Depuis 2012, Giovanni Crea est le "clavigero"en chef des
Musées du Vatican, gardien des 2.797 clés qui ouvrent les portes des plus beaux
trésors de l’histoire de l’art mondial. Une mission extraordinaire pour cet
ancien carabinier persuadé que "la beauté sauvera le monde".
"Chaque matin, c’est une émotion unique. Une sensation
extraordinaire, qui n’est jamais la même, comme si je respirais un air magique
quand j’ouvre la porte de la chapelle Sixtine et que je contemple les fresques
de Michel-Ange, seul et en silence. Comment pourrais-je me lasser de
cela?" Au téléphone, la voix grave de Giovanni Crea se fait lyrique.
Aucune lassitude chez celui qui est entré au service des Musées du Vatican il y
a plus de vingt ans. À l’époque, il est un simple étudiant désireux de financer
ses études de droit –il voulait devenir magistrat!
"En travaillant ici, je suis tombé amoureux de l’histoire de
l’art. Il faut dire que j’étais aux premières loges! En tout, nous avons ici
7,5 kilomètres de musées, et les collections comportent aussi bien des vases
étrusques que des peintures chinoises, des manuscrits médiévaux ou les plus
belles statues des maîtres de la Renaissance italienne", confie celui qui
s’est formé en regardant les œuvres d’art et surtout en buvant les paroles de
l’historien de l’art et ancien ministre de la Culture Antonio Paolucci, qui fut
directeur des Musées jusqu’à 2016. "À chaque fois que j’en avais
l’occasion, j’écoutais ses explications. C’était un maître, un homme passionné et
passionnant."
Contempler la chapelle Sixtine seul, un
privilège pour lequel Giovanni Crea remercie le ciel chaque jour! © Alberto
Bernasconi/LAIF-REA
Le onzième "clavigero en chef" à
occuper cette charge
Devenu "clavigero", il est nommé en
2012 onzième "clavigero en chef" à occuper cette charge créée en 1970
–auparavant, c’était le maréchal du conclave, choisi parmi les aristocrates
romains, qui détenait l’une des clés les plus précieuses de l’impressionnant
trousseau: celle de la chapelle Sixtine.
Responsable d’une équipe de cinq personnes, Giovanni Crea maîtrise
aussi bien les aspects historiques des collections que les dimensions
techniques de son travail. "Nous nous répartissons les différentes zones
du musée, ainsi que l’ouverture et la fermeture. Le soir, il faut vérifier que les
œuvres n’ont pas subi d’altération pendant la journée. En temps normal, les
musées accueillent 25.000 personnes par jour, 4.500 seulement en ce moment à
cause de l’épidémie de coronavirus. Nous sommes donc en relation constante avec
les équipes d’électriciens, de menuisiers et avec les différents ateliers de
restauration qui font partie intégrante du Vatican."
En tout, 740 personnes entièrement dédiées à la conservation d’une
des plus belles collections d’œuvres d’art au monde. "Ma partie préférée demeure ce que l’on appelle le musée
Pio-Clementino, dans le palais du Belvédère, poursuit le clavigero. Ouvert en 1771, il
abrite le fameux Laocoon et ses fils assaillis par des serpents, une statue
antique redécouverte au XVIe siècle et achetée à l’époque par le pape Jules II.
On y trouve aussi L’Apollon et Le Torse dits du Belvédère, deux marbres
antiques qui inspirèrent Michel-Ange pour les fresques de la chapelle Sixtine,
notamment pour le visage et la poitrine, en rotation, du Christ."
S’il confesse un faible pour les peintures de
Michel-Ange, Giovanni Crea se passionne aussi pour l’inquiétante étrangeté des
statuettes étrusques ou pour la finesse de la calligraphie chinoise. "L’art a ce
pouvoir unique de relier toutes les personnes, quelles que soient leur culture
ou leur religion d’origine. C’est merveilleux d’assister à cela en direct, de
voir des visiteurs venus du monde entier en quête de cette émotion unique que
peut procurer la beauté", analyse celui qui croit fermement à la vocation
évangélisatrice des œuvres d’art. "Beaucoup ont été créées dans ce but.
Mais au-delà d’une quelconque signification théologique, la beauté en elle-même
a le pouvoir de nous rendre meilleurs."
Le "clavigero en chef" est aussi fier d’avoir eu
l’occasion de côtoyer trois papes différents. "J’ai commencé à travailler
ici durant le pontificat de Jean-Paul II. Je n’oublierai jamais le jour où mon
regard a croisé le sien, après une audience extraordinaire à laquelle j’avais
assisté alors que j’étais encore étudiant. C’était un échange d’une telle
humanité que je me souviens avoir pensé: 'Mon Dieu, j’espère que je pourrai
faire ce travail toute ma vie!' Au moment de sa mort, une chape de tristesse a
vraiment revêtu le Vatican. Le pape émérite Benoît XVI, je l’ai vraiment bien
connu car il travaillait ici avant son élection. Il était très simple avec nous. Le conclave qui a suivi sa démission a
aussi été un moment historique. C’était moins triste car le pape n’était pas
mort! Quant au pape François, il m’a fait le bonheur de recevoir ma maman en
audience privée juste avant qu’elle ne meure. Elle avait une telle dévotion pour lui que je pense que ce fut
l’une des plus grandes joies de sa vie."
Avant de raccrocher pour aller faire sa tournée du soir et de
vérifier que rien n’a été oublié dans les salles, Giovanni Crea conclut dans un
éclat de rire: "Vous savez, pour un chrétien, c’est quand même le plus
beau métier du monde!"
Par Pauline
Sommelet,
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