Par
Anne Le Berre
Inséparable de l’histoire du costume et de
celle de la mode féminine, le chignon s’est imposé au fil des siècles comme un
attribut de la ballerine. Des impératifs techniques propres à l’évolution de la danse à sa
mythification, retour sur l’histoire de la coiffure emblématique du monde de la
danse.
Bien que fondée en 1661, l’Académie Royale de Danse ne fait
paraître sur scène des danseuses qu’en 1681. Ces ballerines, représentantes de
la « belle danse », arborent des tenues très similaires à celles de la Cour,
des pieds à la tête. Leurs coiffures ressemblent ainsi à celles que l’on porte
à Versailles : de lourdes perruques poudrées, souvent ornées de cimiers de
plumes, comme on peut le voir sur l’estampe représentant Marie-Thérèse de
Subligny en 1700 ou encore dans les esquisses de coiffures de Jean Bérain,
réalisées entre 1704 et 1726.
Ces encombrantes coiffures sont rapidement élaguées, dès le début
du XVIIIe siècle. La manière de danser se modifie, devenant à la fois plus
technique et exigeant de la rapidité, de la virtuosité et une liberté toujours
plus grande dans le mouvement avec le « ballet d’action ». Marie Sallé et
Marie-Anne de Camargo sont les plus grandes représentantes de cette époque,
paraissant tête nue sur scène. C’est la période d’apparition de tenues et de
coiffures plus légères, mieux adaptées à la danse.
Elles visent à ne plus entraver les danseuses. La grande mode
antiquisante de la fin du XVIIIe siècle consacre d’ailleurs des costumes très
simples et des coiffures aux cheveux lâches, comme celle de Madeleine Guimard.
Malgré l’instauration du service de l’habillement en 1805, dont le
coiffeur attitré a pour mission d’obtenir une forme d’harmonie et
d’uniformisation chez les danseuses, les portraits retrouvés des ballerines de
cette époque nous prouvent que la discipline n’était pas de mise et que chacune
était libre d’arranger ses cheveux de la façon qui lui convenait.
Progressivement, les perruques disparaissent totalement. Au début
du XIXe siècle, la mode est aux bandeaux plats, à la ville comme sur la scène.
Les danseuses contribuent à les populariser, comme la célèbre Fanny Elssler.
Ce qui était donc une solution par rapport à
un impératif technique se meut progressivement en recherche d’une ligne
esthétique. Dans ses écrits sur la danse, Théophile Gautier, grand amateur et
chroniqueur d’opéras et de ballets, fait avant tout mention des corps des
danseuses, de leurs jambes et de la grâce de leurs bras ; l’évocation et
l’appréciation de la coiffure ne se situent que dans cette perspective : « Mlle
Elssler devrait aussi se coiffer avec plus de fond de tête ; ses cheveux,
placés plus bas, rompraient la ligne trop droite des épaules et de la nuque »,
écrit T. Gautier en 1837 dans Le Figaro1. On apprécie aussi les danseuses
brunes et le contraste que peuvent produire les cheveux plaqués sur la peau
blanche ; toujours en parlant de Fanny Elssler, T. Gautier remarque « ses
cheveux brillants comme l’aile du corbeau [qui] encadrent un masque de marbre
pâle.2»
Le chignon se fond ainsi peu à peu dans les attributs de la
ballerine et participe de la construction de sa figure. Dans les années 1830,
cette image se cristallise complètement autour du personnage de la Sylphide
interprété par Marie Taglioni. Le tutu de gaze blanche, le chausson de satin rose
pâle et le chignon bas, parfois assorti d’une couronne de fleurs, constituent
l’uniforme des danseuses. L’image de la ballerine intègre tous ces éléments,
chignon compris, et perdure jusqu’à aujourd’hui.
Les ballets romantiques du XIXe siècle consacrent ainsi dans les «
actes blancs » cette vision de la danseuse. Grâce à un nouveau règlement en
1880, le Ballet de l’Opéra fait respecter de façon plus drastique le port de ce
qui est devenu l’uniforme des ballerines, de la tenue à la coiffure. Ainsi, la
chevelure arrangée en bandeaux plongeants pour les ballets désormais
emblématiques que sont Giselle, Le Lac des cygnes et La Sylphide est toujours
adoptée par les danseuses depuis cette époque.
Ce modèle qui habite l’imaginaire collectif n’était toutefois pas plébiscité
unanimement lors des premiers temps de son instauration. Les danseuses
espagnoles et les « bayadères » avaient aussi beaucoup de succès avec leurs
longs cheveux laissés libres, signe de sensualité contrastant avec les froides
et élégantes ballerines françaises. Le reportage de Théophile Gautier nous
renseigne une fois de plus sur ce goût de la fin de XIXe siècle, notamment à
travers l’éloge de Mlle Priora, danseuse espagnole : « Sa tête noble et
régulière se découpe en camée antique. Une forêt de cheveux noirs (…) donne à sa
beauté une sorte d’accent sauvage qui diffère de la grâce fade des danseuses.3»
Cette veine orientaliste se subordonne malgré
tout à la coiffure reine qu’est devenu le chignon. Si la mode est aux turbans
(La Source d’Arthur Saint-Léon, La Bayadère de Marius Petipa) ou aux ballets
faisant une large place au folklore (Coppélia), voire à des accessoires
improbables (la coiffure de plumes de Fanny Elssler dans La Chatte
métamorphosée en femme de Jean Coralli), tous ces éléments prennent le chignon
comme support.
Ancré dans la panoplie de la ballerine, le chignon adopte des
formes plus ou moins variées au cours des années, suivant avant tout le rythme
de la mode féminine - petit chignon cranté, placé plus ou moins haut sur le
crâne - et se décline en une infinité de possibilités sans jamais disparaître.
Les chorégraphies contemporaines intègrent toujours cette coiffure
intemporelle. Si toutefois les ballerines sont parfois amenées à détacher leurs
cheveux sur scène, c’est souvent pour retranscrire l’intensité d’une situation,
comme dans Le Sacre du printemps, ou encore le désespoir, l’abandon telle
l’héroïne se donnant la mort à la fin de Roméo et Juliette.
Inchangé depuis la cristallisation du portrait de la ballerine au
milieu du XIXe siècle, le chignon s’est imposé dans les représentations
artistiques de la ballerine aussi bien que dans les pratiques des danseuses
depuis leur plus jeune âge à l’École de Danse.
https://www.operadeparis.fr/magazine/le-chignon
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