La grande distinction littéraire mondiale est remise ce jeudi 7. Les bookmakers parient sur l’écrivaine française. Ont-ils raison? La réponse autour de 13h, et pour attendre, voici un tour des hypothèses
Eléonore Sulser
Stéphane Gobbo
Elle figure ce mercredi en tête, à 8 contre 1, sur le site
britannique de paris de Ladbrokes, juste devant Ngugi wa Thiong’o – lui aussi
coté à 8/1 –, Haruki Murakami, challenger de toujours à 10/1, et Margaret
Atwood, autrice de La Servante écarlate. A la veille de l’attribution du Prix
Nobel de littérature, l’écrivaine française Annie Ernaux est considérée, par
les bookmakers, comme la plus «nobélisable» de toute la littérature mondiale.
Que signifie ce classement flatteur, noté par le Guardian et plusieurs autres médias? Est-il vraiment le signe d’une élection à venir? Seule l’annonce de la décision du jury suédois mettra véritablement fin à ces interrogations. Ce sera ce jeudi 6 octobre, à 13h – «au plus tôt», précise l’institution des Nobel. Pour autant, l’apparition d’Annie Ernaux en tête de liste ne va pas sans une certaine cohérence.
Première condition pour être distingué par les Nobel, la
traduction, notamment en anglais. Or, si Annie Ernaux, qui est née en 1940 et
publiée depuis 1974, est lue et étudiée depuis longtemps par le monde
universitaire anglo-saxon, son œuvre majeure, Les Années (The Years), publié en
français en 2008, n’a été traduite qu’une dizaine d’années plus tard;
L’Evénement (Happening), livre fondateur sur l’avortement, n’est lui aussi
sorti que récemment en anglais. La parution de The Years, très remarquée, avait
permis à Annie Ernaux de figurer en 2019 sur la dernière liste des prétendants
au Man Booker International Prize. Depuis, les traductions en anglais d’autres
livres de l’écrivaine se sont multipliées. Cette activité à la fois intense et
tardive de traduction explique peut-être pourquoi Annie Ernaux n’est pas
apparue plus tôt sur les listes des bookmakers – ce qui d’ailleurs est assez
bon signe, au vu de précédents exemples.
Pas assez de femmes
A ceci s’ajoute la rareté des lauréates féminines, 16 en tout et
pour tout. Seules neuf femmes ont obtenu un Prix Nobel de littérature au XXe
siècle, et déjà – c’est heureux – sept au XXIe siècle. Parmi ces 16 écrivaines,
cependant, on ne compte pas une seule francophone. La nomination d’Annie Ernaux
pourrait donc s’inscrire dans une logique qui incite les jurés à regarder du
côté des écrivaines et à varier les langues, les genres littéraires et les pays
distingués. Mais cette même logique pourrait aussi pousser les jurés à porter
leur regard sur l’Afrique, continent pauvre du Nobel de littérature avec
seulement quatre écrivains couronnés dans l’histoire du prix. A quoi s’ajoute le fait que l’an passé c’est déjà une femme, la poétesse
Louise Glück, qui a été élue.
Un prix qui serait mérité
Enfin, il faut le dire, Annie Ernaux mérite un
Prix Nobel de littérature. Son œuvre, largement autobiographique, possède une valeur à la fois
littéraire et historique. Si son écriture est «blanche», selon le terme
consacré, la façon dont elle regarde, aborde et restitue le réel visible et
invisible témoigne d’une maîtrise et d’un art remarquables et singuliers. Si
son travail est pour une part un retour à soi, à sa vie, il n’a rien de
nombriliste, au contraire. Il est dans la surprise, dans l’interrogation,
jamais dans le témoignage ou la thèse.
Ses livres – plus d’une vingtaine à ce jour – pour être personnels
n’en renvoient pas moins à la condition des femmes et racontent ce tournant
majeur qu’a représenté pour elles le XXe siècle, avec l’avènement des droits et
de la contraception. Mais Annie Ernaux ne se limite pas au monde féminin, dans
ses textes. C’est toute une époque qu’elle s’emploie à restituer, se faisant
ainsi l’autobiographe de toutes celles et ceux qui, comme elle, ont traversé la
seconde partie du XXe et le début du XXIe siècle. E. Sr.
https://www.letemps.ch/culture/un-prix-nobel-litterature-annie-ernaux-lidee-na-rien-dabsurde
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