Rencontre avec les commissaires de l’exposition —
Par
Juliette Puaux
La Bibliothèque nationale de France et l’Opéra national de Paris
présentent cet été une exposition consacrée à Mozart, de ses premiers voyages
en France jusqu’à sa gloire posthume sur les diverses scènes lyriques
nationales. À travers une sélection de cent quarante pièces, dont certaines
inédites, issues des collections de la BnF, l’exposition retrace les grandes
étapes de la reconnaissance du compositeur par le public français. Rencontre
avec les trois commissaires de l’exposition, Laurence Decobert, Simon Hatab et
Jean-Michel Vinciguerra.
Comment avez-vous construit cette exposition ? Quel parcours
proposez-vous ?
Jean-Michel Vinciguerra : L’exposition propose un parcours
chronologique, des premiers voyages de Mozart en France jusqu’à nos jours, mais
aussi thématique puisque nous avons choisi d’illustrer les cinq opéras de
Mozart les plus représentés en France – les trois Da Ponte et deux de ses
opéras allemands, La Flûte enchantée et L’Enlèvement au sérail.
Simon Hatab : Le visiteur entre dans l’exposition par la vie du
compositeur et cette vie finit par se confondre avec son œuvre. On termine par
les spectacles les plus récents représentés à l’Opéra de Paris : les
productions de Robert Wilson, Patrice Chéreau, Michael Haneke, Christoph
Marthaler et d’Anne Teresa De Keersmaeker… qui se sont tous attachés à donner
des visions personnelles et souvent inattendues des opéras de Mozart. L’un des
buts de l’exposition est de réinscrire ces spectacles dans une histoire de la
réception de Mozart en France, dans une généalogie des conditions de
représentation de ses opéras.
Laurence Decobert : Nous avons puisé dans les collections
conservées à la BnF : les manuscrits de Mozart, les éditions emblématiques du
XVIIIe et du début du XIXe siècles, mais aussi des pièces de la
bibliothèque-musée de l’Opéra, pour les spectacles de Mozart en France depuis
Les Petits Riens en 1778 : esquisse de décors, maquettes de costumes, livrets,
sources musicales et, pour les périodes récentes, photos de spectacles,
extraits audio et vidéo…
Comment définir la relation qu’a entretenue Mozart avec la France
de son vivant ? Peut-on parler de « rendez-vous raté » ?
L.D : Le premier voyage de la famille Mozart en Europe est un
succès phénoménal ! Les enfants prodiges sont présentés à l’aristocratie, à la
cour de Versailles et au Roi. Ils éblouissent tout le monde, on parle de «
génie », de « miracle »… C’est à Paris que le jeune Wolfgang va
connaître sa première édition d’œuvres… Puis vient l’ère des désillusions. Lors de son dernier voyage en
1778, Mozart a 22 ans et se rend dans la capitale avec l’espoir de trouver un
poste. Mais le public de l’aristocratie qui avait
admiré le petit prodige ne reconnaît pas le compositeur. En dehors des concerts
pour le Concert Spirituel, pour lequel il compose la Symphonie parisienne, les
autres rendez-vous sont assez décevants. À cela s’ajoute la mort de sa mère qui
l’avait accompagné à Paris... Finalement, il n’arrive pas à s’imposer dans le
milieu parisien et à trouver sa place.
J-M.V : Le seul travail fixe qu’on lui propose
est un poste d’organiste à la Chapelle Royale. Il comprend très bien qu’il
n’est pas fait pour ça et qu’il va s’ennuyer à Versailles... Il fait preuve de
lucidité car le centre de la vie musicale est à Paris et non plus à Versailles,
et il est clair que Mozart aurait enterré son talent comme organiste du roi.
Après sa mort, en 1791, ses œuvres sont
progressivement diffusées, mais dans des versions arrangées et adaptées au goût
français…
J-M.V : En 1793, l’Opéra de Paris décide en effet d’inscrire à son
répertoire Le Mariage de Figaro, qui est l’adaptation française des Noces de
Figaro. Tout est réorganisé : le livret, la musique, mais la principale
nouveauté consiste dans l’alternance de parties chantées et parties parlées :
on substitue aux récitatifs de Da Ponte, le texte de la comédie de
Beaumarchais. Le résultat est très déroutant pour les spectateurs, plutôt
habitués à entendre des paroles chantées... C’est un échec. Et ce n’est qu’en
1801 que le nom de Mozart est enfin célébré grâce à l’adaptation française de
La Flûte enchantée, sous le titre des Mystères d’Isis. Des décors somptueux,
des interprètes de premier plan, des ballets de Gardel, qu’on surnomme le
Mozart de la danse, transportent le public parisien.
S.H. : Lorsque les opéras de Mozart sont introduits en France, ils
sont adaptés ou réécrits. C’est comme si l’on considérait à l’époque que la
musique ne pouvait franchir les frontières culturelles, qu’elle ne pouvait être
importée en France sans qu’on l’ait rendue « audible », conforme au goût
français. Cette idée nous choque beaucoup aujourd’hui, car quel que soit le
répertoire – classique, rock, électro… – nous voyons la musique comme l’art qui
traverse les frontières par excellence… Mais ces traitements que l’on faisait subir
aux opéras de Mozart nous interrogent également sur le statut de l’œuvre
artistique. À l’époque, la partition n’était pas encore constituée comme un «
texte » qu’il convenait de respecter dans son intégrité.
L’exposition est donc aussi une plongée dans
la vie musicale parisienne du XIXe siècle…
J-M.V : Chaque théâtre avait ses exigences particulières. À l’Opéra
de Paris, il était impensable de jouer un opéra en italien, et il fallait aussi
ajouter des parties dansées. Les œuvres étaient adaptées pour plaire à un
public spécifique. Alors qu’au Théâtre Italien, par exemple, on représentait
les œuvres de Mozart dans un respect plus marqué à l’égard des partitions
originales. Ce lieu avait d’ailleurs un fort pouvoir de fascination sur les
happy few, avec ces œuvres qu’on découvrait pour la première fois avant leur
adaptation française.
Progressivement, les théâtres ont voulu être de plus en plus
fidèles aux œuvres de Mozart. En 1834, l’Opéra de Paris décide d’inscrire une
nouvelle version de Don Juan pour rompre avec celle de 1805. Mais il reste des
coupures, le sextuor final est amputé… On ajoute même un extrait du Requiem à
la fin, pour la rendre encore plus dramatique et solennelle ! L’Opéra a mis du
temps à être totalement fidèle à l’œuvre : elle a été jouée en français
jusqu’en 1960.
Mozart reste le compositeur le plus repris à l’Opéra de Paris…
Comment expliquer cet engouement toujours aussi présent, à quoi tient sa force
dramaturgique ?
S.H. : Mozart est devenu un mythe, qui a finalement envahi son
œuvre. Lorsque l’on dresse un panorama des mises en scène récentes de Mozart,
on se rend compte que beaucoup essaient de dépasser ce mythe, de sortir des
clichés de la représentation pour interroger des aspects plus inattendus, plus
sombres, plus tragiques de l’œuvre, en mettant l’accent sur le doute,
l’incertitude… Mozart lui-même écrivait à son père qu’il
fallait faire de la mort notre meilleure amie. Et puis, je pense que l’une des raisons pour lesquelles la musique
de Mozart inspire autant les metteurs en scène et les dramaturges, c’est
qu’elle conserve une certaine indépendance, notamment vis-à-vis du livret.
C’est flagrant dans Così fan tutte : il y a des passages où le texte dit
quelque chose et la musique une autre. Les metteurs en scène qui se sont saisis
de cette distance – Patrice Chéreau et plus récemment Anne Teresa De
Keersmaeker – ont donné des versions de « Così » extrêmement profondes.
En quelques mots, que diriez-vous aux visiteurs pour leur donner envie
de venir voir l’exposition ?
J-M.V : Les visiteurs pourront découvrir le manuscrit autographe de
Don Giovanni, qui est très rarement exposé. La dernière fois qu’il le fut au
Palais Garnier, c’était en 1887, lors d’une exposition pour le centenaire de l’œuvre.
C’est comme les comètes, il y en a une qui passe tous les siècles, et il n’y a
pas beaucoup d’occasions de les voir ! L’exposition donne aussi à voir les
fabuleuses maquettes de décor que l’architecte Charles Percier a créées pour
Les Mystères d’Isis en 1801 et permet de se replonger dans cet univers, où l’on
adaptait et prenait de grandes libertés avec l’œuvre de Mozart.
L.D. : Il y a seize points d’écoute, avec notamment la musique de
Mozart jouée par des orchestres sur instruments d’époque. Les passionnés de
Mozart pourront ainsi écouter un panel varié d’opéras, avec un petit aperçu de
ce que sa musique donnait en français. Et puis, il est passionnant de se
retrouver dans l’ambiance du Mozart du XVIIIe siècle, puis de celle des
théâtres au début du XIXe.
S.H. : Notre rapport à l’opéra est aujourd’hui
assez ritualisé. Découvrir que d’autres époques ont perçu la musique de Mozart
différemment est très intéressant pour le public d’aujourd’hui : cela nous
amène à réinterroger notre regard de spectateur, à l’enrichir, à le renouveler.
https://www.operadeparis.fr/magazine/mozart-une-passion-francaise
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