lunes, 4 de abril de 2016

PALMYRE SAUVÉE NE LE SERA PLUS TOUT À FAIT PAR JEAN-PAUL FHIMA

Dimanche 27 mars 2016, Palmyre sacrifiée est reprise aux barbares de Raqqa.
C’est l’armée de Bachar el-Assad soutenue par l’aviation russe et même par le Hezbollah dit-on (source AFP) que la cité antique millénaire a été reconquise après trois semaines d’âpres combats.



La nouvelle devrait nous réjouir. Elle ne fait que rappeler, au contraire, l’ampleur inattendue d’une incommensurable défaite.
Depuis quelques jours, on n’a de cesse de rappeler que l’ancienne et légendaire Tadmor fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Il semble qu’on l’avait beaucoup oublié ces derniers mois. Depuis mai 2015 en effet, la prise de Palmyre par Daech ne paraissait qu’une fatalité parmi d’autres dans ce pays dévasté depuis cinq ans, où de nombreuses autres merveilles de la civilisation sont à jamais perdues.

L’irremplaçable trésor
Paul Veyne, éminent historien français, écrivait il y encore peu (Palmyre, Albin Michel, décembre 2015) que « l’irremplaçable trésor », digne des plus beaux sites archéologiques du monde comme Éphèse ou Pompéi (…) est livré à « un saccage incompréhensible », surtout après la destruction des temples de Baalshamin et de Bêl (28 et 30 août 2015), le dynamitage d’une tour funéraire et des tombeaux-tours de Jamblique et d’Elahbel (en septembre 2015) puis du célèbre arc de triomphe romain du IIème siècle (4 octobre 2015) qui ouvrait sur la grande colonnade et la perspective remarquable de la citadelle arabe.
Je me souviens avoir longuement visité ce site unique il y a près de 25 ans. Un bonheur absolu et inoubliable.

J’étais alors un jeune prof d’histoire, voyageur et émerveillé, seulement accompagné d’une amie et d’un sac à dos. Depuis Damas situé à 200 km, nous avions pris des minibus de ligne, un ou deux taxis et même fait du stop.
Malgré la politique autoritaire d’Assad (Hafez, le père) et les espions du régime qui surveillaient les étrangers comme nous qui ne voyageaient ni en groupe ni en car touristique climatisé, il soufflait dans le désert un certain vent de liberté.
Les hôtels ne manquaient pas dans la ville moderne située à quelques centaines de mètres du site antique. Nous y avions débarqué à l’improviste et trouvé de justesse un hôtel charmant qui portait le nom de la célèbre reine palmyrénienne, Zénobie.
Zénobie était, en 267 de notre ère, l’épouse d’un puissant seigneur local, victorieux des armées perses du roi Sapor qui menaçaient le désert par des incursions constantes depuis l’Euphrate. Il mourut assassiné. Sa veuve lui succéda à la tête de la région à un moment où le pouvoir central de l’empereur romain était mis à mal.

Cité de la reine Zénobie,

grande amoureuse du judaïsme

Zénobie est souvent appelée « la Cléopâtre de Mésopotamie », tant fut grande la gloire de cette souveraine hors normes, femme de tête et de poigne, qui frappa monnaie et dirigea un vaste territoire jusqu’à Bosra et Byblos.


Curieuse ironie de l’Histoire et mystérieuse ambiguïté de l’Orient qui fit d’une femme la figure légendaire de ses velléités de grandeur et d’indépendance.
Zénobie avait un goût certain pour toutes les formes de culture et de religions mais tout particulièrement pour le judaïsme dont elle appréciait « l’avant-gardisme », la piété, et surtout « le ritualisme exigeant » (Paul Veyne, op.cit. p. 82).
L’Orient aujourd’hui ne fait plus rêver. Les barbares y ont pris le dessus. Les réduire à une simple présence territoriale est une erreur et une faiblesse.
Daech faiblit ici mais se renforce là.
Là, c’est partout ailleurs où des centaines d’autres Palmyre sont menacés.
Aujourd’hui, le site historique défiguré par le fanatisme est repris, certes, mais par les armées conjointes d’un meurtrier qui assassine son propre peuple, d’un despote russe (pas toujours éclairé) bouffi d’arrogance et de mépris pour nos inconséquences et d’une (autre) organisation terroriste libanaise, ramassis d’assassins et succursale de l’Iran. La Maison Blanche s’en balance et l’Union européenne est aux abois. Pas de quoi pavoiser.
On le sait parfaitement. Le saccage de Palmyre a commencé bien avant l’arrivée des djihadistes. Dès 2013, le site archéologique, abandonné par la même armée gouvernementale qui l’a reprise le 27 mars dernier, était livré aux pillages et aux fouilles clandestines.


Reconstruire Palmyre ?
Difficile de partager l’optimisme des autorités syriennes.

Si on en croit les prévisions optimistes de Maamoun Abdulkarim, directeur général des Antiquités et des Musées de Syrie, le site archéologique devrait retrouver un visage présentable d’ici cinq ans.
Certaines destructions effectuées par L’État islamique depuis mai dernier sont, dit-il, tout à fait récupérables : l’arc de triomphe romain du IIème siècle par exemple, n’aurait pas, finalement, été détruit par explosif, (source OSDH, Observatoire syrien des droits de l’homme basé à Londres). On parle désormais d’une »simple » démolition au bulldozer, donc réparable. Les pierres tombées à terre ne seraient pas pulvérisées et seraient, à terme, facilement reconstruites.

Parfois, c’est vrai, on peu réparer le désastre. C’est le cas du monumental lion d’al-Lât tenant une gazelle entre ses pattes qui a été renversé, martelé, cassé, mais non pulvérisé. Toutefois, les possibilités de reconstitution du site tel qu’il existait il y a encore un an sont quasiment impossibles.
Maurice Sartre, spécialiste de la Syrie antique et de Palmyre, s’en confiait sur France Info, lundi 28 mars 2016 : « Même avec l’aide internationale, ce pays en guerre manquera longtemps des moyens nécessaires pour engager les travaux de reconstruction » D’autre part, poursuit-il, « l’inventaire des pillages prendra beaucoup plus de temps qu’on veut bien le dire ».
Annie Sartre-Fauriat, expert à l’Unesco pour le patrimoine syrien, doute que la reconstruction soit possible « au vu des destructions considérables et des pillages sur le site et dans le musée (…) Ça me parait illusoire (…) On ne va pas reconstruire quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière (…) Cette récupération est une opération politique, médiatique vis-à-vis de l’opinion publique du régime de Bachar al-Assad » (Huffington Post, 28 mars 2016).
Photos et vidéos prises depuis deux jours sur le site et dans le musée dévasté montrent en effet des sarcophages martelés, des statues renversées, et morcelées, totalement irrécupérables.
De nombreux objets, masques mortuaires et bas-reliefs, ont été arrachés et revendus sur des marchés épars qu’il sera difficile de retrouver. On peut s’interroger, à ce sujet, sur la célérité suspecte avec laquelle Maamoun Abdulkarim, digne fonctionnaire du régime de Bachar, a désigné Israël comme l’une des principales filières de revente clandestine de ces objets (Interview accordé au magazine Sciences et Avenir, le 29 septembre 2015).
Imagine-ton un instant Daech marchander avec des Juifs ?


La reprise de Palmyre est une triste victoire à la Pyrrhus dont personne, ou presque, ne songe à se féliciter. Multiplier les mensonges pour faire taire les rancœurs est une autre façon honteuse d’abandonner la cité antique une deuxième fois.

Palmyre était l’identité et la fierté d’un modèle gréco-latin universel dont on se prépare déjà à ne recoller que les quelques morceaux et miettes que l’on voudra bien nous laisser.
La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova elle-même, ne s’y trompe pas quand elle affirme « Depuis un an, le saccage de Palmyre est le symbole du nettoyage culturel qui sévit au Moyen-Orient. »
Voilà de quoi méditer sur notre capacité, ici et ailleurs, à préserver ce que nous sommes c’est à dire d’où nous venons : un passé riche, une histoire multiple, une culture syncrétique et millénaire … « une identité hybride » (Paul Veyne, op.cit. p.97).
© Jean-Paul Fhima pour Europe Israël News

http://www.tribunejuive.info/moyen-orient/palmyre-sauvee-ne-le-sera-plus-tout-a-fait-par-jean-paul-fhima

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