tendance pastorale très actuelle, qui préfère une
Église élitiste à une Église de la compromission, qui accueille en elle le
chemin plus sinueux de beaucoup d'hommes et de femmes du 21e siècle. Dans son
premier discours papal, Pie XIII demande au peuple une adhésion totale à Dieu,
sans compromis. Il est le pape de l'impératif, qui fait tout de suite le choix
d'une autorité dictatoriale. Cette tendance me fait peur. Elle est le danger
principal de toute religion.
(1)
Journal d'un curé de
quartier, de Francis Ayliès, éd. Le Festin, 2016
http://madame.lefigaro.fr/celebrites/the-young-pope-interview-dun-pretre-certains-vont-etre-choques-211016-117422
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