INTERVIEW - Le réalisateur
américain Terry Gilliam dévoilera samedi à Cannes "L’homme qui tua Don
Quichotte", un projet de longue date à la genèse mouvementée. Il s’en est
expliqué avec LCI sur la Croisette.
18 mai 11:09 - Propos
recueillis par Jérôme Vermelin, à Cannes
C’est sur le rooftop
ensoleillé d’un hôtel à l’intérieur de Cannes que Terry Gilliam nous reçoit
afin de parler de "L’homme qui tua Don Quichotte", présenté hors
compétition en clôture du 71e Festival de Cannes, ce samedi. En dépit de ses
récents ennuis de santé et de la bataille judiciaire qui l’oppose au producteur
Paul Branco, il n’a rien perdu de son sens de l’humour. La preuve…
LCI : La sortie de ce film,
c’est un moment que vous attendez depuis plus 20 ans. Est-ce un sentiment un
peu étrange ?
Terry Gilliam : C’est un
soulagement ! Je peux me détendre, maintenant. Le film est fait, je sais qu’il
est bon, et je peux en parler positivement. Quand je fais un film, jusqu’à la
post-production, je suis très négatif, je ne prends pas de plaisir. Mais comme
je l’ai déjà montré à des gens et qu’ils l’aiment, je peux me lâcher. Et c’est
merveilleux.
LCI : Depuis le tournage
avorté de 2000 qu’on voit dans le documentaire "Lost in la Mancha",
vous avez fait d’autres films….
Terry Gilliam : Je ne suis
pas resté loyal à Quichotte ! J’ai eu des aventures avec d’autres films
(sourire).
LCI : Mais aviez-vous
toujours "L’homme qui tua Don Quichotte" en tête ? Ou êtes-vous passé
par des moments où vous vous disiez que ça ne se ferait jamais ?
Terry Gilliam : Quand je
termine un film, j’entre dans une dépression terrible. Celui-ci me donnait
toujours de l’espoir, c’était un projet sur lequel je pouvais fixer mon
attention. Mais avec les années, c’est devenu de plus en plus difficile de
croire que ça allait se faire, parce que tout le monde me disait d’oublier. Ce
qui explique pourquoi j’ai fini par le tourner : je prends assez mal les
ordres.
LCI : Vous en avez fait des
cauchemars parfois ?
Terry Gilliam : Non, pas
vraiment. Je n’arrêtais pas de penser à Orson Welles qui n’a jamais terminé
"The Other Side of the Wind". Je me disais : Orson, je vais te battre
! Il y a d’ailleurs un moment dans le film qui lui est directement dédié.
LCI : "L’homme qui tua
Don Quichotte" qui sort vendredi est-il très différent du film que vous
aviez commencé à tourner, en 2000 ?
Terry Gilliam : Il est plus
riche, il y a plus de thèmes abordés. Dans le premier film, c’était un
réalisateur de publicité, il prenait un coup sur la tête et il se retrouvait au
XVIIe siècle avec Don Quichotte. Là, tout se passe dans le monde actuel. C’est
l’histoire d’un type qui a fait un film qui s’appelle "L’homme qui tua Don
Quichotte", lorsqu’il était innocent et qu’il sortait de l’école de cinéma.
Il était plein de rêves et d’espoirs. Et il s’est vendu. On aborde également la
fabrication des films, l’impact qu’ils ont sur les gens qui les font. C’est
devenu un parking à plusieurs étages, rempli d’idées plutôt qu’une pauvre place
de stationnement à côté d’un centre commercial !
LCI : Que doit-on retenir
de vos ennuis judiciaires avec le producteur Paul Branco qui a tenté
d’interdire la présentation du film à Cannes ?
Terry Gilliam : Le truc,
c’est qu’il n’a jamais été en mesure de réunir l’argent pour faire le film, ce
qui est pourtant le job d’un producteur. On m’avait mis en garde contre lui.
Mais j’aimais son énergie et sa passion. On avait un contrat précis qui
prévoyait qu’il avait six mois pour réunir les fonds afin de tourner le film
avec Adam Driver et Michael Palin. Lorsque Paulo est arrivé, on avait 12,5
millions de dollars et il fallait en trouver encore 3. Sauf qu’en arrivant il a
viré nos premiers partenaires et tout à coup c’était 15,5 millions qu’il
fallait réunir en six mois ! Il a commencé à virer des gens que j’avais
choisis, ça m’a mis en colère et il m’a dit que j’avais 24h pour signer un
document où je m’engageais à le laisser prendre toutes les décisions
financières. J’ai refusé. Et c’était fini.
LCI : Votre passion pour le
cinéma est-elle intacte après une telle histoire ?
Terry Gilliam : Ma passion
c’est de ne pas laisser des types comme Paolo s’en tirer avec ce qu’il fait. Je
fais confiance aux gens, jusqu’à ce qu’ils me trahissent. Mon job n’est pas de
supporter son égo. Mon job est de faire un film. Et c’est clair qu’on ne
voulait pas faire le même. S’il était aussi bon producteur qu’attaché de
presse, on aurait fait un film fantastique ensemble. C’est bien simple : je
n’ai jamais eu autant de publicité négative sur un de mes films. Lorsque le
projet avec Paulo est tombé à l’eau, j’ai fait mon premier AVC. Et récemment
une deuxième, tout ça grâce à une même personne. Je lui dois beaucoup ! (rires)
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