Jérôme Lachasse
Le mythique acteur d'"A bout de
souffle", du "Magnifique" et du "Professionnel" est
mort à l'âge de 88 ans.
Il a été le Professionnel, l'Incorrigible, le Guignolo, l'As des As et surtout le Magnifique. Des années 1960 à 1980, il a été le roi du box-office, réunissant près de 130 millions de spectateurs dans les salles obscures. Surnommé affectueusement "Bébel", Jean-Paul Belmondo a été l'un des acteurs les plus populaires du cinéma français, alliant charme, gouaille et muscles. Il est mort le 6 septembre 2021 à l'âge de 88 ans.
Terrassé par un AVC en 2001, Jean-Paul Belmondo s'était éloigné des
plateaux de cinéma et réservait ses apparitions publiques aux manifestations
sportives qu'il affectionnait tant. Toujours accompagné de son fidèle ami Charles
Gérard, il continuait d'afficher son large sourire carnassier qui a contribué à
son succès. Son aura n'a jamais cessé de briller, notamment grâce aux multiples
diffusions à la télévision de ses classiques et aux acteurs de la nouvelle
génération qui l'adulent et s'inspirent de ses prestations.
"Enfant, je voulais ressembler à un homme
comme lui", a ainsi déclaré Jean Dujardin. "Bébel" a dû être ému
par ce compliment, lui qui a subi à ses débuts la vindicte de son professeur
d'art dramatique Pierre Dux: "Avec la tête qu'il a, il ne pourrait jamais
prendre une femme dans ses bras, car cela ne serait pas crédible", avait
asséné l'homme. Tout au long de sa carrière, "Bébel" n'a eu de cesse
de déjouer ce pronostic.
Un fils d'artistes refoulé plusieurs fois au
Conservatoire
Né le 9 avril 1933, Jean-Paul Belmondo est le
fils du sculpteur Paul Belmondo et de l'artiste peintre Sarah Rainaud-Richard.
A l'école, le jeune Jean-Paul n'est pas très assidu, mais pratique avec passion
le sport sous toutes ses formes: football, cyclisme et, bien sûr, boxe. Mis au vert après
une crise de tuberculose, Jean-Paul Belmondo a une épiphanie: il sera comédien,
ou rien. Après plusieurs tentatives, Bébel réussit à intégrer en 1952 le
Conservatoire national supérieur d'art dramatique, où il forme avec Jean
Rochefort, Jean-Pierre Marielle et Bruno Cremer une bande de joyeux drilles, la
fameuse "bande du Conservatoire".
Parallèlement au Conservatoire, Jean-Paul Belmondo débute au théâtre en jouant Musset, Molière et Anouilh, puis se lance au cinéma. En 1958, il apparaît dans deux films: Les Tricheurs de Marcel Carné, dont il n'apprécie guère le tournage, et Un drôle de dimanche, où il côtoie Bourvil et Danièle Darrieux. Sa carrière démarre doucement, mais il est heureux et marié à Renée Constant avec qui il a trois enfants: Patricia, Florence et Paul.
Sa prestation dans Un drôle de dimanche ne
passe pas inaperçu. Dans les Cahiers du Cinéma, Jean-Luc Godard écrit une
critique assassine du film réalisé par Marc Allégret, mais loue le jeu de
Belmondo, qu'il compare à celui de Michel Simon. Une rencontre a lieu entre les deux hommes et Jean-Luc Godard
engage l'acteur pour son court-métrage Charlotte et son jules. Mobilisé, Belmondo doit se rendre en Algérie, où la guerre fait rage, et
c'est Godard qui doublera Belmondo dans le film.
La révolution "A bout de souffle"
A son retour, le comédien retrouve Jean-Luc
Godard qui prépare son premier long-métrage, A bout de souffle. Belmondo
décroche le rôle principal, celui de Michel Poiccard, un voyou en fuite après
le meurtre d'un gendarme dans le sud de la France. Arrivé à Paris, celui-ci
démarre une liaison avec une Américaine jouée par Jean Seberg. Entre l'acteur et
Godard, le courant passe mal:
"Tout m'horripile chez lui. Et d'abord
ses lunettes noires. J'ai envie de les jeter dans le caniveau. Et sa diction, d'une
lenteur...", a raconté l'acteur dans Paris Match en 2016.
Puis le tournage débute, Godard improvise, laissant une grande
liberté à ses comédiens. Belmondo a une nouvelle épiphanie:
"Jamais je ne m'étais senti aussi libre", confessera-t-il plus tard.
Dès sa sortie, A bout de souffle rencontre un immense succès. La carrière de
Belmondo est lancée. La prophétie de Pierre Dux sur son physique s'est avérée
fausse:
"A partir d’A bout de souffle, ça a vraiment été comme dans
les contes de fée. Le téléphone a sonné du matin au soir. Je pensais que ça
n’allait pas durer. Alors, j’ai accepté beaucoup de films", a raconté
Jean-Paul Belmondo à Première. "Ça a été un rêve: tout à coup, je me suis
retrouvé dans les bras de Sophia Loren, de Gina Lollobrigida et de Claudia Cardinale!"
"On n’est pas des guignols"
Sa carrière lancée, Belmondo poursuit son exploration de la
Nouvelle Vague. Il travaille ainsi avec Peter Brook sur Moderato Cantabile
(1960), puis retrouve Godard pour la comédie musicale Une Femme est une femme
(1961) et collabore avec Jean-Pierre Melville sur Léon Morin, prêtre (1961), Le
Doulos (1962) et L'Aîné des Ferchaux (1963). Sur le tournage de ce dernier
film, Belmondo se brouille avec Melville et quitte le plateau avant la fin du
tournage, énervé par le comportement du réalisateur.
Si Jean-Luc Godard a fait de lui une icône du cinéma, leurs chemins se séparent rapidement. Après Pierrot le fou (1965), qui fera scandale à sa sortie, le duo ne retravaillera plus ensemble. Belmondo s'oriente alors vers un cinéma plus commercial et s'appuie rapidement sur une poignée de cinéastes pour ses projets: Jacques Deray (quatre films), Georges Lautner (cinq films), Philippe de Broca (six films), Henri Verneuil (huit films).
"Il était inarrêtable"
Jean-Paul Belmondo est proche de Henri Verneuil et de Philippe de
Broca depuis le début des années 1960. Le premier est un vieux de la vieille, auteur
d'une dizaine de comédies à succès avec Fernandel. Le second est un
jeune turc de la Nouvelle Vague. Avec Philippe de Broca, "Bébel"
livre des films colorés et picaresques comme L'Homme de Rio (1964, inspiré de
Tintin), Les Tribulations d'un Chinois en Chine (1965, inspiré de Jules Verne),
ou encore Le Magnifique (1973, inspiré de James Bond).
Avec Henri Verneuil, Belmondo privilégie les récits de guerre
(Week-end à Zuydcoote, Cent mille dollars au soleil, Les Morfalous) ou les
polars urbains (Peur sur la ville, Le Corps de mon ennemi). C'est cette veine-là qu'il favorise également dans les années 1970 et 1980
avec Georges Lautner (Flic ou voyou, Le Professionnel) et Jacques Deray (Le
Marginal, Le Solitaire). Dans ces films, il peut aussi s'y donner à cœur joie et réaliser
lui-même des cascades complètement folles - devenues sa marque de fabrique. Le
cascadeur Rémy Julienne se souvient de cet acteur que rien ne pouvait arrêter:
"Non seulement il n'a jamais refusé [de réaliser une cascade],
mais il n'en avait jamais assez. Il était inarrêtable. Avec lui, c'était
toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus loin. Jean-Paul est un
'animal' très, très spécial: il avait une confiance absolue, ce qui est
extrêmement rare, y compris de la part de cascadeurs professionnels".
Avec Alain Delon, "une amitié qui ne
s'est jamais tarie"
Principalement actif dans le genre policier, Belmondo accepte aussi
de jouer dans quelques fictions historiques. Il le fait d'une manière amusante:
là où les acteurs acceptent de se fondre dans l'époque où se déroule
l'intrigue, Belmondo conserve quoi qu'il arrive ses favoris ou sa coupe de
cheveux des années 1960-1970. C'est le cas dans Le Voleur de Louis Malle
(1967), dans Les Mariés de l'an II de Jean-Paul Rappeneau (1971), dans L'As des
As de Gérard Oury (1982) ou encore dans Borsalino de Jacques Deray (1970).
Grand succès populaire à sa sortie, Borsalino met en scène dans le
Marseille des années 1930 la rencontre entre les deux poids lourds du cinéma
français de l'époque: Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Leur amitié, qui a
débuté en 1957, ne "s'est jamais tarie" malgré un conflit juridique
pour une formulation contractuelle non respectée sur l'affiche de Borsalino:
"Le hasard nous a épargnés en nous évitant la concurrence. Le
seul rôle que je devais tenir et qu'il aura finalement eu sera celui de
Monsieur Klein. Et encore, nous ne serons pas en lice en même temps",
a-t-il raconté dans son autobiographie Mille vies valent mieux qu'une, avant de
conclure, fair-play: "Il était parfait dans la peau de cet homme traqué
par les nazis, bien mieux que je ne l'aurais été".
"Si je n’avais pas tourné avec Verneuil, Pierrot le Fou ne se
serait pas fait"
Jean-Paul Belmondo a toujours été lucide sur sa carrière. Si
"Bébel" n'hésite pas à prendre des risques en jouant dans La Sirène
du Mississipi de François Truffaut (1969) ou dans Stavisky... d'Alain Resnais
(1974), la donne change au milieu des années 1970. L'échec de Stavisky... au
box-office pousse l'acteur, persuadé que le public ne veut pas le voir dans des
rôles négatifs, à privilégier les films à grand spectacle de Philippe de Broca
ou d'Henri Verneuil.
A partir de cette période, le succès est toujours au rendez-vous,
mais les films sont de moins en moins marquants. Une forme de lassitude
s'instaure, même si Belmondo mobilise toujours les foules (Le Professionnel et
L'As des As séduisent chacun 5 millions de spectateurs au début des années
1980). S'il reconnaît que certains longs-métrages de cette période, comme Le
Guignolo par exemple, ne sont pas des chefs-d’œuvre, Belmondo a toujours
défendu le savoir-faire de ses réalisateurs attitrés.
"Deray, Lautner ou Verneuil sont des réalisateurs qu’on a
souvent massacrés. Ils ont pourtant beaucoup apporté au cinéma français. Ce
sont de très bons metteurs en scène de ce genre de cinéma", expliquait-il
en 1995 à Première. "Si je n’avais pas tourné avec Verneuil, Pierrot le
Fou ne se serait pas fait, et Stavisky ou La Sirène du Mississippi n’auraient
pas existé!"
"Je n'ai jamais manqué de courage"
Les titres de ses films dans les années 1980 traduisent malgré tout
l'essoufflement de la recette: Le Marginal, Le Solitaire... Conscient de s'être
enfermé dans un genre, Belmondo remonte en 1987 sur scène après trente ans
d'absence pour jouer Kean de Jean-Paul Sartre. C'est à cette période que Claude
Lelouch le contacte pour un rôle taillé sur mesure: celui de Sam Lion dans
Itinéraire d'un enfant gâté (1988). Son rôle de chef d'entreprise lassé par la
vie, qui évoque à demi-mots le parcours de "Bébel", lui permet enfin
de décrocher en 1989 le César du meilleur acteur - qu'il refuse. Après ce
film-somme Itinéraire d'un enfant gâté, Belmondo joue dans une dizaine de longs-métrages,
dont Les Misérables de Claude Lelouch (1995), Une chance sur deux de Patrice
Leconte (1998) et Peut-être de Cédric Klapisch (1999).
Terrassé en 2001 par un AVC un mois avant la diffusion du téléfilm L'Aîné des Ferchaux, Belmondo a mis huit ans pour retrouver ses capacités motrices. Grâce au sport, il remonte la pente: "Le sport m'a sauvé plus par rapport à l'état d'esprit qu'il procure que par rapport à l'état physique dans lequel je me trouvais", a-t-il expliqué en avril 2018 au Parisien. Loin des plateaux, il ouvre un musée consacré à l'œuvre de son père Paul Belmondo et profite de sa fille Stella Eva Angelina, née en 2003 de son union avec Natty Tardivel.
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En 2008, Belmondo trouve la force pour retourner devant la caméra.
Dans Un homme et son chien de Francis Huster, remake d'Umberto D. de Vittorio
De Sica, il donne la réplique à la nouvelle génération du cinéma français, dont
Jean Dujardin. Malgré l'échec du film, Belmondo n'a jamais renoncé à
réapparaître au cinéma. Après dix ans d'absence, il avait accepté la
proposition de Fabien Onteniente de jouer dans le road-movie Coup de chapeau.
Mais le tournage avait été annulé. En 2017, Jean-Paul Belmondo avait reçu un César
d'honneur. Ovationné par le cinéma français, "Bébel" avait déclaré:
"Je n'ai jamais manqué de courage, ce qui fait que je suis là".
https://www.bfmtv.com/people/cinema/l-acteur-jean-paul-belmondo-est-mort-a-l-age-de-88-ans_AN-202109060296.html
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