Compositrice reconnue par ses pairs à la fin du XIXe siècle, elle
se rêvait en Wagner français et fut même choisie pour célébrer les 100 ans de
la Révolution française en 1889. Occultée par la postérité comme beaucoup de
ses consœurs, elle bénéficie aujourd’hui d’une redécouverte amplement méritée.
Il est 20 heures, le 11 septembre 1889, quand le rideau s’ouvre à
l’intérieur du Palais de l’Industrie, à deux pas des Champs-Élysées. Sous la
nef monumentale du bâtiment édifié en 1855, une scène éphémère de 60 mètres de
profondeur sur 20 mètres de large et 30 mètres de haut a été dressée. Il faut
bien cela pour accueillir le décor panoramique imaginé par les peintres
Lavastre et Carpezat figurant les montagnes et les forêts de France, face à 400
musiciens dirigés par le chef Édouard Colonne. Dans la salle, vingt mille
spectateurs s’apprêtent à découvrir l’Ode triomphale imaginée par Augusta
Holmès pour commémorer le centenaire de la Révolution. Âgée de 42 ans, la
compositrice a réglé les moindres détails, texte et partition, de cette
production pharaonesque dont le coût se chiffre à 300 000 francs-or. À la fin
de ce spectacle hors norme, 1 200 choristes entourés par des jets de lumière
entonnent l’hymne final: "Gloire à toi, liberté, Soleil de l’Univers."
Le lendemain de la première des trois représentations prévues, la
presse est unanime, et le musicien Camille Saint-Saëns s’enflamme dans les
colonnes du Rappel: "Il fallait plus qu’un homme pour chanter le
centenaire; à défaut d’un dieu impossible à rencontrer, la république a trouvé
une muse." Quelques années plus tard, Augusta Holmès sera la troisième
femme, après Élisabeth Jacquet de La Guerre, auteure d’un Céphale et Procris,
et Louise Bertin, créatrice d’une Esmeralda, à être programmée sur la scène de
l’Opéra de Paris.
S'émanciper pour mieux triompher
Pourtant, dès le début du XXe siècle, les ouvrages historiques font
à peine allusion à la place qu’elle occupa dans la vie musicale de l’époque. Si
elle n’est pas la seule femme artiste à avoir pâti de cette mémoire sélective,
Augusta Holmès, femme dans un milieu artistique essentiellement masculin, fut
aussi un esprit libre au cœur d’une époque qui tolérait mal les écarts.
"Placée par sa naissance dans la classe élevée d’une société parfaitement
structurée, Augusta en a rejeté les codes et a vécu à la frange", résume
ainsi sa biographe Michèle Friang*.
"Le 16 décembre 1847 naquit à Versailles une enfant dont les
ancêtres avaient été rois d’Irlande. Cette enfant était, comme celles des
contes de fées, merveilleusement belle." Pour rédiger l’oraison funèbre de
celle qui fut sa belle-mère, l’écrivain Henri Barbusse n’hésite pas à enjoliver
légèrement son ascendance. Fille d’un ancien officier de cavalerie irlandais et
d’une descendante de clan écossais, Augusta grandit dans un milieu érudit et
original. Elle puise à volonté dans les 12 000 volumes de l’immense
bibliothèque rassemblée par son père dans son hôtel particulier à deux pas du
château et parle couramment, à 12 ans, l’italien, l’anglais et l’allemand. Elle
étudie la peinture et le piano, et bientôt l’harmonie et l’orgue. À 16 ans,
elle fréquente assidûment l’un des salons littéraires de Versailles où l’on
peut croiser les poètes Cazalis et Vigny –par ailleurs parrain d’Augusta– et
les musiciens Gounod et Saint-Saëns.
Courtisée par
plusieurs hommes, elle préfère Catulle Mendès, avec lequel elle aura cinq
enfants. © Culture Club/Getty Images
La beauté de sa chevelure blonde et de sa voix subjugue bon nombre
de ses fréquentations masculines, de Frédéric Mistral à Saint-Saëns en passant
par César Franck et Franz Liszt, qui en dépit de son âge ne reste insensible ni
à sa musique ni à ses charmes. "Chère Maestra, en comparaison de votre
Astarté, les œuvres des compositeurs les plus osés ne sont que bagatelles de
pensionnats de jeunes filles", lui écrit-il avec enthousiasme en 1872,
alors que plusieurs de ses œuvres ont déjà été produites sur les scènes
parisiennes.
Parmi tous ses soupirants, c’est sur le beau Catulle Mendès
qu’Augusta jette son dévolu. Il est pourtant déjà marié avec Judith Gautier, la
fille de Théophile. Qu’importe: Augusta va vivre avec lui une dévorante
passion, couronnée par la naissance de cinq enfants qu’elle ne souhaite pas élever,
trop occupée à travailler et à composer –à l’instar de Wagner, qu’elle a
rencontré et fréquenté en Allemagne, elle écrira elle-même les textes des 180
mélodies que compte son répertoire.
Sa quête vers le succès
Plus scrupuleux à l’égard de sa progéniture, Catulle "trouve
une solution aussi élégante que surprenante: il fait reconnaître par son père,
Tibulle Mendès, veuf, les enfants de sa maîtresse, devenant ainsi leur
demi-frère et créant un bel imbroglio juridique."* Augusta, elle, préfère
demander à Mallarmé de garder ses enfants pour chanter ses mélodies dans le
salon de la sulfureuse Nina de Callias, où l’on peut croiser Degas, Cézanne,
Manet ou Charles Cros, mais aussi Verlaine ou François Coppée.
Mais la gloire et la liberté ont un prix. En 1881, la nouvelle
création d’Augusta Holmès, Les Argonautes, remporte un véritable triomphe aux
Concerts populaires, lançant définitivement sa carrière et réhabilitant ses
pièces antérieures, tel ce Lutèce qui n’avait jamais été joué. "Que c’est
dur, l’ambition", confie-t-elle pourtant à son amie Méry Laurent, modèle
et maîtresse de Manet, inspiratrice de l’Odette de Crécy de Proust et future
compagne de Reynaldo Hahn.
Les trois filles de
la compositrice, peintes en musiciennes par Renoir dans ce tableau conservé au
Metropolitan Museum de New York. © Heritage Art/Heritage Images/Getty Images
Exigeante avec elle-même, Augusta Holmès l’est aussi avec ses
interlocuteurs, commanditaires ou interprètes, peaufinant jusqu’au dernier
moment l’orchestration de ses pièces. En 1890, la ville de Florence lui
commande un "Hymne à la paix" pour célébrer le 600e anniversaire de
la mort de la Beatrice de Dante. Le triomphe remporté est à la mesure du
travail colossal fourni par la musicienne. Comme le souligne Michèle Friang,
"même auréolée de ses succès parisiens ou florentins, elle doit toujours
batailler pour s’imposer."
Une femme qui réussit dans un monde d'hommes
À tel point que lorsqu’elle parvient, en 1895,
à faire donner son opéra La Montagne noire sur la scène du palais Garnier, la
presse se déchaîne sans ménagement. "Il semble que la composition
musicale, j’entends la grande composition, ne soit décidément pas besogne
féminine", juge le critique de la Revue des Deux Mondes. D’autres
journalistes avaient pourtant auparavant loué le caractère "viril"
des compositions d’Augusta.
Cet échec marque le déclin de sa carrière. "Elle a quand même
réussi à faire jouer son opéra treize fois, et cette mauvaise réception
ressemble fort à une cabale, souligne la soprano Aurélie Loilier, qui vient de
lui consacrer un disque de mélodies judicieusement baptisé L’Indomptable**.
Si la vie d’Augusta est éminemment romanesque, il ne faut pas
perdre de vue que son œuvre, tant par son ampleur que par sa qualité, mérite
vraiment d’être redécouverte et jugée au delà des critères de genre." Le
28 janvier 1903, la compositrice meurt brutalement d’une crise cardiaque, dans
une situation financière précaire et dans un relatif anonymat. Seul le don d’un
riche Anglais permet de la doter, à Versailles, de la sépulture dont elle
rêvait, dans laquelle une muse armée d’une lyre s’incline devant un médaillon à
son effigie. Méditant pour l’éternité la devise qu’elle s’était choisie:
"Ad augusta, per angusta": "Vers les hauteurs, par des chemins
différents."
* Augusta Holmès ou la gloire interdite, par Michèle Friang,
Éditions Autrement.
** Augusta Holmès, l’indomptable, Aurélie
Loilier (soprano) et Qiaochu Li (piano), 1 CD, Maguelone.
Par Pauline Sommelet
https://www.pointdevue.fr/personnalites/augusta-holmes-que-cest-dur-lambition_15382.html?xtor=EPR-1-[]-[20200717]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20200717
No hay comentarios:
Publicar un comentario