Sylvie Bonier
Magnifique réalisation scénique et
musicale de l’oratorio «Il Trionfo del Tempo et del Disinganno» par Krzysztof
Warlikowski et Emmanuelle Haïm
Décidément c’est
aux limites de l’art lyrique que le festival d’Aix-en-Provence se distingue
particulièrement cette année. A une poignée d’heures de l’étonnant Kalîla wa Dimna, l’oratorio Il Trionfo del Tempo et del Disinganno de Haendel
se situe au sommet d’un genre habituellement réservé à des scènes moins exposées.
Le débat
philosophique et moraliste écrit par le cardinal Benedetto Pamphili et créé à
Rome en 1707, est défendu par un jeune compositeur déjà au faîte de sa maîtrise
vocale et instrumentale, à 22 ans seulement. Il
Trionfo n’est a priori pas œuvre à occuper le haut des affiches lyriques. Bernard
Foccroulle a pourtant osé le pari avec Krzysztof Warlikowski pour mettre en
scène cet ouvrage traditionnellement de concert, et Emmanuelle Haïm pour le
porter musicalement.
A part la
projection de The Science of Ghosts avec
Jacques Derrida et Pascale Ogier en conclusion de première partie, qui semble
tomber comme un cheveu sur la soupe au centre de l’œuvre de Haendel, la
réalisation scénique s’avère brillante. Le concept fonctionne parfaitement
grâce à la forme de l’oratorio.
La grande
réflexion sur l’éphémérité de la beauté, de la jeunesse et de la vie, que la
soumission au plaisir ne saurait faire oublier, autorise les traitements les
plus libres. Krzysztof Warlikowski s’est engouffré dans la brèche en attaquant le
sujet frontalement.
Il dénonce
d’emblée le «scandale» de l’ouvrage et le «choc» de sa lecture dans une
projection en noir et blanc pendant l’ouverture. Les allégories Beauté et
Plaisir ne sont autres que deux jeunes en quête d’ivresse. Leurs excès de produits
excitants pendant une soirée dansante les mèneront à l’hôpital. A l’issue de ce
chef d’œuvre trop mal connu, Beauté quittera le monde, non pas en se mariant à
Dieu, mais à la mort.
Quant à
Temps et Désillusion, les voilà transformés en figures parentales par le
metteur en scène polonais. Les aînés ne peuvent que prendre des notes et
essayer de convaincre ou séduire l’adolescente en perdition pour lui expliquer
que la vie est trop courte pour courir à l’oubli de soi et gaspiller sa
jeunesse.
La scission
de l’espace scénique impressionne. Une salle de cinéma, dont le public occupe
la place de l’écran (qui regarde qui dans cette marche vers la fin?…), est
séparée par un couloir vitré tout en verticalité. A jardin, l’espace éclairé de
la jeunesse. A cour, la partie de la maturité, plus obscure. En front de scène,
un lit médicalisé répond à un bureau ou une table de repas.
Il ne reste
plus qu’à suivre la musique, somptueuse, dans l’évidence de ce dispositif. Et
c’est peu dire que les notes sont servies au plus haut niveau. La Bellezza
éblouissante de Sabine Devieilhe brûle les planches dans une incarnation
suffocante, du souffle infime à l’explosion d’aigus incandescents. Sara
Mingardo compose le plus humain des Disinganno sur des graves de velours et une
musicalité à fleur de chant et le Piacere du contre-ténor Franco Fagioli, voix
troublante du fond au faîte de la tessiture, est plus malsain qu’un serpent
venimeux.
Avec le
ténor Michael Spyres, Tempo trouve interprète à sa mesure. La puissance, la
rondeur et le tranchant de sa voix sur tout le registre, ainsi que son jeu
solide, lui confèrent une force que rien ne saurait ébranler. Celle du temps qui avance inexorablement.
Pour soutenir ces chanteurs exceptionnels? La fée
Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée sont à l’œuvre. Autant dire du
voluptueux, du vital, de l’aérien et du cristallin. Un peu de
minceur dans les sonorités des solos de violons n’y change rien. La cinquième
figure absente sur scène vibre en fosse: le bonheur.
https://www.letemps.ch/culture/2016/07/03/haendel-porte-triomphe-aix
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