Le jeune homme rêvait
d'être une star de hockey aux États-Unis. Il est devenu romancier. Évariste est
son deuxième livre. Un futur grand écrivain?
Il a une silhouette de
jeune Werther, longiligne, souliers pointus, la mèche romantique, comme on
pouvait l'attendre d'un auteur qui fêtera demain ses vingt-huit ans.
François-Henri Désérable consacre son deuxième roman à un prodige des
mathématiques, le fulgurant Évariste Galois mort en duel à vingt ans à cause
d'une femme, deux années après être monté sur les barricades de la révolution
de juillet 1830, et dont le génie ne sera compris qu'après sa mort.
Ce livre confirme qu'un
écrivain est né et qu'il est prometteur. Néanmoins, le narrateur de
François-Henri Désérable fait preuve parfois d'une telle morgue que, séduit par
l'originalité de son talent mais agacé qu'il n'en use pas plus délicatement, on
a envie de lui chuchoter d'arrêter son numéro, de poser ses cymbales, de dire
sans apprêt ce qu'il a dans l'âme, le cœur et les tripes.
L'auteur serait-il, comme
son alter ego romanesque, un rien cabot et méprisant à l'égard du vulgaire? Eh
bien, pas le moins du monde! Lorsqu'il approche, sourit, salue, on est surpris
de ne déceler dans ses manières aucun signe ostentatoire d'égotisme ou de mal
du siècle. La conversation qui suit confirmera qu'il n'y a pas chez lui la
moindre arrogance mais, chevillé au corps, un désir insatiable de grandeur et
une angoisse du temps qui passe. «Les jeunes disent Carpe diem pour justifier
leur hédonisme, explique-t-il. Je retiens surtout la suite du vers, quam
minimum credula postero: ne sois pas certain du lendemain. Il faut vivre vite,
faire le maximum dans le temps qui nous est imparti.» S'il se sent différent de
sa génération, c'est par l'ambition qui le tenaille depuis qu'il est petit
enfant: «J'aurais peur de ne pas laisser une œuvre derrière moi.»
Le premier livre de
François-Henri, Tu montreras ma tête au peuple, récit romancé des derniers
instants de quelques guillotinés de la Révolution, faisait écho à ces
questionnements: à quoi pense-t-on lorsqu'on sait qu'on va mourir? Qu'a-t-on
fait de sa vie? Il y a dans Évariste une phrase un peu grandiloquente sur
l'écrivain qui s'incarne dans le Verbe. On comprend maintenant qu'elle est
l'expression sincère d'une peur et d'un rêve: celui de se créer un corps de
mots qui lui survive.
Pourtant, la littérature ne
fut pas sa première vocation. Longtemps, il n'a pensé qu'au hockey sur glace.
«Je rêvais de devenir un grand joueur, de voir mon nom gravé sur la coupe
Stanley.» Son père étant entraîneur de l'équipe d'Amiens où ils habitaient, il
a fréquenté les patinoires avant de savoir marcher. À quinze ans, il est parti
jouer aux États-Unis. À dix-huit, il a compris qu'il ne pourrait jamais jouer
dans la meilleure ligue: «J'ai échoué. C'est le drame de ma vie», dit-il avec
une simplicité charmante. C'est alors qu'il jette son dévolu sur un autre genre
de jeu et d'art, la littérature. Il devient cependant joueur de hockey
professionnel et s'inscrit à la fac de droit parce qu'elle se trouvait à côté
de la patinoire… Cet été, il a décidé d'arrêter sa thèse et de passer au hockey
amateur: la littérature et rien que la littérature. «Je prends ce risque pour
être sûr d'aller au bout.»
«La littérature sort les
gens du tombeau. Il n'y a que l'art qui puisse ainsi ressusciter les morts.»
François-Henri Désérable
On a du mal à imaginer ce
jeune homme délicat et bien élevé dans un match de hockey. Ce sport «est un
savant mélange de glisse acrobatique et de Seconde Guerre mondiale», dit-il,
citant Hitchcock. Il y a deux sortes de joueurs, explique-t-il, les artistes du
palet et les violents. «Je fais partie des violents. Quand on frappe
l'adversaire sur la balustrade et que le public applaudit, il y a une
jubilation. Lorsque je monte sur la glace, c'est la guerre.» Il enchaîne, sur
le même ton paisible: «Mes meilleurs amis sont des joueurs de hockey qui n'ont
pas lu mon livre et pas fait d'études. Ce sont mes frères d'armes.»
La guerre, donc. Aurait-il
envie comme son héros de monter sur les barricades? «S'il y en avait,
peut-être, mais il n'y en a plus.» Il se rappelle les manifestations contre le
CPE quand il était à l'université. «Les étudiants se sentaient investis d'une
mission. Quand l'été est venu, ils sont partis en vacances.» Bien sûr qu'à
dix-huit ans, il a rêvé «de dérober le feu sacré pour en éclairer le monde».
Mais maintenant, s'il a envie d'en découdre, c'est avec lui-même. «La révolte,
elle est personnelle.» Un critique littéraire de gauche l'avait soupçonné à la
lecture de son premier livre de ne pas avoir de sympathie pour la Révolution
française. Il s'en étonne, s'en inquiète même. Désérable n'est pas un idéologue
mais un romancier. Il y a chez ce jeune homme inquiet de se créer un destin une
paradoxale absence d'ego et quelque chose de ductile qui lui permet de se
mettre à la place des autres, de se couler dans tous ses personnages. Qu'il ait
eu de l'empathie pour les aristocrates guillotinés qu'il a mis en scène ne fait
pas de lui un monarchiste.
Lorsqu'on l'interroge sur
ses années de formation, il est factuel, son visage se rembrunit même un
instant. On imagine qu'il a grandi à Amiens dans une atmosphère de roman du
XIXe siècle, Madame Bovary à la maison et Salammbô quand il faisait la guerre
sur la glace et que les filles l'attendaient à la sortie des vestiaires. Sa
grand-mère maternelle tenait un PMU. Sa mère dut arrêter ses études pour
travailler puis choisit de se consacrer à ses quatre enfants, rêvant pour eux
de belles études et de beaux mariages. Son père connut les heures de gloire et
les revers de l'équipe de hockey d'Amiens. Le sentiment d'humiliation et le
désir de revanche, très puissants dans son livre, sans doute les a-t-il
ressentis davantage par proches interposés que personnellement.
Pourquoi l'écrivain
Désérable s'inspire-t-il de personnages du passé? «La littérature sort les gens
du tombeau. Il n'y a que l'art qui puisse ainsi ressusciter les morts.» Il cite
Modiano: «J'ai beaucoup d'amis morts avant ma naissance.» Et le Vieux, ce Dieu
le Père, qu'il met en scène dans son roman avec une irrévérence teintée de défi
qui attend une réponse? «Je voulais laisser ouverte l'hypothèse d'une force
supérieure qui préside ne fusse qu'un peu à la destinée.» Il raconte avoir
connu un sentiment d'éternité lorsqu'il a déchiffré l'ultime lettre du jeune
Évariste conservée à la bibliothèque de l'Institut. «Quant à Dieu, je prie pour
qu'il existe, comme je le fais dire à Charlotte Corday dans mon premier livre.»
En attendant, il rend son culte à la littérature, en espérant figurer parmi ses
élus.
http://www.lefigaro.fr/livres/2015/02/05/03005-20150205ARTFIG00024-francois-henri-deserable-assoiffe-d-eternite.php
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