Par Solène Souriau
Les Variations Goldberg, ballet chorégraphié en 1971 par Jerome Robbins sur l’œuvre du même nom de
Johann Sebastian Bach, fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Pour
la première fois, la pianiste Simone Dinnerstein, grande spécialiste du
compositeur, interprète l’œuvre, non pas en concert, mais pour le ballet. Pour
la première fois, Laura Hecquet et Mathieu Ganio, Étoiles à l’Opéra de Paris,
dansent une des variations. Rencontre avec ces trois interprètes.
Deux arias, trente variations, plus de quatre-vingt dix minutes de musique,
la pièce de Johann Sebastian Bach est un défi pour l’interprète, une expérience
éprouvante pour la pianiste, à la fois physiquement et mentalement. « Il s’agit
probablement d’une des pièces de musique instrumentale les plus longues et qui
demande une concentration totale », explique Simone Dinnerstein. « Il faut
penser à tous les détails tout en gardant l’image globale. » Pour les danseurs,
le défi est ailleurs : « Quand le rideau se lève, le spectateur est tout de
suite happé par la musique. Ensuite, à force de l’entendre, il y a un rythme
qui s’installe. Comme un chat qui ronronne. Il faut donc tenir le public en
alerte, réalimenter la musique qui est continue et qui s’installe très vite. »
En effet, la chorégraphie de Jerome Robbins utilise chaque variation comme un
numéro autonome et multiplie les séquences chorégraphiques interprétées par
plusieurs groupes de danseurs différents. Laura et Mathieu dansent dans la
deuxième partie et exécutent un pas de deux sur une variation au rythme lent,
moment de suspension dans le ballet, de parenthèse : « Il y avait une ambiance
à trouver. Nous devions l’instaurer le temps de quelques minutes, comme une
bulle au milieu du ballet, et qui crée un contraste avec la suite», raconte
Mathieu Ganio. Laura Hecquet insiste sur l’équilibre à trouver avec la musique
intime et berçante de Bach : « C’est comme un moment où il ne faut pas
perturber l’atmosphère. Il ne faut aucun à-coup, aucune précipitation tout en
donnant du relief à une musique qui est calme et liée ».
Simone Dinnerstein, Mathieu Ganio et Laura Hecquet
© Benoîte Fanton / OnP
© Benoîte Fanton / OnP
Même si cette musique ne les déroute pas, les danseurs ont conscience d’une
légère différence : « Nous sommes habitués à danser sur une musique adaptée au
ballet avec une partition qui intègre adage, variations, fouettés etc... Les
mouvements sont souvent définis par des humeurs bien claires et chaque
mouvement donne une couleur différente. Dans l’œuvre de Bach, c’est plutôt une
identité précise tout au long et dont on a moins l’habitude. »
Pour Simone Dinnerstein, le parallèle entre jeu pianistique et pas des
danseurs est évident : « Il y a des moments où la chorégraphie de Jerome
Robbins alterne entre différents groupes de danseurs et on a l’impression de
voir la ligne musicale devenir une réalité physique. Lorsque je joue, j’observe
parfois les danseurs et je me rends compte que mes mains font exactement la
même chose que leur corps. »
Pendant un court instant, ces trois interprètes se retrouvent liés et
dépendent l’un de l’autre à la recherche d’une alchimie, d’une symbiose qui
n’est pas toujours facile à trouver. Pour Simone Dinnerstein, le ballet de
Jerome Robbins nécessite certains tempi et les changer mettrait en danger les
danseurs. Cependant, « beaucoup de ces tempi sont très différents de ma manière
de jouer habituellement. Il me faut donc apprendre cette nouvelle manière tout
en restant fidèle à mon interprétation», commente-t-elle. Finalement, la pianiste
va devoir parfois alléger son jeu et ses moments de respiration afin d’assurer
une régularité aux danseurs. Expérience nouvelle, Mathieu Ganio en vient même à
relever un paradoxe : « Pour les pianistes qui ont l’habitude de jouer en tant
que soliste, il est difficile de ne pas être pris dans leurs émotions et leurs
élans. En quelque sorte, nous les brimons pour pouvoir nous exprimer aussi.
Bien sûr, nous restons très à l’écoute ». La collaboration entre les trois est,
en effet, fondée sur l’écoute, Mathieu et Laura étant très sensibles aux
infimes variations du jeu de Simone, pour « jouer vraiment avec la musique et
presque danser avec elle ».
Propos de Simone Dinnerstein, Mathieu Ganio et
Laura Hecquet receuillis par Solène Souriau
https://www.operadeparis.fr/magazine/un-pas-de-trois
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