miércoles, 18 de mayo de 2016

LE JOUR OÙ LEAR A ÉTÉ CRÉÉ AU PALAIS GARNIER SOUVENIRS D’UN MÉLOMANE



Peter Gottlieb (Lear) et David Knutson (Edgar). Opéra de Paris, 1982
© Daniel Cande

Alors que Lear est donné cette saison pour la première fois en version originale à l’Opéra de Paris, Claude Samuel – artisan de la musique en train de se faire et témoin de plusieurs décennies de création – ravive ses souvenirs et nous raconte l’événement que constitua la création en version française de l’opéra d’Aribert Reimann en 1982 au Palais Garnier.    
Lorsqu’en novembre 1982 (était-ce le mercredi 3 ?), j’ai assisté à la création française du Roi Lear, l’opéra d’Aribert Reimann, à l’Opéra de Paris, Bernard Lefort avait succédé depuis deux ans à Rolf Liebermann à la tête de l’institution, mais c’est très vraisemblablement le précédent patron, parfaitement au courant de l’actualité des scènes allemandes, qui avait eu l’initiative de cette première française. C’était une nouveauté pour la France où le nom de Reimann n’était connu que d’une poignée de spécialistes (est-ce si différent aujourd’hui ?), mais l’ouvrage, créé à l’Opéra de Munich le 9 juillet 1978 dans la mise en scène de notre compatriote Jean-Pierre Ponnelle, avait déjà connu une diffusion internationale – monté dans quelques autres villes allemandes ainsi qu’aux Etats-Unis, enregistré sur un disque que diverses académies avaient couronné.
La présence de Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre, cet immense interprète qui avait soutenu dès le départ, sinon même suscité, le projet de Reimann, avait largement contribué à ce spectaculaire lancement. Je ne sais si Fischer-Dieskau avait été sollicité pour Paris, mais mon premier Lear fut Peter Gottlieb, baryton tchèque de naissance, naturalisé français. Et si j’en juge par l’article que j’ai rédigé dans la foulée, il incarna avec une belle violence la démence royale (parfait dans « l’hallucination », ai-je noté). Brèves mentions sur la mise en scène de Jacques Lassalle et les décors de Yannis Kokkos, sinon pour préciser que, « jouant avec talent le destin individuel, ils ont nécessairement (ce « nécessairement » me paraît, après coup, assez gratuit, mais révélateur des soucis de l’époque) évacué les références historiques, quitte à banaliser des personnages portant le complet-cravate. » Pas de réserve pour la « superbe » direction musicale du « jeune chef » Friedemann Layer - aujourd’hui largement septuagénaire - qui fut l’assistant d’Herbert von Karajan et de Karl Böhm avant d’attacher son nom aux opéras de Düsseldorf et de Mannheim. À Paris, en ce novembre 82, rien que des compliments pour l’Orchestre de la maison et son chef. Il est vrai que les musiciens de l’Opéra s’étaient attaqués à une forte partie l’année précédente avec la musique de György Ligeti pour ce Grand Macabreservi (desservi, dirent certains) par la mise en scène très provocante de Daniel Mesguich. L’année suivante, ils auront sur leur pupitre l’énorme partition du Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, un opéra que Rolf Liebermann avait commandé à Messiaen huit ans auparavant, et qu’il ne découvrira qu’en spectateur.


Friedemann Layer (chef d’orchestre) et Aribert Reimann lors de la création de « Lear » au Palais Garnier © Daniel Faunières

Seule réserve, mais de taille, pour ce nouveau Roi Lear. L’inintelligibilité du texte, chanté en allemand dans mon souvenir mais, en réalité, dans la « transposition française » d’Antoinette Becker (1920-1998), traductrice et auteur d’ouvrages consacrés notamment à la jeunesse. De toute façon, les surtitres n’étaient pas encore le passage obligé et très opportun du répertoire lyrique. Pourtant depuis certaines confidences de Richard Strauss, en particulier sa correspondance avec le compositeur Gustave Samazeuilh – une haute silhouette, toujours remarquée dans les premières de Garnier –, les amateurs d’opéra savaient bien que les auteurs tiennent à se faire comprendre, même s’ils n’effectuent pas le service minimum ...
Commentant l’irruption shakespearienne à Garnier, j’ai noté : « Tessiture hypertendue de certaines lignes vocales, déchaînement impressionnant de la masse orchestrale (c’est Strauss qui disait à un chef d’orchestre pendant une répétition : Plus fort ! J’entends encore les voix…). » Et, en guise de conclusion, je conseillais à mes lecteurs « le rideau baissé, de relire d’urgence la pièce de Shakespeare. » Remarque finale, ambiguë je dois dire : « Lear d’Aribert Reimann est une éclatante réussite dans la mesure où l’on y touche du doigt l’irréductibilité des grands chefs-d’œuvre. » Reimann était (et sera) familier des grands textes : Strindberg, Euripide, Kafka, Federico García Lorca… Le secrétaire de rédaction du journal titra très objectivement mon papier : « Le Roi Lear au Palais Garnier » ; mais, dans un encadré concernant cet inconnu de Reimann, il annonça : « La réconciliation de la création et des grands chanteurs ».

https://www.operadeparis.fr/magazine/le-jour-ou-lear-a-ete-cree-au-palais-garnier

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