viernes, 7 de enero de 2022

EGALITÉS HOMMES-FEMMES: POURQUOI LA MUSIQUE CLASSIQUE EST MACHO. LIVRE SCARLETT, DE FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Par Grégoire Pinson

La violoniste Marina Chiche, auteure d’un livre sur Les musiciennes de légende, pointe les difficultés de la musique classique à intégrer les artistes féminines.


L’orchestre est une entreprise comme les autres – en pire, même, pour ce qui concerne les inégalités entre hommes et femmes. Alors que le concours La Maestra, de la meilleure cheffe d’orchestre, prépare sa deuxième édition à la Philharmonie de Paris, du 3 au 6 mars 2022, la violoniste Marina Chiche porte dans le débat public ce constat inattendu : la musique serait macho. Pourtant, les chaînes hi-fi ne résonnent-elles depuis des décennies du son des voix de la Callas et d’Elisabeth Schwarzkopf, des envolées au violon d’Anne-Sophie Mutter et de Hilary Hahn, et des cadences au piano d’Hélène Grimaud et des sœurs Labèque? “Effectivement, il y a des divas et de grandes artistes féminines, explique Marina Chiche, qui est également chroniqueuse musicale sur France Inter. Mais cela n’enlève rien au fait que l’orchestre reste un bastion masculin, avec seulement 5% de cheffes d’orchestre, selon une étude menée en 2018. Au sein de l’orchestre, il existe également de forts stéréotypes de genre : si les harpistes sont des femmes à 85%, elles ne sont que 5% parmi les cuivres. Cela vient de loin: rares sont les familles qui souhaitent que leur fille joue du tuba.”

La situation est tout aussi déséquilibrée du côté des solistes, où seulement 28% de femmes sont programmées par les orchestres de l’Hexagone, selon l’association française des orchestres. Encore ces représentations sont-elles souvent trustées par une poignée de stars. “Quant aux compositrices, elles restent introuvables dans les programmes, continue Marina Chiche. Qui a déjà entendu des oeuvres de Lili Boulanger, Augusta Holmes et Rebecca Clarck ?”

Sauvées par les paravents

Ces vérités ont sauté aux yeux – et aux oreilles – de Marina Chiche dès qu’elle a entamé, en 2019, ses recherches pour l’émission Musiciennes de légendes, réalisée pour France Musique. “J’ai commencé par retracer la biographie de Ginette Neveu, une violoniste disparue en 1949, qui compte beaucoup pour moi, raconte-t-elle. Et là, surprise : j’ai découvert une multitude de femmes pionnières qui avaient marqué leur temps, et que l’histoire avait balayées depuis. Pourtant, à l’écoute, lorsque l’on retrouve des enregistrements, aucun doute n’est possible quant à la qualité de leur interprétation”.

Si leur talent n’est pas en cause, il faut donc chercher ailleurs les raisons de cet oubli. La domination masculine du monde de la musique monte alors à la surface. Marina Chiche note que, si les femmes décrochent des postes plus nombreux dans les orchestres à partir des années 1970, elles le doivent en bonne partie à l’arrivée des auditions à l’aveugle, l’interprète étant dissimulé par un paravent. Ce dispositif est plus favorable - à condition toutefois que les musiciennes songent à ne pas porter de chaussures à talons, dont le claquement les signale de loin!

Cruel florilège

Dans son livre Musiciennes de légende, publié en novembre 2021 (F1RST Editions, 176 pages, 21,95 euros), Marina Chiche distille un cruel florilège de mâles réflexions entendues par des musiciennes, dont la tenue semble compter davantage que la justesse des interprétations. A une flûtiste solo arrivée de haute lutte au sein de l’orchestre symphonique de Boston, en 1952, on demande instamment qu’elle porte des collants gris, afin de ne pas présenter d’impudentes chevilles aux mélomanes. L’état d’esprit est le même lorsque le chef Eugene Ormandy confesse, dans ces années-là, à la violoncelliste Elsa Hilger : “Vous auriez dû avoir le poste de premier [violoncelle], mais votre pantalon n’était pas assez long”.

Ce ne sont pas là que de tristes histoires d’un temps révolu. Marina Chiche s’est remémoré, depuis, toutes les petites remarques vexatoires qui ont marqué sa propre carrière. “Il y a dans cette culture de groupe un sexisme ordinaire que peu de personnes semblent questionner”, s’étonne-t-elle. Un étonnement qui grandit encore lorsqu’elle est nommée dans la promotion 2020 des Young Leaders, ce prestigieux réseau de talents français et américains venus de tous les horizons professionnels. Elle confronte alors sa connaissance du fonctionnement de la musique classique aux expériences des lauréates issues du monde de l’entreprise, de la recherche et même de l’armée. “Toutes ces institutions avancent de manière beaucoup plus déterminée, organisée, relève-t-elle. Y compris chez les militaires qui paraîtraient pourtant les plus réticents. C’est d’autant plus dérangeant que, contrairement à des univers comme celui des ingénieurs et des scientifiques, nous disposons, nous, par le nombre de femmes qui choisissent des formations exigeantes de musique classique, d’un vivier de talents. Mais nombre de ces musiciennes, parvenues à un certain point de leur carrière, ne parviennent pas à briser le moule d’une culture très conservatrice. Alors, à un moment, il faut se mobiliser, il faut y aller.”

La solution des quotas?

Cette mobilisation doit-elle s’inspirer, précisément, du monde de l’entreprise, où les quotas s’installent dans les comités exécutifs? Après tout, dans son livre, Marina Chiche relève que des quotas ont été mis en place en 1903… mais pour empêcher, selon les termes du directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris de l’époque, “un envahissement progressif par des élèves femmes”.

La violoniste hésite à ce sujet. “La question est difficile, analyse-t-elle. Il faut préserver la part de désir et d’arbitrage artistiques qui forment le choix, pour un chef, de travailler avec telle instrumentiste ou telle soliste.” C’est du reste moins l’égalité que la diversité que recherche celle qui décrypte les œuvres musicales, violon à l’épaule, lors de ses chroniques au ton enlevé sur France Inter. “Avec ces restrictions, avec cette fermeture, le monde de la musique se prive d’interprétations, de compositions, de voix importantes qui sont autant de renouvellements artistiques potentiels”, pointe-t-elle.

D’où la nécessité, à tout le moins, selon Marina Chiche, de comptabiliser précisément la participation des musiciennes à tous les niveaux de ces sphères artistiques. Et d’interroger les lacunes potentielles. Peut-être aussi, esquisse-t-elle, faudrait-il mettre en place des mesures d’incitations financières - les soutiens publics se trouvant par exemple conditionnés à la présence d’artistes femmes dans une programmation. Afin d’éviter, comme ce fût le cas à la sortie du confinement, en 2020, qu’un festival de piano ne programme douze artistes masculins pour douze récitals. Cela alors que la programmation en question était entre les mains d’une femme.

https://www.challenges.fr/femmes/egalites-hommes-femmes-pourquoi-la-musique-classique-est-macho_795513#xtor=EPR-2-[ChaActu18h]-20220106


ET AUSSI, UN LIVRE...DE CINÉMA

Scarlett

    Publier le roman-fleuve de Margaret Mitchell était déjà une gageure, mais faire d’Autant en emporte le vent un film était pure folie. Des centaines de décors, de costumes et d’acteurs pour un film d’une longueur invraisemblable : un défi qui aurait pu ruiner David O. Selznick, son producteur mégalomane, bien décidé à réussir « le plus grand film de tous les temps ». Par-delà les tractations cocasses, les difficultés d’adaptation et les imprévus en tous genres, une question centrale s’invite au cœur des débats qui agitent les États-Unis : qui pour incarner Scarlett ? Trois années à voir défiler un bal d’actrices parmi les plus célèbres comme des milliers d’inconnues qui participent à ce casting homérique.
    Trois années où, à l’ombre des paillettes, Hattie McDaniel doit faire accepter à la communauté noire qu’elle préfère jouer le rôle d’une domestique plutôt que d’en être une.

    Dans ce roman trépidant, François-Guillaume Lorrain fait revivre les affres, les plaisirs et les jours des protagonistes de cette aventure qui marqua l’âge d’or d’Hollywood : le moralement douteux David O. Selznick, la très obstinée Vivien Leigh, le flegmatique Clark Gable, et Hattie McDaniel, la première interprète noire oscarisée pour le rôle qu’on lui reprochait pourtant d’endosser.
    • 336 pages - 149 x 220 m


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