L'orchestre de l'Opéra
national de Paris, dirigé par Philippe Jordan, reprend la musique des
compositeurs russes Modest Mussorgsky et Sergei Prokofiev dans un CD disponible
à partir du 7 avril.
PROKOFIEV : SYMPHONIE
CLASSIQUE
C’est au classicisme
musical de Haydn que rend hommage le jeune Prokofiev, lorsqu’en 1916, âgé de 25
ans, il entame la composition de sa première symphonie. L’art du compositeur
russe, élève de Rimski-Korsakov, formé au classicisme, s’épanouit dans un contexte
de subversion artistique et politique. Contemporaine de la monochromatique
révolution blanche du plasticien Kasimir Malevitch et de la révolution rouge
menée par Lénine, cette Première Symphonie dite « Classique » est créée le 21
avril 1918, en des temps par ailleurs chamboulés par le futurisme littéraire,
plastique et musical. Convoquant et assumant pleinement l’esthétique du maître
autrichien, elle arbore pour certains les traits d’une figure rétrograde, au
regard notamment de l’écriture plus moderne de son exact contemporain, le
Premier Concerto pour violon. Des traits dont s’est toujours gaussé Prokofiev,
plus révolutionnaire et rebelle que ne le laisse entendre le néoclassicisme
qu’il met volontairement en oeuvre. Il s’agit en effet pour lui d’un moyen de
provoquer le public bourgeois qui l’attend sur des voies musicales plus
radicales. C’est donc avec une évidente facétie qu’il exploite sa parfaite
culture classique et postule que l’évolution de la musique se fera par la
convocation du passé. « Mon idée était d’écrire une symphonique dans le style
de Haydn […] Je pensais que si ce compositeur avait encore vécu, il aurait
certainement agrémenté sa musique d’éléments nouveaux, tout en conservant sa
façon de composer. C’est une symphonie classique et fidèle à ce principe que je
voulais composer. Je l’appelais Symphonie Classique, d’abord pour la simplicité
du titre et aussi pour provoquer les philistins et avec l’espoir de vraiment
gagner si la Symphonie Classique devait se révéler réellement “classique”. »
Débutée en 1916 et achevée en 1917, son écriture a la particularité de se faire
sans l’aide d’instruments. La matière thématique de la symphonie est conçue de
tête, permettant, selon Prokofiev, un résultat d’une qualité meilleure à celle
obtenue avec l’aide du piano. La référence au XVIIIe siècle dicte la tonalité
de ré majeur et la composition de l’orchestre, dont l’effectif réduit évoque
celui communément utilisé par Haydn et Mozart. Dans ce cadre structurant se
développe une musique dont la clarté tonale en appelle au caractère général
propre à l’art de Haydn. Adoptant la forme sonate classique, le premier
mouvement, Allegro, s’ouvre sur un thème des plus vifs auquel réplique un
second motif, dont les grands intervalles piqués au violon s’adjoignent l’accompagnement
du basson staccato. Le rythme à trois temps du second mouvement, Larghetto,
l’apparente au menuet. Des contrepoints de gammes servent un thème que les
aigus du violon exposent dans son introduction. Gavotta, non troppo allegro,
est le troisième mouvement de l’oeuvre et le premier à avoir été composé. Par
sa netteté rythmique, la gavotte est particulièrement affectionnée par
Prokofiev, qui citera celle-ci dans Roméo et Juliette. De forme usuelle ABA, sa
partie centrale fait la part belle aux bois. Le Finale, molto vivace clôture
cette symphonie en adoptant la vitalité du premier mouvement. En associant
structurellement le rondo à la forme sonate, il livre successivement deux
thèmes, aux cordes et aux bois, avant que la flûte n’en dispense un troisième,
idée mélodique dominante empreinte d’un esprit populaire russe. Avec cette
première symphonie, Prokofiev apparaît comme un des initiateurs du grand genre
néoclassique en devenir.
MOUSSORGSKY : LES TABLEAUX
D’UNE EXPOSITION
Initialement créés pour le
piano, Les Tableaux d’une exposition (1874) sont inspirés d’un ensemble
d’œuvres du peintre russe Victor Hartmann, vu par Moussorgski lors d’une
exposition-hommage organisée au lendemain de la mort de l’artiste. Affecté par
le décès de ce dernier, le compositeur se lance dans l’écriture de cette pièce
à programme qui entend dépeindre les déambulations d’un spectateur entre ces
peintures, nées des impressions de voyages d’Hartmann à travers la France, la
Pologne et l’Italie, mais encore de ses projets architecturaux. Leur
composition, échelonnée entre juin et juillet 1874, est évoquée par Moussorgski
dans une lettre destinée à son dédicataire Vladimir Stassov : « Mon cher
généralissime, Hartmann bouillonne comme bouillonnait Boris, – des sons et des idées
sont suspendus en l’air, je suis en train de les absorber et tout cela déborde,
et je peux à peine griffonner sur le papier ; je suis en train d’écrire le no
4. Les transitions sont bonnes (la Promenade). Je veux travailler plus
rapidement et de manière plus sûre. Mes états d’âme peuvent être perçus durant
les interludes. Jusqu’à présent, je pense que c’est bien tourné… ». Les
Tableaux d’une exposition jouent ainsi le jeu des correspondances, où chacun
des sons trouverait un équivalent chromatique. Si Moussorgski entend transposer
musicalement le visuel, il entend aussi traduire l’expérience même du parcours
d’exposition, comme en témoignent ces mouvements de ponctuation, « Promenade »,
qui cherchent à traduire les évolutions spatiales du visiteur et ses
changements d’humeur à la vue des
œuvres. Des thèmes participant au pouvoir de suggestion inhérent à la série,
qui ne saurait toutefois être une simple transcription sonore. Au-delà de
l’interprétation qu’elles donnent de la matière picturale, ces pièces sont
aussi un signe fort de la renaissance russe, dans un siècle marqué par
l’affirmation des nationalismes. La citation de mélodies anciennes, de danses
d’où s’échappe une rare férocité (La Cabane sur des pattes de poule), sont des
exemples de l’expression folklorique de l’ensemble. Le puissant colorisme
pianistique de Moussorgski ne pouvait que toucher Ravel, dont l’orchestre est
devenu l’instrument de prédilection. C’est donc un travail d’orchestration
polychromique qu’il réalise en 1922 sur ces tableaux. Tirant profit des
caractéristiques propres à la production russe, tel l’ostinato constitutif de
l’orientalisme, le maître français fait preuve d’une inventivité orchestrale
dans la lignée des apports de Berlioz en son temps. De ce dernier, il retient notamment
l’autonomie des timbres, mais s’en émancipe dans la mesure où, pour lui, le
timbre ne saurait prévaloir sur l’harmonie. Fidèle à la structure établie par
Moussorgski, de laquelle il retire la Promenade entre Samuel Goldenberg et
Schmuyle et Limoges, Ravel multiplie les idées brillantes, tel le mariage de
l’orchestre et du saxophone dans Le Vieux château. Alternant raffinement
harmonique (Bydło), humour (Ballet des poussins), grande scène populaire
(Limoges), imitation par les cuivres des sonorités de l’orgue (Catacombes) ou
encore sentiment religieux (La Grande Porte de Kiev), son travail sur Les
Tableaux éclaire magistralement l’étendue de sa palette d’orchestrateur.
Marion Mirande
https://www.operadeparis.fr/actualites/modest-mussorgsky-et-sergei-prokofiev-a-lhonneur-dans-un-cd-disponible-a-partir-du-7-avril
No hay comentarios:
Publicar un comentario