martes, 8 de noviembre de 2016

DANSER BALANCHINE À L’ÉCOUTE DE LA MUSIQUE

Les danseurs Étoiles Mathias Heymann et Myriam Ould-Braham interprètent deux des trois ballets à l’affiche du programme George Balanchine : la reprise de Brahms-Schönberg Quartet et l’entrée au répertoire de Mozartiana. En hommage à Violette Verdy, ils dansent aussi Sonatine, donné exceptionnellement pour les cinq premières représentations. À l’occasion d’une prise de vues pour la réalisation de l’affiche du spectacle, Mathias Heymann livrait ses impressions sur ce répertoire poétique, exigeant, d’une extrême musicalité.
Vous interprétez avec Myriam Ould-Braham Sonatine, donné en hommage à Violette Verdy à l’occasion du programme George Balanchine. L’avez-vous connue ? Quel héritage vous a-t-elle laissé ?
Mathias Heymann : Je l'ai connue brièvement, à l’occasion de cours de danse qu’elle donnait à la Compagnie en tant qu’artiste invitée. Je venais d’entrer dans le Ballet. Evidemment, à l’École de Danse, j’en avais déjà beaucoup entendu parler : les élèves ont tendance à se tourner vers ces danseurs qui ont marqué leur époque. Violette était une pionnière : elle avait quitté la France pour poursuivre sa carrière aux États-Unis, avait été l'une des égéries de Balanchine... J’étais curieux de la rencontrer et, comme beaucoup, j’ai été charmé par la personne. Elle avait une joie d’être et de transmettre communicative.    
Que vous a-t-elle transmis de Balanchine ?
M. H. : Dans ses cours de danse, elle insistait sur la musicalité, elle y était très attachée : il y avait beaucoup de changements de rythmes dans ses exercices à la barre. Elle nous transmettait aussi cette particularité du langage de Balanchine qui, dans l'académisme du classique, ouvre certains axes, certains épaulements. La technique de base est la même mais les angles varient, tout comme les intensités. Quand on est jeune danseur, on pense davantage à la finalité du mouvement, Violette nous apprenait au contraire à l’apprécier, à prendre le temps, à «l'adoucir » afin de l'amener de manière plus agréable pour le corps. Personnellement, j'avais tendance à aborder certaines choses avec force et je me souviens d’elle nous répétant : « Relâchez ! Cool, cool ! Le mouvement est là, vous l'avez, vous êtes danseurs, ce n’est pas la peine de chercher plus. » Efficacité, simplicité, c'était ses maîtres-mots et c’est ce que je retiens d'elle.    
Aujourd'hui, nous répétons avec Bart Cook, qui vient du Balanchine Trust. Il nous parle de Violette comme un alliage de musicalité, de fraîcheur, de simplicité et de grâce... Sonatine a été créé sur elle et sur Jean-Pierre Bonnefous qui était Étoile à l’Opéra. Ce pas de deux est une démonstration de la vision que Balanchine pouvait avoir de l'élégance à la française.
Plus qu’un pas de deux, la présence du piano sur scène et la musique de Ravel, qui est un point central de la pièce, fait qu’en réalité, il s’agit davantage d’un trio. C'est un jeu entre la danse et la musique, il faut arriver à une symbiose qui ferait que l’on ne saurait plus qui de la musique ou du pas initie le mouvement.

Vous soulignez l’importance de la musicalité chez Balanchine. Comment cela se traduit-il dans ses chorégraphies ?
M. H. : La place de la musique est primordiale chez Balanchine, c’est la base de tout. Je m'applique à bien la connaître avant de maîtriser la chorégraphie. Je suis malgré tout assez « novice » dans son répertoire, je n'ai pas abordé beaucoup de pièces mais c’est à chaque fois une découverte. Il y certes des éléments chorégraphiques et musicaux qui peuvent donner une ambiance et un ton mais dans la plupart de ses œuvres, il n’y a pas d'histoire, pas de narration. Ces ballets abstraits laissent la place à l'imaginaire et à la liberté dans le mouvement.     
Vous parlez d’ambiances différentes pour chaque œuvre. Finalement, qu’est ce qui rassemble et différencie les pièces réunies dans cette soirée ?
M. H. : Ce qui les rassemble est sans aucun doute ce rapport particulier à la musique. Dans Brahms Schönberg Quartet, il y a quatre mouvements qui se distinguent par la musique. Chaque mouvement apporte une dramaturgie différente. Myriam et moi, interprétons le troisième, « romantique ». L’atmosphère est calme, je ne suis entouré que de danseuses et il y a quelque chose de très fluide. Le mouvement qui suit, en revanche, est un vrai feu d'artifice, il dégage une énergie qui correspond au Finale du ballet.
Sonatine s’apparente à une ballade, il y a dans la musique de Ravel de nombreuses références à l’eau, c’est bucolique. À l'époque où Balanchine a crééSonatine, il était focalisé sur Violette et a donné à l'homme le rôle d’une sorte d'esprit qui accompagne la pensée de la ballerine. Souvent, dans les pas de deux classiques, le danseur a les choses en main. Là, il faut se laisser guider, trouver avec sa partenaire un lâcher prise, un laisser-aller.
Enfin, Mozartiana, me fait penser aux cours royales. Il y a quelque chose de majestueux, de noble dans ce ballet. C’est l’une des dernières créations de Balanchine et c’est un point culminant dans son parcours : il arrive à la fin de sa vie, il a accumulé énormément de connaissances. Techniquement, c'est virtuose, la danseuse a des pas techniques redoutables et qu’il faut savoir faire avec une certaine hauteur.    
Dans cette prise de vues, on a l'impression d'une grande complicité entre vous deux, mais aussi de douceur et de rigueur. Est-ce que ce sont là des qualités nécessaires pour danser Balanchine ?
M. H : Entre Myriam et moi, il y a un vrai rapport de confiance. On danse ensemble depuis longtemps. On travaille quotidiennement et on finit par savoir anticiper les réactions de l'autre ou juste s'adapter à ce que l'autre nous donne. Myriam a une sensibilité et une fragilité qui me poussent à être encore plus attentif. Elle dégage aussi naturellement quelque chose de lumineux. Ce sont des danses de couple, il y a un échange réel entre les deux partenaires. Du début à la fin, Sonatine n’est qu’une succession de questions-réponses, c’est un va-et-vient perpétuel entre elle et lui. Il faut réussir à arriver sur scène comme si l’on ne connaissait pas les pas à l’avance et que l’on répondait le plus naturellement possible à la proposition de notre partenaire. Certes la chorégraphie est beaucoup plus complexe que cela peut sembler mais un interprète qui survole, qui prend du plaisir à danser, ça n'a pas de prix. Et je continuerai, jusqu'au bout, à aller vers cette simplicité et ce naturel.


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