Par Simon Hatab
Owen
Wingrave
© Elena Bauer / OnP
© Elena Bauer / OnP
Tom Creed met en scène Owen Wingrave avec les jeunes
artistes de l’Académie : une œuvre dont le sujet – plus que jamais d’actualité
– est justement la jeunesse sacrifiée sur l’autel de la guerre…
Connaissez-vous Cork ? Cette ville irlandaise d’un peu plus de 100 000 âmes
se proclame parfois « vraie capitale de l’Irlande », pour ce qu’elle a plutôt
bien résisté aux invasions vikings au cours de son histoire mouvementée – à la
différence de Dublin qui est souvent passée sous influence étrangère. Cork peut
s’enorgueillir d’avoir offert au monde quelques célébrités, dont le footballeur
Roy Keane, le chanteur Rory Gallagher ou encore Jack Gleeson, l’un des acteurs
de la série culte Game of Thrones. Elle peut également se vanter
d’avoir donné avec Tom Creed l’un des metteurs en scène les plus créatifs et
les plus originaux de sa génération.
C’est effectivement à Cork que Tom Creed a fait ses premiers pas théâtraux
: d’abord au lycée, puis en intégrant le prestigieux University College Cork :
« C’était une ville petite mais excitante, avec un vivier d’artistes inspirés
et inspirants. » Tom s’essaie au jeu avant de se fixer sur la mise en scène. Un
prix remporté dans un festival de théâtre étudiant lui ouvre les portes du
monde professionnel.
Il écrit d’abord quelques projets inclassables : Soap, une
parodie de soap opera à l’américaine où quatre comédiens
jouent une cinquantaine de personnages, ou encore The Train Show,
une comédie musicale interprétée par trente chanteurs dans le train reliant
Cork à la ville de Cobh.
Mon travail de metteur en scène me
permet d'élargir ma vision du monde.
Tom Creed
En 2007, il met en scène Attempts on her life – une pièce
de Martin Crimp qu'il aime « parce qu’elle ne comporte pas vraiment de
personnages ni vraiment d’histoire » - et qui lui vaudra d’être nominé aux
Irish Times Irish Theatre Awards. Trois ans plus tard, sa production de Watt de
Samuel Beckett passe les frontières et tourne en Angleterre, en Australie et
aux Etats-Unis. Tom Creed devient officiellement citoyen du monde : ses
spectacles font le tour du globe. Parmi ses créations les plus significatives
de ces dernières années, citons ses collaborations avec des écrivains
contemporains – Trade avec Mark O’Halloran ou encore Shibari avec
Gary Duggan. Il a aussi travaillé pour des festivals – pour le Kilkenny Arts
Festival ou encore pour le Cork Midsummer Festival qu’il a dirigé de 2011 à
2013 – ce qu’il nomme sa « seconde vie parallèle ».
Au sein de cette carrière artistique en pleine expansion, l’opéra prend
depuis quelques années une place grandissante : en 2010, il a commencé à se
passionner pour la mise en scène lyrique en travaillant sur une pièce musicale
du compositeur irlandais Ian Wilson. Depuis, il a mis en scène des opéras à
Berlin, à Rotterdam et à Anvers… Il s’est récemment confronté à La Voix
humaine, àSuor Angelica et à La Flûte enchantée.
Invité à mettre en scène Owen Wingrave avec les jeunes
interprètes de l’Académie, Tom Creed peut s’appuyer sur une œuvre aussi forte
dramatiquement que musicalement. Déjà, la nouvelle de Henry James (1892) – le
destin de ce jeune homme qui refuse au prix de sa vie d’endosser la carrière
militaire – était une charge contre le bellicisme de la vieille Angleterre.
Mais cette histoire devait prendre un sens tout autre lorsque Britten la
réactualisa à l’opéra en pleine guerre du Vietnam (1970), à la demande de la
BBC : « Britten en profite pour délivrer un message pacifiste à un large public
que lui permet d’atteindre la télévision. » Toucher le public de notre temps est
aussi le crédo de Tom, qui voit toujours dans une mise en scène l’opportunité
de lier étroitement une œuvre au présent.
Pour « Owen », il a eu sa première réunion de travail à Paris en novembre
2015 – ce moment où une chape de plomb s’est abattue sur la France : « La
télévision tournait en boucle, annonçant que la France et ses alliés européens
allaient mener des frappes aériennes en Syrie. » Dans l’avion qui le ramène à
Dublin, il lit et relit le livret. Tout à coup, les dialogues d’Owen
Wingrave résonnent avec les débats qui ont lieu à la Chambre des
communes britannique, où Cameron engage le pays dans le conflit syrien. Le
metteur en scène décide alors que l’opéra de Britten sera un moyen de dépasser
le black-out ambiant : « Mon travail consiste à appréhender le
monde et à me connaître moi-même. Lorsque je me pose une question, je n’ai pas
de réponse toute faite. Je ne cesse d'apprendre. J’accrois mon expérience.
J’élargis ma vision du monde. »
Qu’en est-il du travail avec les jeunes artistes de l’Académie ? « C’est
très stimulant : ils arrivent avec des formations, des cultures et des
expériences différentes. Je travaille avec ce qu’ils sont. Nous construisons
des contextes dramatiques, j’essaie de leur lancer de véritables défis, d’aller
au-delà de ce qu’ils croient être leurs limites… »
https://www.operadeparis.fr/magazine/on-a-passe-une-heure-avec-tom-creed
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