lunes, 13 de julio de 2020

GIOVANNI CREA, LE GARDIEN DES CLÉS DES MUSÉES DU VATICAN


Depuis 2012, Giovanni Crea est le "clavigero"en chef des Musées du Vatican, gardien des 2.797 clés qui ouvrent les portes des plus beaux trésors de l’histoire de l’art mondial. Une mission extraordinaire pour cet ancien carabinier persuadé que "la beauté sauvera le monde".

"Chaque matin, c’est une émotion unique. Une sensation extraordinaire, qui n’est jamais la même, comme si je respirais un air magique quand j’ouvre la porte de la chapelle Sixtine et que je contemple les fresques de Michel-Ange, seul et en silence. Comment pourrais-je me lasser de cela?" Au téléphone, la voix grave de Giovanni Crea se fait lyrique. Aucune lassitude chez celui qui est entré au service des Musées du Vatican il y a plus de vingt ans. À l’époque, il est un simple étudiant désireux de financer ses études de droit –il voulait devenir magistrat!

"En travaillant ici, je suis tombé amoureux de l’histoire de l’art. Il faut dire que j’étais aux premières loges! En tout, nous avons ici 7,5 kilomètres de musées, et les collections comportent aussi bien des vases étrusques que des peintures chinoises, des manuscrits médiévaux ou les plus belles statues des maîtres de la Renaissance italienne", confie celui qui s’est formé en regardant les œuvres d’art et surtout en buvant les paroles de l’historien de l’art et ancien ministre de la Culture Antonio Paolucci, qui fut directeur des Musées jusqu’à 2016. "À chaque fois que j’en avais l’occasion, j’écoutais ses explications. C’était un maître, un homme passionné et passionnant."


Contempler la chapelle Sixtine seul, un privilège pour lequel Giovanni Crea remercie le ciel chaque jour! © Alberto Bernasconi/LAIF-REA

Le onzième "clavigero en chef" à occuper cette charge
Devenu "clavigero", il est nommé en 2012 onzième "clavigero en chef" à occuper cette charge créée en 1970 –auparavant, c’était le maréchal du conclave, choisi parmi les aristocrates romains, qui détenait l’une des clés les plus précieuses de l’impressionnant trousseau: celle de la chapelle Sixtine.

Responsable d’une équipe de cinq personnes, Giovanni Crea maîtrise aussi bien les aspects historiques des collections que les dimensions techniques de son travail. "Nous nous répartissons les différentes zones du musée, ainsi que l’ouverture et la fermeture. Le soir, il faut vérifier que les œuvres n’ont pas subi d’altération pendant la journée. En temps normal, les musées accueillent 25.000 personnes par jour, 4.500 seulement en ce moment à cause de l’épidémie de coronavirus. Nous sommes donc en relation constante avec les équipes d’électriciens, de menuisiers et avec les différents ateliers de restauration qui font partie intégrante du Vatican."

En tout, 740 personnes entièrement dédiées à la conservation d’une des plus belles collections d’œuvres d’art au monde. "Ma partie préférée demeure ce que l’on appelle le musée Pio-Clementino, dans le palais du Belvédère, poursuit le clavigero. Ouvert en 1771, il abrite le fameux Laocoon et ses fils assaillis par des serpents, une statue antique redécouverte au XVIe siècle et achetée à l’époque par le pape Jules II. On y trouve aussi L’Apollon et Le Torse dits du Belvédère, deux marbres antiques qui inspirèrent Michel-Ange pour les fresques de la chapelle Sixtine, notamment pour le visage et la poitrine, en rotation, du Christ."

S’il confesse un faible pour les peintures de Michel-Ange, Giovanni Crea se passionne aussi pour l’inquiétante étrangeté des statuettes étrusques ou pour la finesse de la calligraphie chinoise. "L’art a ce pouvoir unique de relier toutes les personnes, quelles que soient leur culture ou leur religion d’origine. C’est merveilleux d’assister à cela en direct, de voir des visiteurs venus du monde entier en quête de cette émotion unique que peut procurer la beauté", analyse celui qui croit fermement à la vocation évangélisatrice des œuvres d’art. "Beaucoup ont été créées dans ce but. Mais au-delà d’une quelconque signification théologique, la beauté en elle-même a le pouvoir de nous rendre meilleurs."

Le "clavigero en chef" est aussi fier d’avoir eu l’occasion de côtoyer trois papes différents. "J’ai commencé à travailler ici durant le pontificat de Jean-Paul II. Je n’oublierai jamais le jour où mon regard a croisé le sien, après une audience extraordinaire à laquelle j’avais assisté alors que j’étais encore étudiant. C’était un échange d’une telle humanité que je me souviens avoir pensé: 'Mon Dieu, j’espère que je pourrai faire ce travail toute ma vie!' Au moment de sa mort, une chape de tristesse a vraiment revêtu le Vatican. Le pape émérite Benoît XVI, je l’ai vraiment bien connu car il travaillait ici avant son élection. Il était très simple avec nous. Le conclave qui a suivi sa démission a aussi été un moment historique. C’était moins triste car le pape n’était pas mort! Quant au pape François, il m’a fait le bonheur de recevoir ma maman en audience privée juste avant qu’elle ne meure. Elle avait une telle dévotion pour lui que je pense que ce fut l’une des plus grandes joies de sa vie."

Avant de raccrocher pour aller faire sa tournée du soir et de vérifier que rien n’a été oublié dans les salles, Giovanni Crea conclut dans un éclat de rire: "Vous savez, pour un chrétien, c’est quand même le plus beau métier du monde!"

Par Pauline Sommelet,
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