Relancé il y a dix ans sous l’impulsion de son directeur actuel,
Laurent Brunner, ce petit bijou d’architecture XVIIIe siècle célèbre ses 250
ans avec une saison anniversaire riche en événements lyriques.
"ÔRichard, ô mon roi, l’univers
t’abandonne!" Juste devant le premier rang, le ténor Rémy Mathieu est si
proche que l’on pourrait toucher son large manteau marron, reconstitution
fidèle d’une redingote XVIIIe siècle. Au-delà du parterre, son regard cherche la loge du roi, pourtant
vide en cette soirée de répétition générale.
230 ans que cet extrait de l’opéra de Grétry, Richard Cœur de Lion,
n’avait pas retenti sous les ors de l’Opéra. "À l’époque, c’était un des
seuls endroits du château où l’on pouvait organiser une fête sans bloquer toute
la circulation", raconte Laurent Brunner, responsable de la programmation
depuis dix ans.
Depuis dix ans, Laurent Brunner construit avec méthode et passion
une programmation adaptée à ce lieu chargé d’histoire. © Julio Piatti
Au soir du 1er octobre 1789, les gardes du corps du roi organisent
un banquet pour célébrer l’arrivée d’un nouveau régiment. Quand Louis XVI et
Marie-Antoinette viennent saluer les officiers, réunis dans l’Opéra, ces
derniers entonnent spontanément cet air –un tube de l’époque–, aussitôt perçu comme
un manifeste royaliste.
Échauffée par cette fake news avant l’heure, la foule part à
l’assaut du château et pénètre jusqu’aux appartements privés des souverains. La
nuit même, après être apparus au balcon pour tenter d’arranger les choses, le
roi et la reine quittent Versailles. Ils n’y reviendront plus jamais."
L’Opéra royal est un concentré des savoir-faire du siècle des
Lumières
Étrange destin, donc, que celui d’un théâtre construit en 1770 pour
célébrer un mariage –celui de Louis XVI et Marie-Antoinette–, très peu utilisé
comme salle de spectacle jusqu’en 1789, date à laquelle il ferme… quasiment
jusqu’en 2009! "C’est un lieu qui a toujours été conçu
comme un théâtre de l’extraordinaire, souligne Raphaël Masson, conservateur en
chef du patrimoine. On y célèbre les fêtes et les grands événements, mais on lui
préfère, pour la musique et pour le spectacle vivant, des théâtres portatifs
que l’on déplace dans tout le château."
Depuis la loge royale, Louis XVI et Marie-Antoinette pouvaient
applaudir les spectacles de Gluck ou Grétry, les compositeurs qui avaient la
faveur de la reine. © Julio Piatti
Après les épisodes révolutionnaires, le lieu reste en sommeil
jusqu’à la Restauration, durant laquelle, on le transforme en salle XIXe ,
avant de s’en servir à nouveau en 1855 pour un banquet en l’honneur de la reine
Victoria.
Utilisée pour les séances du "Sénat" durant toute la
troisième République, la salle est restaurée une première fois en 1957 –et
délestée alors de toute sa machinerie baroque, au grand dam des conservateurs
d’aujourd’hui– avant une nouvelle campagne de remise aux normes de 2007 à 2009.
Plusieurs campagnes de restauration ont redonné aux décors de
l’Opéra toute leur splendeur. © Julio Piatti
"J’ai proposé à Jean-Jacques Aillagon, alors directeur de
l’établissement public du château de Versailles, de lancer une saison musicale
en la finançant uniquement sur des fonds privés, rappelle Laurent Brunner. Dix
ans plus tard, nous fonctionnons grâce à la billetterie et au mécénat et
offrons aux spectateurs dix productions pour cette saison anniversaire, dont
celle de Richard Cœur de Lion, qui est la première que nous assumons
totalement, du choix des costumes à celui du chef d’orchestre – en
l’occurrence, Hervé Niquet, rompu à ce genre de répertoire –, en passant par
l’utilisation de décors de toiles peintes comme ceux que l’on fabriquait au
XVIIIe siècle."
Pour les manier, l’Opéra emploie encore des "cintriers",
ces techniciens formés au maniement ultratechnique de l’impressionnant jeu de
cordes qui fait monter et descendre, dans un ballet millimétré, les différents
décors. Sous les combles de l’édifice, Carlos Casado attend les tops sonores
que lui communique le régisseur pour actionner, à l’aveugle, "son bout de
chanvre". Un instant de distraction, et c’est toute la fluidité de la
représentation qui est menacée.
Donné en octobre 2019, Richard Cœur de Lion était la première
production entièrement conçue pour l’Opéra royal. © Julio Piatti
Bien des étages plus bas, dans les entrailles du bâtiment, des
poulies monumentales témoignent encore de l’ampleur des installations d’époque,
créées au XVIIIe siècle par Blaise-Henri Arnoult, premier machiniste du roi.
Ses aménagements complexes sont à l’origine de la fameuse modularité de la
salle.
Échafaudé durant le long règne de Louis XV par son architecte
Ange-Jacques Gabriel, après une tournée italienne qui lui permet d’être au fait
de toutes les techniques de pointe en cours dans la péninsule, l’Opéra est
aussi un concentré des savoir-faire du siècle des Lumières.
Une scène aux dimensions intimistes où se produisent récitals,
ballets et créations contemporaines
Réceptacle idéal des productions en costume d’époque, la scène aux
dimensions intimistes –qui compte presque 770 places– se prête aussi aux
récitals, à la musique sacrée et même aux ballets et créations d’aujourd’hui.
Parmi les autres rendez-vous notables de cette saison, Les Fantômes
de Versailles, un opéra créé en 1991 à New York, aux États-Unis, pour les 100
ans du Metropolitan Opera, sera donné pour la première fois en France au début
du mois de décembre 2019*.
Œuvre d’Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du roi Louis XV,
l’Opéra comporte notamment un magnifique plafond représentant Apollon
couronnant les Arts, réalisé par le peintre Louis-Jacques Durameau. © Julio
Piatti
Le livret met en scène, au Purgatoire, Louis XVI et
Marie-Antoinette face à un Beaumarchais chargé d’imaginer une nouvelle intrigue
théâtrale pour les sauver de l’échafaud. "Il est rare que nous nous
aventurions vers le contemporain, admet Laurent Brunner, mais le sujet était
fait pour nous, et la musique de John Corigliano est tout à fait
accessible."
Sans trop s’éloigner de ses fondamentaux: "Nous sommes dans la
maison de Louis XIV et Marie-Antoinette, résume-t-il. On commence à Monteverdi
et on s’arrête à Mozart, mais chez nous plus qu’ailleurs, Lully, Cavalli et
Grétry ont droit de cité. Pour le plus grand bonheur des spectateurs, qui sont
à la fois curieux et connaisseurs."
* Les Fantômes de Versailles, de John Corigliano, Opéra royal de
Versailles, du 4 au 8 décembre 2019. Réservations au 0130837889.
www.chateauversailles-spectacles.fr
Château de Versailles
Culture Louis XVI Marie-Antoinette Musique
Théâtre Versailles
Par Pauline Sommelet
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