Par Antoine Michelland
Outre-Manche, ce navire est une légende et un
mystère. Pionnier de l’exploration des deux pôles, il disparaît en Arctique,
vers 1848. Jusqu’à ce que son épave soit retrouvée en… 2014. Dans son
remarquable livre, L’Erebus, Michael Palin, pilier des Monty Python mais aussi
ancien président de la Royal Geographical Society, remonte le fil du temps et
d’une incroyable aventure.
Jamais plus puissante mission d’exploration
polaire ne vit le jour. D’emblée placée sous les auspices de l’orgueilleuse confiance de l’amirauté
britannique. Le lundi 19 mai 1845, lorsque les vaisseaux Erebus et Terror, aux
ordres de sir John Franklin, appareillent à Greenhithe pour remonter la Tamise
puis mettre cap vers les Orcades, nul ne doute du succès de l’entreprise. D’ici
un an, ils auront reconnu et franchi le fameux passage du Nord-Ouest, aux
extrêmes canadiens, ouvrant enfin une route maritime au septentrion pour relier
Atlantique et Pacifique.
L'Erebus et le Terror partent explorer l’Arctique
Les deux navires partent auréolés de la gloire d’une exploration
antarctique sans précédent, achevée moins de deux ans plus tôt. L’Erebus,
baptisé en référence à Érèbe, fils de Chaos, et ainsi "associé au cœur
obscur des Enfers", comme l’écrit Michael Palin, est le dernier bâtiment
de type bombarde à sortir, en 1826, des chantiers navals britanniques. Comme le Terror, son aîné de treize ans, il appartient à une conception
désormais dépassée de la guerre navale. Mais sa robustesse le désigne pour la
grande aventure qui succède aux guerres napoléoniennes: l’exploration.
Déjà renforcés pour affronter les aléas d’une campagne antarctique
qui aura duré quatre années, les deux navires le sont de nouveau en vue de
l’expédition arctique qui les attend. Mieux, au risque de les alourdir plus que
de raison, on les dote chacun de moteurs de locomotive leur permettant
d’avancer si nécessaire à la force d’une hélice. Tant de vivres sont prévus
qu’il faut un navire d’escorte pour les transporter à travers l’Atlantique et
ne les charger à bord des bâtiments qu’une fois atteinte la baie de Disko, sur
la côte occidentale du Groenland. De quoi tenir cinq ans, au moins.
"Le 26 juillet, le capitaine Dannett du (baleinier) Prince of
Wales, repéra l’Erebus et le Terror par 74° 48’ de latitude nord et 66° 13’ de
longitude ouest (dans le nord de la baie de Baffin), lit-on sous la plume de
Michael Palin. Plusieurs officiers étaient montés à son bord pour s’entretenir
avec lui, et sir John Franklin l’avait invité à dîner sur l’Erebus." Un
autre capitaine de baleinier affirmera avoir aperçu le bout des mâts des deux
navires d’exploration jusqu’au 29 ou au 31 juillet 1845 et puis plus rien. Le
silence, le néant. Jusqu’aux expéditions de secours, tardives, aux impossibles
recherches pour savoir, comprendre, reconstituer… Et à ce 2 septembre 2014 où,
dans la baie de Wilmot et Crampton, au nord-ouest de la péninsule Adelaide,
l’épave de l’Erebus est découverte à faible profondeur.
Michael Palin,
comédien et auteur de nombreux récits de voyages. © John Swannell
De quoi aimanter Michael Palin. Car le célèbre comédien
britannique, membre éminent des Monty Python, est aussi réalisateur de
documentaires pour la BBC, auteur de nombreux récits de voyages, ancien
président de cette vénérable Royal Geographical Society qui encouragea les
explorations de l’Erebus, et amoureux depuis l’enfance des récits de mer.
Très vite, les mystères entourant le plus fameux navire de
l’aventure polaire britannique et les hommes qui s’y illustrèrent avant de
courir à leur perte deviennent pour lui une véritable obsession. De journaux de
bord en correspondances, de rapports d’expéditions en livres de souvenirs,
d’archives en recherches comme en voyages incessants sur la trace de l’Erebus
–depuis le chantier naval de Pembroke jusqu’au passage du Nord-Ouest, en
passant par l’Antarctique et chaque escale de ses deux campagnes
exploratoires–, Michael Palin reconstitue les pièces du puzzle. Un travail
passionné et passionnant que le lecteur peut aujourd’hui découvrir avec
L’Erebus, vie, mort et résurrection d’un navire.
Une mystérieuse et inquiétante disparition
Des gloires des pôles en courent les pages, et les océans glacés,
comme James Clark Ross, le plus bel officier de la Royal Navy, le premier homme
à avoir atteint le pôle Nord magnétique, le 1er juin 1831, le commandant entêté
de l’expédition antarctique de l’Erebus, de 1839 à 1843, longeant la grande
barrière… de Ross et allant jusqu’à 78° 9’ 30’’ de latitude sud, soit plus au
sud qu’aucun voilier n’est jamais allé et qu’aucun bateau n’ira jusqu’au début
du XXe siècle. Jeune aide-médecin embarqué dans cette même campagne, Joseph
Hooker publiera Flora Antarctica et s’imposera comme le grand botaniste de
l’ère victorienne.
Francis Crozier, second de l’expédition et capitaine du Terror,
remarquable marin mais d’un tempérament plus effacé, est l’homme des deux
voyages. Il reprend le commandement du Terror en 1845, cette fois en adjoint de
sir John Franklin. Un vétéran de l’Arctique qui n’était pas le premier choix de
l’amirauté pour mener la mission chargée d’ouvrir le passage du Nord-Ouest.
Sir John rentre de la Terre de Van Diemen (future Tasmanie) après
un mandat de lieutenant-gouverneur controversé, n’a plus commandé à la mer
depuis plus d’une décennie et va sur ses 60 ans. Mais Ross a décliné l’honneur. Et le vieux marin sera bien entouré avec
Crozier. Seulement, les bateaux sont trop lourds, l’expédition a été lancée
trop à la hâte et arrive en baie de Baffin alors que commencent ce que les
Inuits nommeront par la suite les "années sans été". Le destin, déjà,
tourne fatalité.
Portrait de sir John
Franklin, commandant de l’Erebus et de l’expédition. © akg-images
À Londres, l’alarme est donnée en 1847, par des personnalités mal
considérées. Franklin a dû hiverner à deux reprises? La
belle affaire. Il a encore de quoi tenir et l’envoi d’une expédition de secours
est prématuré, selon l’amirauté. Pourtant, l’inquiétude grandit et trois
missions mettent le cap sur l’Arctique quelques mois plus tard. Elles
rentreront bredouilles.
Il faut attendre 1850 pour que les premières traces de l’Erebus
soient enfin trouvées. Quelques fragments d’équipements et trois tombes sur l’île
Beechey, au nord-ouest du détroit de Lancaster. Deux cairns aussi, précieux
points de repère, mais dépourvus de message à l’intention d’éventuels
sauveteurs. Incompréhensible. Le mystère s’épaissit à mesure que s’installe la
certitude d’une tragédie.
D’ailleurs, l’affaire prend un tournant atroce avec les découvertes
de l’explorateur écossais John Rae. En avril 1854, alors qu’il effectue le
relevé de la côte arctique sur le rivage de la baie de Pelly, il rencontre un
Inuit, Inukpuhiijuk. Lequel "avait entendu parler d’un groupe de nombreux
hommes blancs qui étaient morts 'de l’autre côté d’un large fleuve', quelque
part à l’ouest." Il rachète au chasseur et à d’autres Inuits des reliques,
dont des couverts en argent au chiffre de Crozier.
Les derniers jours de la funeste expédition...
Peu à peu, "Rae rassembla les fragments de l’histoire de ce
qui semblait avoir été les derniers jours de l’expédition. On lui raconta qu’on
avait vu quarante hommes en provenance de l’île du Roi-Guillaume se diriger vers
le sud 'quatre hivers plus tôt', soit en 1850. Ils tiraient des traîneaux dont
l’un était chargé d’un canot. Aucun d’eux ne parlait l’inuktitut, mais ils
expliquèrent par des signes que leur navire (ou leurs navires) avait été pris
dans la glace et qu’ils avaient dû l’abandonner pour essayer de trouver de la
nourriture plus au sud."
Plus tard, 35 corps avaient été retrouvés sur deux emplacements,
non loin de l’embouchure de la rivière du Gros-Poisson. Les mutilations sur
certains cadavres laissaient penser à des actes de cannibalisme. Une révélation
que rejette l’Angleterre et dont elle pardonnera mal à Rae de s’être fait le
messager.
Gravure publiée dans
le livre Heroes of Britain, en 1880, et représentant Francis McClintock
rachetant aux Inuits des reliques de l’Erebus. © World History Archive/Abaca
En 1859, nouvelle découverte, capitale, la note de Victory Point,
laissée dans un tube à message, sur un cairn situé au nord-ouest de l’île du
Roi-Guillaume. Elle est de la main de James Fitzjames, second de l’Erebus, et
mentionne, dans un premier temps, la tentative de passage au nord, par le
chenal de Wellington, de l’expédition, contrainte de faire demi-tour pour
hiverner sur l’île Beechey.
Cette partie, datée du 28 mai 1847, se conclut sur les mots "tout
va bien". Bien différent est le ton de l’ajout écrit dans les marges de la
note et daté du 25 avril 1848: "Les navires de Sa Majesté Terror et Erebus
ont été abandonnés le 22 avril, à huit kilomètres au nord-nord-ouest, ayant été
enclavés par les glaces depuis le 12 septembre 1846." Sir John Franklin
est mort le 11 juin 1847. C’est depuis lors Francis Crozier qui commande,
cosigne l’addendum et ajoute, "nous nous mettrons en route demain, 26
avril (1848) pour la rivière du Gros-Poisson". Ils n’en virent pas
l’embouchure.
Cependant, d’autres témoignages inuits, recueillis en 1878,
permettent de déduire que les survivants s’étaient scindés en plusieurs
groupes, dont un, au moins, eut la force de rebrousser chemin jusqu’à l’Erebus
et au Terror où quelques moribonds résistèrent à un quatrième hiver. Puis
"les marins quittèrent de nouveau les navires pour aller chasser le
caribou, mais ils ne revinrent jamais." À la fin de l’année 1850, pas un
des cent vingt-neuf hommes de l’expédition Franklin n’était encore vivant. Même
si la légende de leur odyssée commençait tout juste à enflammer les
imaginations.
https://www.pointdevue.fr/histoire/le-recit-de-la-mysterieuse-disparition-de-lerebus_15027.html?xtor=EPR-1-[]-[20200608]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20200608
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