Le 19 mars 1314, du
haut de son bûcher en flammes, Jacques de Molay, dernier grand maître de
l’ordre du Temple, jette l’anathème sur ses juges et bourreaux, Clément V et
Philippe IV. Légende ou réalité? Quelques mois plus tard, le pape comme le roi
l’ont rejoint «ad patres»…
"PAPE CLÉMENT!
ROI PHILIPPE! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de
Dieu pour y recevoir votre juste châtiment. Maudits! Maudits! Soyez tous
maudits jusqu’à la treizième génération de vos races!" Dévoré par les flammes,
Jacques de Molay lance encore ses imprécations. Puis, comme son compagnon
d’infortune Geoffroy de Charnay, précepteur de Normandie, il affronte la mort
en priant, le regard tourné vers l’Orient, vers les tours de Notre-Dame, que
l’on aperçoit au-dessus des toits.
Hormis Geoffroy de
Paris, clerc à la chancellerie, présent au pied des suppliciés sur l’île aux
Juifs, une langue de sables alluvionnaires qui prolonge alors le palais de la
Cité en aval de la Seine, personne ne semble avoir en tendu les imprécations du
grand maître de l’ordre du Temple. Pas même Philippe IV le Bel, l’un des
principaux intéressés. Mais la dignité des deux suppliciés a profondément
marqué la foule. "Le maître et son compère, qui virent le feu prêt, se
sont dépouillés et se mirent tout nus en leur chemise. Ils ne tremblèrent à
aucun moment, bien qu’on les tire et les bouscule".
Dans l’humeur
prophétique du temps, les circonstances de l’événement prêtent au fantasme.
D’autant qu’un mois plus tard, le pape Clément V –le Français Bertrand de Got–,
meurt dans sa forteresse familiale de Roquemaure, dans le Gard. Probablement un
peu aidé par ses médecins qui lui auraient administré de l’émeraude pilée en
guise de médicament! Les nuages, en tout cas, s’amoncellent sur l’entourage du roi
de France.
Le scandale de la
tour de Nesle scelle le destin des belles-filles du roi Phillipe
En avril, éclate la
plus grande affaire de moeurs qui ait jamais éclaboussé les Capétiens: le
scandale dit de la tour de Nesle. Probablement dénoncées par leur belle-soeur
Isabelle de France, reine d’Angleterre, les trois brus de Philippe le Bel
–Marguerite de Bourgogne, 24 ans, épouse du dauphin Louis, sa cousine Jeanne,
22ans, mariée à Philippe, comte de Poitiers, et la soeur de cette dernière,
Blanche, 19 ans, femme de Charles, futur comte de la Marche– sont soupçonnées
d’adultère.
Si la deuxième de
ces princesses n’a finalement qu’un silence coupable à se reprocher, Marguerite
et Blanche semblent bien s’être montrées "légères" avec les frères
Gautier et Philippe d’Aunay, deux écuyers jolis coeurs et coureurs de jupons.À
une époque où le pouvoir repose sur les qualités héréditaires supposées du sang
royal, Philippe le Bel ne peut laisser planer de doutes sur la pureté de la
lignée capétienne. La violence de la réaction du roi sera à la mesure de
l’offense. Les frères d’Aunay "écorchés tout vivants, ont les parties
viriles coupées et jetées aux chiens, avant de périr la tête tranchée".
Marguerite et
Blanche, tondues et vêtues de bure, sont enfermées dans le donjon de
Château-Gaillard, en Normandie. La première y mourra quelques mois plus tard,
suite aux mauvais traitements ou assassinée. La seconde prendra le voile à
l’abbaye de Maubuisson. Ce n’est qu’un siècle plus tard, cependant, que la
fameuse tour de Nesle sera désignée comme cadre des ébats des princesses et de
leurs "amis bien voulant". Si ces escapades amoureuses ont bien eu
lieu, c’est plus probablementdans le cadre de l’hôtel de Nesle, résidence
royale où s’installera Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe V, après son
veuvage.
Le spectre de
Jacques de Molay poursuit sa funeste vendetta
Mais pour les
auteurs du temps, le vieux donjon de l’enceinte de Philippe Auguste, qui se
situait à la hauteur du quai Conti, offre l’avantage indéniable de surplomber
cette île aux Juifs où le grand maître du Temple a été mis à mort. Le mythe de
la malédiction s’étoffe. Et la suite des événements n’y est pas étrangère.
Le 4 novembre 1314,
au cours d’une chasse en forêt d’Halatte, en Picardie, Philippe IV fait une chute
de cheval, "éprouvant un saisissement subit et se trouvant dans
l’incapacité de prononcer une parole". Probablement frappé par une attaque
cérébrale. Porté en litière à Fontainebleau, il s’éteint le 29 novembre
"dans la force de l’âge". Il n’avait que 46 ans.
La
"malédiction" se poursuit, et les superstitieux n’en finissent plus
d’égrainer ses victimes. Louis X le Hutin –le Querelleur– qui succède à son
père, meurt à 26 ans, après un an et demi de règne. D’un
"refroidissement" au sortir d’un jeu de paume pour les plus crédules.
"Enherbé" par Mahaut d’Artois, la propre belle-mère de son frère, le
comte de Poitiers, pour les moins bienveillants...
Un héritier qui ne portera la couronne que 5
jours
De Marguerite de Bourgogne, il laisse une
fille, Jeanne II de Navarre, opportunément écartée du trône de France pour
soupçon de bâtardise. La fameuse "loi salique" excluant les femmes de la
succession ne sera "inventée" que bien des années plus tard. Il
laisse aussi une jeune reine veuve, Clémence de Hongrie, enceinte de leur
premier enfant.
Le comte de Poitiers
s’empare sans coup férir de la régence, puis de la couronne quand son neveu,
Jean Ier, dit "le Posthume", meurt dans ses langes, après cinq jours
de règne… et de vie. L’ambitieux, devenu Philippe V le Long, n’hésite pas à
sacrifier l’avenir territorial du royaume en l’amputant de la Bourgogne, de
l’Artois et de la Franche-Comté, pour asseoir son pouvoir.
Prince cruel et
superstitieux, il réprime dans le sang la révolte des Pastoureaux, et il
ordonne, en août 1321, les premières répressions de grande ampleur contre les
juifs et les lépreux. À la fin du même mois, le roi malade, probablement
atteint de dysenterie, réclame un morceau du bois de la Croix et un clou de la
Passion. Les saintes reliques n’y changeront rien: il meurt à 29 ans, après
cinq mois d’une terrible agonie, dans la nuit du 2 au 3 janvier 1322.
La lignée directe
des Capétiens s'éteint après un règne ininterrompu depuis 987
Les manoeuvres
imaginées par Philippe V pour s’emparer de la couronne de sa nièce vont priver
ses propres filles de la succession. Au motif que "le royaume de France
est de si grande noblesse qu’il ne doit mie, par succession, aller à
femelle", son frère cadet Charles IV le Bel se fait à son tour couronner à
Reims, le 21 février 1322. Plus soucieux de justice que son prédécesseur, il
n’en échappe pourtant pas à la "malédiction". Il s’éteint lui aussi
de maladie, cinq ans plus tard, à 33 ans, et sans héritier.
Les "Capétiens
directs" achèvent un règne ininterrompu depuis 987 et l’avènement de leur
ancêtre Hugues Capet. Édouard III Plantagenêt, roi d’Angleterre, petit-fils de
Philippe le Bel et son plus proche parent, par sa fille Isabelle de France, revendique
alors la couronne des lys. Les barons français vont lui préférer Philippe de
Valois, cousin germain des trois derniers rois. Les deux prétendants entrent en
guerre. Elle durera cent ans!
Par Gabriel de Penchenade
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