Claus Guth, Quinn Kelsey
(Rigoletto)
© Éléna Bauer / OnP
© Éléna Bauer / OnP
Au Moyen Âge, on croyait que la difformité d’un bossu était due aux
démons enfermés à l’intérieur de son corps, qui poussaient à l'endroit de sa
bosse pour essayer de sortir. Si Rigoletto a bien des démons intérieurs, ce
n’est pas à travers une bosse que Claus Guth entend les suggérer. Le metteur en
scène, qui s’attache implacablement à mettre à nu les œuvres qu’il monte, a
pris le parti d’intérioriser la déformation, d’en faire une « grimace sociale
», pour présenter toute la force et toute l’actualité de ce drame. La
photographe Éléna Bauer a capté l'atmosphère du spectacle en train de se faire.
Parce que toute l’histoire est racontée sous l’angle de la malédiction
dont est frappé le personnage principal, Claus Guth a imaginé un dispositif
sur-mesure : le spectateur voit le drame à travers les yeux d’un Rigoletto
vieillissant et brisé, revivant la tragédie qui l’a détruit et a causé la mort
de sa fille.
Olga Peretyatko (Gilda)
Sa vision s’est structurée autour de la relation père-fille. Saisi de panique
à l’idée de perdre Gilda, Rigoletto s’emploie à la mettre constamment en scène
en petite fille, comme s’il voulait l’empêcher de grandir, de devenir une
femme. Gilda réagit en dissimulant son désir naissant pour un étranger qui se
révèlera être le duc. Mais cette échappatoire est un leurre : tout comme son
père, le duc projette sur elle ses propres fantasmes. Elle passe ainsi d’une
prison à une autre.
Henri Bernard Guizirian (double de Rigoletto), Claus
Guth
Cet enfermement apparaît
clairement dans la musique : les lignes de chant de Gilda sont dépendantes de
la ligne de Rigoletto ou de celle du duc. Ce n’est qu’au troisième acte qu’elle
commence à chanter ces grandes phrases libres qui sont le signe de sa propre
personnalité. Mais il est alors trop tard : lorsqu’elle s’émancipe enfin, c’est
pour prendre la décision de se sacrifier pour sauver le duc.
Rigoletto marque un tournant esthétique dans
la carrière de Verdi : le compositeur y soumet constamment la forme aux
exigences de la vérité théâtrale. À la fin de sa vie, après Falstaff, on rendit à Verdi
les honneurs à Rome en le présentant comme « le plus grand musicien de son
temps ». Sa réponse fut cinglante : « Laissez tomber le grand musicien, je suis
un homme de théâtre. »
https://www.operadeparis.fr/magazine/portfolio-faire-grimacer-le-reel
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