Les galeries couvertes, tombées en désuétude, se réveillent
doucement à la vie. Visite à l’abri de la pluie et du bruit, en compagnie de
Patrice de Moncan, qui leur a consacré un guide référence en 2011.
Franchi le portail discret de la rue Croix-des-Petits-Champs, le
brouhaha de la ville s’estompe. Seul le pas pressé d’un passant résonne sous la
verrière, vers la rue Jean-Jacques-Rousseau.
Emprunter la galerie Véro-Dodat, la préférée de l’écrivain Colette,
c’est un peu comme plonger dans le passé. Se promener dans le Paris de la
Restauration. Un décor intact, bois peints, fresques et miroirs, où, depuis
deux cents ans, le temps s’est figé. Comme le souligne Pierre Passebon, à la
porte de sa galerie d’art: "C’est un passage où les gens ne passent pas.
Un lieu de destination. Un écrin pour commerces spécialisés qui ne s’anime
vraiment que les soirs de vernissage." Les élégantes que l’on croise ici
ont un but: s’offrir une paire d’escarpins Louboutin, à semelles rouges, ou une
étole de cachemire, dans la discrète boutique d’Hermine de Pashmina.
Les "galeries de Bois" du Palais-Royal deviennent
l’attraction favorite des Parisiens
L’histoire des "allées couvertes" a commencé à deux pas
de là, à la fin de l’Ancien Régime, au Palais-Royal. Comme l’explique Patrice
de Moncan: "Nous devons ces passages au duc d’Orléans, futur Philippe
Égalité. En 1784, pour renflouer son trésor, il ordonne la construction de
galeries marchandes dans son jardin. Mais faute de moyens, le projet sera
interrompu."
La galerie de Bois en 1787. L’endroit ou se montrer, flâner,
traiter ses affaires ou… s’encanailler! The Print Collector/Print
Collector/Getty Images
Pour se payer, l’entrepreneur obtient l’autorisation de flanquer la
colonnade inachevée, entre palais et jardin, d’échoppes provisoires. Le succès
est immédiat, même si Louis XVI se gausse de ce "prince du sang" qui
vient de transformer son palais en bazar: "Eh bien, mon cousin, il paraît
que vous tenez boutique? Sans doute nous ne vous verrons plus que le
dimanche."
Les "galeries de Bois" du Palais-Royal, avec leurs
commerces de luxe, deviennent l’attraction favorite des Parisiens et des
visiteurs. L’endroit ou se montrer, flâner, traiter ses affaires ou…
s’encanailler! Les dames de petite vertu, protégées de la police et des
intempéries, ont envahi les lieux. Une société hiérarchisée que détaille
Patrice de Moncan: "Suivant leur degré de compétence, elles étaient
demi-castor, castor ou castor fini. Les débutantes racolaient dans les allées
du jardin et les plus aguerries dans les galeries couvertes. Seuls les 'talents
confirmés' avaient droit de siéger à la terrasse du Café du Caveau."
Avec plus de 30 passages, la capitale se traverse "à pied
sec" sous le Second Empire
En 1828, quand Louis-Philippe, horrifié par la réputation du
Palais-Royal, ordonne la destruction des galeries de Bois, plus de trente
nouveaux passages ont été construits. La capitale se traverse "à pied
sec", au point que certains s’émeuvent de voir "Paris mis sous
cloche". Rue des Petits-Champs, les galeries jumelles Vivienne et Colbert
se livrent une lutte acharnée. "Le notaire Marchoux, propriétaire de la
première, a une idée de génie. Il rachète un pâté d’immeubles de la rue des
Petits-Champs et perce le minuscule passage coudé des Deux-Pavillons, qui
détourne les promeneurs du Palais-Royal du passage Colbert."
Le passage des Panoramas entre la rue Saint-Marc et le boulevard
Montmartre à Paris. Thierry Chesnot/Getty Images
Sous le Second Empire, avec le Théâtre des Variétés, la renommée
des Panoramas éclipse celle de ses rivales. Hortense Schneider triomphe dans La
Grande-Duchesse de Gérolstein, d’Offenbach. L’artiste lyrique "aime les
militaires", qui le lui rendent bien. Napoléon III et le prince de Galles se
disputent la faveur de féliciter la chanteuse aux entractes. Et le roi de
Prusse, le khédive d’Égypte et même le tsar de Russie télégraphient pour
retenir une loge. Au point que la galerie et la chanteuse vont y gagner le
surnom de "Passage des princes…"
Une affluence dont bénéficie, en face, sur le boulevard Montmartre,
le passage Jouffroy, "le plus animé de Paris". C’est la première
galerie chauffée de Paris, où des "boulevardières aux oeillades qui valent
carte de visite" emmagasinent la chaleur de l’air pulsé sous leurs jupons
par des grilles. Gilbert Segas, le propriétaire d’une boutique de cannes de
collection, évoque le plaisir de travailler sous la verrière: "C’était un
rêve de gosse de vivre dans cet environnement si romantique où je fréquentais
avec mon père le Pain d’épices, la boutique de sucreries. Et quel délice, le
matin vers 5 ou 6 heures, d’écouter le cliquetis d’une paire de talons aiguilles
qui trotte sur le carrelage."
Les passages parisiens ont bien failli disparaître
Tombés en désuétude après les travaux du baron Haussmann, les
passages parisiens ont bien failli disparaître. Dix-sept galeries seulement
demeurent des cent vingt répertoriées au début du XXe siècle. Durant les Trente
Glorieuses, elles n’abritaient plus que de petits commerces de repasseuses,
retoucheurs, bouquinistes… Le passage Colbert a même été transformé en parking…
Dans les années 1970, le couturier Kenzo, en installant sa boutique
galerie Vivienne –"l’un des endroits les moins chers de Paris"– est à
l’origine de leur redécouverte. Les passages, restaurés et classés, sont
aujourd’hui sauvés.
Par François Billau
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