Didier Calmels ferme les Pianos Pleyel neuf mois après les avoir achetés
Fini les mazurkas, l'heure est à la marche funèbre
chez Pleyel. Le fabricant français des célèbres pianos chers à Chopin s'apprête à fermer ses portes, a annoncé la direction mardi 12
novembre.
« Compte tenu des pertes récurrentes et du très
faible niveau d'activité », l'atelier de production situé à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) sera arrêté
d'ici à la fin de l'année, et le personnel licencié. « On est 14 sur le
site, tous dans la charrette »,résume l'un d'eux.
C'était la plus ancienne manufacture de pianos au monde, une des dernières en France. En début d'année, l'entreprise avait été reprise en toute discrétion par Développement et partenariat, le fonds d'investissement de l'homme d'affaires Didier Calmels. Celui-ci avait placé à la présidence Bernard Roques, un ancien de Pinault.
« Depuis leur arrivée, les deux hommes étaient restés très discrets sur ce qu'ils voulaient faire », témoigne un salarié. Jusqu'à l'annonce de la fermeture.
« Compte tenu des stocks de produits finis, le
maintien de l'activité commerciale est assuré », a simplement indiqué la
direction. « Des solutions alternatives seront recherchées », ajoute-t-elle
de façon très floue. Ce qui laisse penser que, même sans production, la société pourrait continuer à exploiter la marque Pleyel.
Cette fermeture au bout de neuf mois risque de causer des frayeurs chez Doux, le producteur breton de
volailles en difficultés dont le même M. Calmels entenddevenir l'actionnaire majoritaire. « Pas
d'amalgame !, rétorque-t-on au siège de Doux. Ici, le projet monté
par M. Calmels, la famille Doux
et le saoudien Almunajem vise bien à relancer l'entreprise. »
Lire le zoom : Qui sont les
repreneurs potentiels de Doux ?CINQ FAILLITES EN TRENTE ANS
Fondée en 1807 à Paris par Ignace Pleyel, un ancien élève de Haydn né à Vienne, la Manufacture Pleyel a connu des heures de gloire. Chopin appréciait particulièrement ces instruments au timbre velouté et au toucher léger. Le compositeur en fit la promotion auprès de ses élèves, en touchant dans certains cas une commission de 10 % sur le prix de vente !
Mais depuis longtemps, la société était sur le fil. Cinq dépôts de bilan en une trentaine d'années. Dans le bas de gamme, impossible de lutter avec des rivaux asiatiques de plus en plus pugnaces. Difficile pour autant de s'imposer dans le haut de gamme face au prestige de Steinway.
Pendant plus de dix ans, la maison a appartenu à Hubert Martigny, un des cofondateurs de la société de conseil Altran. En 1998, il s'est d'abord offert la salle Pleyel, à Paris, une sorte de cadeau fait à sa femme musicienne. Deux ans plus tard, il a repris la manufacture du même nom, et tenté de redresser l'affaire.
Il a notamment fermé l'usine qui avait été
installée à Alès (Gard) en 1973 pourprofiter des primes à la reconversion versées par les
Charbonnages de France. La production est alors
revenue à Saint-Denis, où Pleyel avait eu sa grande usine de 1864 à 1961.
Dans le même temps, la stratégie a été totalement
revue. Les pianos standard ont été arrêtés, pour tout miser sur des instruments haut-de-gamme. Des pièces
d'exception signées par des designers de renom et vendus de 40 000 à 200 000
euros. La production, elle, est tombée à une vingtaine de pianos par an.
Insuffisant pour rentabiliser Pleyel,
dont la perte nette a encore atteint, en 2012, 2,7 millions d'euros, plus du
double du chiffre d'affaires. Après avoir tenu la maison à bout de bras pendant une décennie,
M. Martigny a fini par lâcher prise. « Il a 75 ans, et il est assez
fatigué depuis son accident vasculaire cérébral de 2009 »,relate un proche.
En 2009, il avait déjà revendu à l'Etat la salle
Pleyel, une cession contestée enjustice par
son épouse dans le cadre d'un divorce très conflictuel. En 2012, il s'est mis
en quête d'un repreneur pour la manufacture. « Normalement, il n'y aura
pas de changement de stratégie », assurait-il alors.
En réalité, une première piste qui aurait permis
de maintenir une partie de la production n'a pas abouti. M. Martigny
s'est alors tourné vers M. Calmels. « Celui-ci avait sans doute pour
mission de fermer la
société », suggère un professionnel. Triste fin, vraiment, pour une
maison à laquelle l'Etat avait attribué le label « Entreprise du patrimoine
vivant ».
§ Denis Cosnard
Journaliste au Monde
Journaliste au Monde
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