viernes, 18 de octubre de 2013

PHILIPPE JAROUSSKY VOUS PARLE DE SON NOUVEL ALBUM, FARINELLI-PORPORA ARIAS




Le maître et l’élève
« J’ai toujours eu une certaine hésitation à aborder le répertoire du légendaire Farinelli, préférant plutôt mettre en lumière la carrière d’autres castrats moins connus comme Carestini il y a quelques années. Mais j’ai eu depuis l’occasion d’interpréter en concert quelques airs écrits pour lui et je m’y suis senti bien plus à l’aise que je ne l’aurais imaginé. Particulièrement ceux écrits par Nicola Porpora (1686-1768), compositeur célèbre à l’époque, mais très réputé aussi comme professeur de chant.
Je me suis ensuite intéressé à la relation maître-élève qui avait pu exister entre eux. Bien que nous ne disposions d’aucune source historique, il semble très probable que Porpora connaissait déjà Farinelli enfant, et que son avis a fortement pesé sur la décision de castrer le jeune prodige. Par la suite et pendant ses longues années d’apprentissage, Porpora a entièrement façonné le goût musical et la technique du jeune castrat. 
On ne peut aujourd’hui se figurer la souffrance des enfants castrés, ainsi que la rigueur de l'enseignement qu'ils suivaient pendant leurs années de conservatoire. Issus pour la grande majorité d'entre eux de familles pauvres, peu atteignaient la gloire sur les scènes d'opéras. Même si Farinelli était issu d’une famille de notables cultivés, Porpora, conscient des capacités exceptionnelles de son jeune élève, a probablement été extrêmement exigeant, voir tyrannique avec lui dès le début de sa formation de chanteur, dans le but de créer ce "monstre" vocal, capable de se jouer des plus incroyables difficultés. 
Et pourtant il est certain que s’est développé entre eux une relation père-fils, une vraie proximité, particulièrement à la mort du vrai père du jeune castrat. Je sais de ma propre expérience ce que signifie la relation entre un professeur et son élève. La voix est un instrument intime et personnel. Les événements de la vie s’y inscrivent.

 Lorsque j’ai consulté les manuscrits de Porpora, j’ai évidemment découvert beaucoup d’airs d’une virtuosité extrême. Mais parallèlement il y aussi des airs composés dans une tessiture plutôt centrale, pleins de douceur et souvent très lyriques. Je pense que c’est grâce à ces airs que l’on peut ressentir l’affection que portait le compositeur au castrat. Le plus bel exemple en est Alto Giove. Prenons aussi le pasticcio Orfeo créé à Londres, où Porpora a composé pour Farinelli cet ultime lamento « Sente del mio martir » : il sonne comme un adieu déchirant du maître avant le départ de Farinelli pour Madrid.
Certes, Porpora n’était pas un génie à la hauteur de son rival Haendel. Ses compositions dans le pur style napolitain cherchent d’abord à charmer le public ; ils sont aussi destinés avant tout à mettre en valeur les qualités de chaque chanteur. Et là, Porpora disposait d’un atout majeur : Farinelli lui-même. Personne ne connaissait sa voix aussi bien que lui, personne n’était capable de lui écrire des notes qui lui convenaient aussi bien. Même au sommet de sa gloire, Farinelli avait surement conscience de ce qu’il devait à son mentor.
Mais à la fin, la relation de pouvoir s’était probablement inversée : le professeur avait besoin de son élève. Le temps de l’opéra seria touchait à sa fin, le genre n’était plus à la mode et des compositeurs plus jeunes prirent sa place. Dans une lettre, Metastase mentionne à Farinelli que Porpora était décédé, seul et appauvri. Mais la créature de Porpora, le mythe Farinelli vit encore aujourd’hui. Il est grand temps de mieux faire connaitre son créateur. »
Philippe Jaroussky / propos recueillis par Axel Bruggemann
http://www.philippejaroussky.fr/

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