Dimanche 27 mars 2016, Palmyre
sacrifiée est reprise aux barbares de Raqqa.
C’est l’armée de Bachar el-Assad soutenue par l’aviation russe et même par
le Hezbollah dit-on (source AFP) que la cité antique millénaire a été
reconquise après trois semaines d’âpres combats.
La nouvelle devrait
nous réjouir. Elle ne fait que rappeler, au contraire, l’ampleur inattendue
d’une incommensurable défaite.
Depuis quelques jours, on n’a de
cesse de rappeler que l’ancienne et légendaire Tadmor fait partie du patrimoine
mondial de l’Unesco. Il semble qu’on l’avait beaucoup oublié ces derniers mois.
Depuis mai 2015 en effet, la prise de Palmyre par Daech ne paraissait qu’une
fatalité parmi d’autres dans ce pays dévasté depuis cinq ans, où de nombreuses
autres merveilles de la civilisation sont à jamais perdues.
L’irremplaçable trésor
Paul Veyne, éminent historien français, écrivait
il y encore peu (Palmyre, Albin Michel, décembre 2015) que « l’irremplaçable
trésor », digne des plus beaux sites archéologiques du monde comme Éphèse ou
Pompéi (…) est livré à « un saccage incompréhensible », surtout après la
destruction des temples de Baalshamin et de Bêl (28 et 30 août 2015), le
dynamitage d’une tour funéraire et des tombeaux-tours de Jamblique et d’Elahbel
(en septembre 2015) puis du célèbre arc de triomphe romain du IIème siècle (4
octobre 2015) qui ouvrait sur la grande colonnade et la perspective remarquable
de la citadelle arabe.
Je me souviens avoir longuement
visité ce site unique il y a près de 25 ans. Un bonheur absolu et inoubliable.
J’étais alors un jeune
prof d’histoire, voyageur et émerveillé, seulement accompagné d’une amie et
d’un sac à dos. Depuis Damas situé à 200 km, nous avions pris des minibus de
ligne, un ou deux taxis et même fait du stop.
Malgré la politique autoritaire
d’Assad (Hafez, le père) et les espions du régime qui surveillaient les
étrangers comme nous qui ne voyageaient ni en groupe ni en car touristique
climatisé, il soufflait dans le désert un certain vent de liberté.
Les hôtels ne manquaient pas dans la
ville moderne située à quelques centaines de mètres du site antique. Nous y
avions débarqué à l’improviste et trouvé de justesse un hôtel charmant qui
portait le nom de la célèbre reine palmyrénienne, Zénobie.
Zénobie était, en 267 de notre ère,
l’épouse d’un puissant seigneur local, victorieux des armées perses du roi
Sapor qui menaçaient le désert par des incursions constantes depuis l’Euphrate.
Il mourut assassiné. Sa veuve lui succéda à la tête de la région à un moment où
le pouvoir central de l’empereur romain était mis à mal.
Cité de la reine Zénobie,
grande amoureuse du judaïsme
Zénobie est souvent
appelée « la Cléopâtre de Mésopotamie », tant fut grande la gloire de cette
souveraine hors normes, femme de tête et de poigne, qui frappa monnaie et
dirigea un vaste territoire jusqu’à Bosra et Byblos.
Curieuse ironie de l’Histoire et mystérieuse ambiguïté de l’Orient qui fit
d’une femme la figure légendaire de ses velléités de grandeur et
d’indépendance.
Zénobie avait un goût certain pour
toutes les formes de culture et de religions mais tout particulièrement pour le
judaïsme dont elle appréciait « l’avant-gardisme », la piété, et surtout « le
ritualisme exigeant » (Paul Veyne, op.cit. p. 82).
L’Orient aujourd’hui ne fait plus
rêver. Les barbares y ont pris le dessus. Les réduire à une simple présence
territoriale est une erreur et une faiblesse.
Daech faiblit ici mais se renforce
là.
Là, c’est partout ailleurs où des
centaines d’autres Palmyre sont menacés.
Aujourd’hui, le site historique
défiguré par le fanatisme est repris, certes, mais par les armées conjointes
d’un meurtrier qui assassine son propre peuple, d’un despote russe (pas toujours
éclairé) bouffi d’arrogance et de mépris pour nos inconséquences et d’une
(autre) organisation terroriste libanaise, ramassis d’assassins et succursale
de l’Iran. La Maison Blanche s’en balance et l’Union européenne est aux abois.
Pas de quoi pavoiser.
On le sait parfaitement. Le saccage
de Palmyre a commencé bien avant l’arrivée des djihadistes. Dès 2013, le site
archéologique, abandonné par la même armée gouvernementale qui l’a reprise le
27 mars dernier, était livré aux pillages et aux fouilles clandestines.
Reconstruire Palmyre ?
Difficile de partager l’optimisme des
autorités syriennes.
Si on en croit les prévisions optimistes de
Maamoun Abdulkarim, directeur général des Antiquités et des Musées de Syrie, le
site archéologique devrait retrouver un visage présentable d’ici cinq ans.
Certaines destructions effectuées par L’État
islamique depuis mai dernier sont, dit-il, tout à fait récupérables : l’arc de
triomphe romain du IIème siècle par exemple, n’aurait pas, finalement, été
détruit par explosif, (source OSDH, Observatoire syrien des droits de l’homme
basé à Londres). On parle désormais d’une »simple » démolition au bulldozer,
donc réparable. Les pierres tombées à terre ne seraient pas pulvérisées et
seraient, à terme, facilement reconstruites.
Parfois, c’est vrai,
on peu réparer le désastre. C’est le cas du monumental lion d’al-Lât tenant une
gazelle entre ses pattes qui a été renversé, martelé, cassé, mais non
pulvérisé. Toutefois, les possibilités de reconstitution du site tel qu’il
existait il y a encore un an sont quasiment impossibles.
Maurice Sartre, spécialiste de la Syrie antique et de Palmyre, s’en confiait sur France
Info, lundi 28 mars 2016 : « Même avec l’aide internationale, ce pays en guerre
manquera longtemps des moyens nécessaires pour engager les travaux de
reconstruction » D’autre part, poursuit-il, « l’inventaire des pillages prendra
beaucoup plus de temps qu’on veut bien le dire ».
Annie Sartre-Fauriat, expert à l’Unesco pour le patrimoine syrien, doute que la reconstruction
soit possible « au vu des destructions considérables et des pillages sur le
site et dans le musée (…) Ça me parait illusoire (…) On ne va pas reconstruire
quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière (…) Cette
récupération est une opération politique, médiatique vis-à-vis de l’opinion
publique du régime de Bachar al-Assad » (Huffington Post, 28 mars 2016).
Photos et vidéos prises depuis deux
jours sur le site et dans le musée dévasté montrent en effet des sarcophages
martelés, des statues renversées, et morcelées, totalement irrécupérables.
De nombreux objets, masques
mortuaires et bas-reliefs, ont été arrachés et revendus sur des marchés épars
qu’il sera difficile de retrouver. On peut s’interroger, à ce sujet, sur la
célérité suspecte avec laquelle Maamoun Abdulkarim, digne fonctionnaire du
régime de Bachar, a désigné Israël comme l’une des principales filières de
revente clandestine de ces objets (Interview accordé au magazine Sciences et
Avenir, le 29 septembre 2015).
Imagine-ton un instant Daech
marchander avec des Juifs ?
La reprise de Palmyre est une
triste victoire à la Pyrrhus dont personne, ou presque, ne songe à se
féliciter. Multiplier les mensonges pour faire taire les rancœurs est une autre
façon honteuse d’abandonner la cité antique une deuxième fois.
Palmyre était l’identité et la
fierté d’un modèle gréco-latin universel dont on se prépare déjà à ne recoller
que les quelques morceaux et miettes que l’on voudra bien nous laisser.
La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova elle-même, ne s’y trompe pas quand
elle affirme « Depuis un an, le saccage de Palmyre est le symbole du nettoyage
culturel qui sévit au Moyen-Orient. »
Voilà de quoi méditer sur notre
capacité, ici et ailleurs, à préserver ce que nous sommes c’est à dire d’où
nous venons : un passé riche, une histoire multiple, une culture syncrétique et
millénaire … « une identité hybride » (Paul Veyne, op.cit. p.97).
© Jean-Paul Fhima pour Europe Israël News
http://www.tribunejuive.info/moyen-orient/palmyre-sauvee-ne-le-sera-plus-tout-a-fait-par-jean-paul-fhima
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