Paris Match. Margaux Roland
Les accords ne se signent
pas face caméra, devant une horde de journalistes, mais bien à l’abri des
regards », affirme Laurent Stefanini, ancien chef du protocole de la République française. C’est le cas des 36 Rafale vendus à l’Inde, signés sur un coin de table à force de déjeuners. Des
anecdotes comme celle-là, le chef Thierry
Charrier en compte des dizaines, fruit de ses vingt-cinq années d’expérience. Il a aussi ses petits secrets. Pour éviter l’incident diplomatique, il ne sert jamais de brocolis à John
Kerry et privilégie la saint-jacques dont il raffole. Sous les dorures du salon
de l’Horloge, la pièce la plus prestigieuse du Quai d’Orsay, se cachent les
cuisines. Le chef et sa brigade de quatorze personnes s’affairent aux 60 000 repas servis tous les ans. Ici, en quarante minutes, on
confectionne un menu gastronomique complet. Un timing serré qui peut se révéler frustrant, mais Thierry Charrier reste vigilant car, déclare-t-il, « nos convives sont très attentifs à la manière dont ils sont reçus ».
Commencée en 1844, puis
freinée par la révolution de 1848, la construction du monument s’achève à
l’instigation de l’empereur Napoléon III. A la demande de François Guizot,
ministre des Affaires étrangères, le projet fut confié à l’architecte Jacques
Lacornée, à qui l’on devait la construction du palais d’Orsay. La décoration
intérieure est signée Séchan, Nolau et Rubé, Molknecht, Lavigne, Liénard…
artistes de l’époque.
Une équipe perpétue la
tradition de cette gastronomie haut de gamme et du service à la française.
Cuisiniers, commis, lingères, argentiers, maîtres d’hôtel ; tous représentent un art de
vivre unique. Le Quai d’Orsay est le seul lieu, avec l’Elysée, à servir à la
française. Si ce savoir-faire, hérité des maisons bourgeoises, ne s’apprend pas
à l’école, le ministère travaille fréquemment avec les élèves de l’école
Ferrandi, le prestigieux établissement parisien. « Ils sont heureux d’apprendre auprès de nos maîtres d’hôtel… Nous sommes les garants de cette tradition », précise l’intendant général du ministère, Thierry Bouron.
Ici les convives se servent
eux-mêmes en fonction de leurs souhaits. « Tout est proportionné, délimité dans le plat pour qu’au premier coup d’œil la personne s’y retrouve », explique Thierry Charrier. Trois garnitures accompagnent l’élément principal, viande
ou poisson. Le maître d’hôtel sert le plat et les accompagnements, le suiveur
présente à la gauche de l’invité le légumier et la saucière. Ainsi aucun mets
ne lui est imposé et le convive est flatté.
Le chef Thierry Charrier
dirige une brigade de 14 personnes.
© DR
Lors de sa dernière visite, en janvier dernier, John Kerry affirmait à Jean-Marc Ayrault, dans un parfait français : « Tout le bonheur d’être reçu par ses amis. » Pour ce déjeuner, Thierry Bouron avait sorti en présentation l’ensemble « Départements » de porcelaine de Sèvres, des pièces de collection. Chaque assiette présente dans son bassin une vue d’un département avec, sur l’aile, des portraits d’hommes illustres originaires de la région. Le Quai d’Orsay détient un autre service d’apparat, le « Fleuves et rivières », comptabilisant près de 90 pièces. D’une valeur inestimable, ces deux vaisselles sont cachées dans un lieu tenu secret. Les dernières nappes, à 3 000 euros, viennent de chez Valombreuse. La cristallerie est signée Baccarat ou Saint-Louis, l’argenterie Christofle… Mais l’Etat n’a plus les moyens de cette magnificence, le ministère loue donc à des sociétés les sept salons pour des réceptions privées. Malgré le faste, les budgets se réduisent. En cuisine, le caviar est devenu rare. Quant aux truffes, le chef Charrier n’en fait plus. Mais des repas soignés, à l’image des enjeux qui se négocient. En 1996, des divergences entre la France et la Chine ont failli mettre à mal la sortie de cuisine de près de 200 plats. En cause : le passage sur les droits de l’homme d’un discours d’Alain Juppé, alors Premier ministre. Ce n’est que vers minuit, et après de longues excuses, que les plats ont pu être servis…
L’ouvrage « A la table des diplomates » retrace les repas
qui ont présidé aux grands moments de notre histoire. On y apprend que la reine
Elizabeth II affectionne le foie gras agrémenté d’un Château d’Yquem 1990. Le choix du vin se fait en fonction de l’importance de l’hôte, de ses goûts et du menu. Mais il se peut aussi qu’il ne soit
pas le bienvenu sur les tables. Certains ministres, avec l’aide des maîtres
d’hôtel, dégustent alors en cachette leur verre en prétextant un appel
téléphonique de la plus haute importance…
http://www.parismatch.com/Vivre/Gastronomie/La-cuisine-du-Quai-d-Orsay-l-atout-de-la-Republique-1229090
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