Connu pour avoir supprimé
les corsets, le Français Paul Poiret a régné sur la mode il y a cent ans, avant
de mourir ruiné. Rachetée par des Coréens, la marque renaît avec une première
collection présentée ce 4 mars à Paris.
Tiens, un revenant ! Cette
saison, Poiret fait son retour dans la mode. Le nom ne vous est pas familier ?
Rien d’étonnant à cela. Paul Poiret a eu son heure de gloire, mais c’était il y
a cent ans. Couturier star du début du XXe siècle, il est connu pour avoir
supprimé les corsets et rendu populaire l’esthétique orientaliste. Son autre
fait d’armes : avoir compris avant tout le monde l’intérêt de diversifier son
business, de vendre un mode de vie plutôt que des habits (il a ainsi
commercialisé des parfums et de la décoration d’intérieur).
Quoique très aiguisé, son
sens du commerce n’a pas sauvé sa maison du naufrage au moment du krach
boursier de 1929. Le couturier est mort ruiné et dans une relative indifférence
en 1944. Il a fallu attendre une quarantaine d’années après son décès pour que
son nom soit réhabilité dans la mode. En 2007, consécration ! Le Met à New York
lui consacre une rétrospective, l’aura du patronyme est indubitablement
restaurée.
Beaucoup de réanimations
ratées
En 2015, Shinsegae
International a racheté les droits de Paul Poiret à la société luxembourgeoise
Luvanis. L’enseigne coréenne de grands magasins plutôt de luxe n’est pas le
premier investisseur qui a l’idée de relancer une marque ancienne. Et si
certains exemples se sont avérés très probants, comme la renaissance de
Balenciaga dans les années 1990, plus récemment, on a aussi assisté à beaucoup
de réanimations ratées, comme pour Worth ou Vionnet.
« Je n’y pense même pas »,
balaie Anne Chapelle, la PDG de Poiret, quand on l’interroge sur la dimension
périlleuse de sa mission. La Belge n’est pas novice dans le milieu : c’est elle
qui a permis l’éclosion des marques d’Ann Demeulemeester et d’Haider Ackermann,
qu’elle dirige et dont elle est propriétaire. Elle parle donc d’expérience
quand elle affirme qu’il est plus facile de créer une marque en s’appuyant sur
un héritage que lorsqu’un designer part de zéro.
Une mode à contretemps
Et pourtant, dimanche 4
mars, dans la nef du Musée des arts décoratifs, en voyant la première
collection Poiret signée par la styliste franco-chinoise de 32 ans Yiqing Yin,
qui a pris la direction artistique de la maison, un doute persiste. L’allure
est épurée et le minimalisme des vêtements écarte toute éventuelle faute de
goût. Des volumes surdimensionnés pimentent gentiment l’affaire, avec des
manteaux cocons, des pulls aux manches si longues qu’elles cachent les mains,
une écharpe qui s’étire jusqu’aux pieds… ils contrastent avec les formes
simples des combinaisons et des robes croisées, souvent conçues dans un
taffetas de soie suranné. Indéniablement, c’est joli et bien exécuté.
Mais à qui s’adresse cette
mode ? Hors du temps, elle est aussi à contretemps dans une époque où l’on se
pâme pour le sportswear, le kitsch, le logo et la surenchère. « La philosophie
de Poiret était de libérer les femmes, de les rendre belles. C’est aussi la
nôtre », assure Anne Chapelle. Est-ce que ce postulat suffit pour s’imposer
dans une fashion week saturée, où les émeutes ont plutôt lieu devant les portes
du défilé Off-White, label de l’Américain Virgil Abloh, proche de Kanye West,
qui commercialise des baskets en partenariat avec Nike ? Sans doute pas.
Promesse d’une « expérience
totale »
Mais une collection ne
permet pas de juger de l’avenir de la griffe Poiret qui, bien que centenaire,
n’en est qu’à ses débuts. Les investisseurs ne semblent pas pressés : Anne
Chapelle a bénéficié de deux années pour mettre la maison en place avant le
premier défilé. Il n’y a pas de boutique pour l’instant, pas même sur le Web
(et donc rien à acheter avant quelques mois, quand les produits arriveront dans
les multimarques).
Outre les vêtements et les
accessoires, le lancement d’une ligne de cosmétiques est prévu, ainsi que des
collaborations récurrentes avec des artistes, pour rester fidèle à l’esprit
éclectique du fondateur de la maison. Anne Chapelle promet une « expérience
totale ». Plus encore que le style de Paul Poiret, il semblerait que Shinsegae
International s’évertue à réveiller son génie marketing.
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/fashion-week/article/2018/03/05/fallait-il-reveiller-poiret_5266040_1824875.html#BCARWRORo0sczDGd.99
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