Le
metteur en scène est décédé lundi 7 octobre, victime à 68 ans, d’un
cancer.
Armestre/AFPPatrice Chéreau, en 2006, à Madrid
Il
travaillait à une nouvelle mise en scène de Comme il vous plaira de
Shakespeare, annoncée pour le mois de mars au Théâtre national de l’Odéon.
Avec
cet article
Il a
révolutionné le théâtre et l’opéra. Il a bouleversé le cinéma. Patrice Chéreau,
l’enfant prodige de la scène et de l’écran est décédé le 7 octobre, après
des années de lutte contre le cancer qui a fini par l’emporter. Célébré, porté
aux nues en France et au-delà, et, en même temps, sauvage, il était celui par
qui l’événement se crée ; par qui, aussi, le scandale arrive.
On se
souvient des réactions violentes d’une partie de la critique et du public face
à sa « relecture » de la Tétralogie de Wagner, présentée, avec Pierre Boulez,
à Bayreuth, en 1976 (une mise en scène qui fait référence depuis) ; on
n’a pas oublié le choc provoqué, en 1983, par son film L’Homme blessé,
descente aux enfers des amours interdites, à la désespérance crue, au lyrisme
douloureux et échevelé.
Cependant,
on garde tout autant en mémoire la splendeur des images et l’émotion directe et
brûlante suscitée par d’autres de ses films (La Reine Margot, Ceux
qui m’aiment prendront le train…, Intimité, Persécution…),
comme par la plupart de ses spectacles : Phèdre de Racine et La Douleur de Duras avec Dominique Blanc, parmi les
derniers, au théâtre ; l’ Elektra, de Richard Strauss, au festival d’Aix-en-Provence,
cet été. En cinquante ans de parcours, Patrice Chéreau a réalisé une dizaine de
films, signé autant de mises en scène à l’opéra, une quarantaine au théâtre.
Un
parcours qu’il a commencé très tôt. Né le 2 décembre 1944 à Lézigné, dans
le Maine-et-Loire, il fit ses débuts en amateur, à peine entré au Lycée
Louis-le-Grand. Un groupe de théâtre existe. Il le rejoint. S’y lie avec
d’autres « amateurs » qui ont, aussi, fait leur chemin (Jean-Pierre
Vincent, Jérôme Deschamps). Il s’essaie furtivement à être acteur (il a une
réplique dans Clitandre de Corneille !),
mais sa vocation est ailleurs : la mise en scène, le travail sur les textes et
sur le jeu des comédiens. À 19 ans, il se lance avec une adaptation de L’Intervention de
Victor Hugo.
Ce coup
d’essai est son premier succès. Désormais, Patrice Chéreau ne s’arrêtera plus,
courant le monde et la France. À 22 ans, il prend la tête, avec
Jean-Pierre Vincent, du Théâtre Gérard-Philipe à Sartrouville.
Il
gagne quatre ans plus tard le Piccolo Teatro de Milan, accueilli par l’Italien
Giorgio Strehler. Revient, en France, en 1972, au TNP de Villeurbanne, adoubé
par Roger Planchon. Il y propose, entre autres, une Dispute inoubliée
dont la mise en scène se résume en une phrase :
« Marivaux tient la porte et Sade fait son entrée ».
C’est
l’époque, encore, d’un pari fou : il monte avec Gérard Desarthe, l’intégrale du
drame d’Ibsen, Peer Gynt. Le spectacle dure neuf heures !
En
1982, Chéreau est nommé à la direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre.
Aussitôt, il y crée une école où se formeront Vincent Perez, Valeria Bruni
Tedeschi, Agnès Jaoui… Il révèle au grand public des artistes « invités »
comme Luc Bondy (aujourd’hui directeur de l’Odéon), et un jeune auteur dont il
deviendra le metteur en scène quasi-officiel :
Bernard-Marie Koltès. Il en sera même l’interprète, comédien que l’on
découvre fabuleux lors des reprises de Dans la solitude des champs de coton,
d’abord avec Laurent Malet, puis avec Pascal Greggory.
En
1990, Patrice Chéreau abandonne de lui-même le Théâtre des Amandiers. À peine
sa liberté retrouvée, il revient au cinéma pour tourner Intimité. L’opéra ne l’attendra pas longtemps : en
1993, il s’attelle au Wozzeck de Berg, présenté au Châtelet, puis à
Berlin et à Tokyo.
De
fait, il semble ne s’être jamais arrêté, brûlant sa vie au rythme fou de son
travail. Approfondissant en permanence l’art de diriger les acteurs, leur
imprimant une pulsion que ceux-ci n’auraient jamais pensé posséder en eux.
Cherchant, avec une obstination toujours plus forte, à faire rendre leur vérité
aux corps.
Héritage
d’un père peintre qui, avouera-t-il, lui a tout appris de l’art, de
l’architecture, des volumes, de l’espace, et qu’il n’a jamais vu en repos.
Mais, aussi, manière d’aller au bout de soi et de son existence, que l’on a
retrouvé jusque dans ce sentiment de violence submergeant le spectateur à
chacune de ses mises en scène, au théâtre comme au cinéma.
Elle
est le signe d’un artiste à l’exigence toujours insatisfaite, le regard
fiévreux, semblable à celui du Bonaparte qu’il interprétait, en 1985, dans le
film de Youssef Chahine – un « regard qui voit tout, attentif au
moindre détail, sans que rien lui échappe », confie le cinéaste
Stéphane Metzge. « Chéreau pensait toujours qu’il pouvait aller plus
loin, comme un ébéniste qui raboterait, poncerait sans cesse un meuble pour en
améliorer la courbe. »
C’était
il y a trois ans, dans La Croix. Patrice Chéreau était l’invité du Louvre. Pendant deux mois, le
musée lui avait ouvert ses salles pour y organiser des rencontres, des
lectures, des concerts, un parcours musical, de la danse, des projections
d’opéras et de théâtre, un cycle cinéma… ainsi que la création, dans le Salon
Denon, de la pièce du Norvégien Jon Fosse, Rêve d’automne : un
spectacle troublant, traversé par l’obsession la disparition et du néant. À
l’instant précis du passage de la vie à la mort. À l’exact point
d’intersection, quand les deux ne font plus qu’un.
Récompenses
au théâtre
Hamlet :
Molière du meilleur en scène en 1989.
Le
Temps et la Chambre : Molière du meilleur spectacle public en 1992.
Dans
la solitude des champs de coton :
Molière du meilleur metteur en scène, en 1996.
Phèdre :
Molière du meilleur spectacle service public en 2003.
Prix
Europe pour le Théâtre et Grand Prix de la Sacd en 2008
Au
cinéma
L’Homme
blessé : César du meilleur scénario, en 1984
La
Reine Margot : prix du jury et prix d’interprétation féminine (Virna Lisi), à
Cannes, en 1994 ; César de la meilleure actrice (Isabelle Adjani) et des meilleurs
seconds rôles féminin et masculin (Virna Lisi et Jean-Hugues Anglade) en 1995.
Ceux
qui m’aiment prendront le train… : César
du meilleur réalisateur, du second rôle féminin (Dominique Blanc) et de la
photographie (Éric Gautier) en 1999.
Intimité : Ours
d’or et Ours d’argent de la meilleure actrice (Kerry Fox) à Berlin. Prix Louis
Delluc en France, en 2001.
Son
frère : Ours d’argent à Berlin, en 2003. Cette année-là, Chéreau préside le
jury du festival de Cannes.
DIDIER MÉREUZE
http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Deces-de-Patrice-Chereau-l-homme-brule-2013-10-08-1036519
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