Pour la première fois, la
fondation Bemberg à Toulouse, en collaboration avec le musée des Arts
décoratifs de Paris, dévoile les cent quatre-vingts têtes de mort et autres
vanités collectionnées au début du XXe siècle par l'épouse du baron Henri de
Rothschild. Sophie Motsch, la commissaire de l'exposition, évoque la passion étonnante
de cette grande dame.
C'est à la faveur d'une
nécrologie que le grand public a appris l'existence de cette insolite
collection…
À la mort de la baronne en
1926, Le Cousin Pons, "revue des collectionneurs et des curieux",
s'est en effet étonné de son goût pour les têtes de mort, les squelettes et
autres memento mori. L'article oppose à cette drôle de collection les goûts
jugés plus féminins pour les bibelots, les éventails ou les bijoux. Il explique
aussi que c'était une passion qu'amis et marchands connaissaient puisqu'ils lui
signalaient les pièces chez les brocanteurs.
Cette statuette en ivoire
sur socle en bois noirci figure Eros chevauchant un crâne (France, probablement
XVIIIe siècle). Courtesy of Luc Castel
Vingt ans plus tard, le
baron Henri écrit un ouvrage au sujet de son épouse. Que raconte-t-il?
Ce livre intitulé Une dame
d'autrefois est assez élogieux, mais la baronne y apparaît comme une femme
compassée. Pour moi, elle était tout le contraire! Chose étrange, il ne parle
pas de sa collection. Je me demande si cela ne dénote pas un certain mépris,
compte tenu du prestige des collections Rothschild. Le baron Henri était
lui-même collectionneur, dans le domaine de la bibliophilie notamment. Une
passion héritée de son père, le baron James. Fou de théâtre, il a aussi écrit
de nombreuses pièces sous pseudonymes. Il a surtout entrepris des études de
médecine afin de dispenser des soins aux miséreux. Il était donc une personnalité
un peu à part dans la dynastie des banquiers Rothschild.
Qui était la baronne, cette
collectionneuse si particulière?
Mathilde de Weisweiller est
née à Francfort. Dans son portrait par Jean Béraud, exécuté pour son mariage en
1895 avec Henri de Rothschild, elle apparaît coquette. Les photographies des
années 1920 la montrent plus austère, parfois habillée en costume de chasse ou
en conductrice automobile. Avec la duchesse d'Uzès, elle a fondé l'automobile
club des femmes à Paris. C'était une forte personnalité.
En vignette, Mathilde de
Rothschild à Paris en 1897. MAHJ
Lors de la Première Guerre
mondiale, en tant qu'infirmière, elle a dirigé des opérations sur le front et à
l'hôpital de Gouvieux, près de Chantilly, qui lui ont valu la Légion d'honneur.
Elle raconte son expérience dans Les Ailes blanches sur la Croix-Rouge, un
livre étonnant. Elle a aussi traduit de l'allemand deux ouvrages d'un
neurochirurgien d'origine polonaise. Son intérêt pour la médecine me semble
être déterminant dans sa collection. L'aspect drolatique de certaines pièces
dénote d'ailleurs un esprit carabin.
Avant de léguer ses 180
objets au musée des Arts décoratifs de Paris, où les conservaient-elles?
Dans ses deux résidences.
D'une part, au château de la Muette dans le jardin du Ranelagh, qui est
aujourd'hui le siège de l'OCDE. Le baron a fait construire ce pastiche de style
Louis XIV en 1921 à une époque où l'on préférait le néo-Louis XV, ce qui révèle
un goût particulier. Les meubles Art déco étaient signés Ruhlmann. J'ai
pourtant beaucoup de mal à imaginer la collection dans un tel décor. Je la vois
davantage dans leur deuxième résidence, une abbaye cistercienne que la baronne
Charlotte, grand-mère du baron Henri, avait achetée dans la forêt de
Rambouillet et meublée de façon gothique.
Parmi les objets, des
épingles de cravate sont comme des clins d'œil à la famille Rothschild…
Elles présentent en effet
des caricatures de banquiers telles qu'ils apparaissent dans les gravures, dès
le milieu du XIXe siècle. Le crâne à l'aspect hautain porte des lorgnons et
fume un cigare rougeoyant. Cela indique, pour moi, une forme d'autodérision
puisqu'elle savait très bien d'où était issue la famille de son mari. Une autre
épingle est mue par un système électrique. La tête claque des dents et roule
ses yeux en diamant.
Parmi les épingles de
cravate caricaturant un banquier fumant le cigare, celle-ci est en or, émail et
diamants taille rose (Paris, vers 1890-1900). Courtesy of Luc Castel
Les objets japonais forment
un ensemble particulier. La baronne a-t-elle sacrifié à la vogue du japonisme
de cette époque?
Elle en possédait une bonne
vingtaine mais elle se focalisait avant tout sur le motif. Tous ses netsuke,
attaches pour kimonos, et ses okimono, bibelots à visée symbolique, présentent
des têtes de morts. La quantité semblait en réalité primer pour la baronne. De
nombreux objets sont fragmentaires, faits de matériaux communs ou exécutés
maladroitement. Cette petite tête peut faire penser à Dark Vador, et cette
autre au personnage de Requin dans James Bond. La naïveté du traitement a
quelque chose d'assez réjouissant. Il y a du Tim Burton là-dedans. Et
coïncidence amusante, le cinéaste vit avec l'actrice Helena Bonham Carter qui
est, par sa grand-mère, apparentée à une autre branche de la famille
Rothschild.
Même pas peur! Collection
de la baronne Henri de Rothschild, jusqu'au 30 septembre 2018, Fondation Bemberg,
hôtel d'Assézat, Toulouse.
www.fondation-bemberg.fr
http://www.pointdevue.fr/culture/la-mysterieuse-collection-de-la-baronne-henri-de_6538.html
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