Bernard Pierre Wolff
possédait l’art singulier d’un photographe qui, sans mise en scène, réussit à
mettre en harmonie désir et réalité et à créer dans la syntaxe du
photojournalisme classique, un monde à la fois terriblement intime et
parfaitement universel. La Maison Européenne de la Photographie lui consacre
une exposition qui revient sur plus d’une décennie d’images révélant tant son
quotidien new-yorkais que ses voyages en Inde ou au Japon.
Bernard Pierre Wolff est
mort le 28 janvier 1985, à l’âge de cinquante-quatre ans. C’est à New York, où
il vivait depuis plus de vingt ans, qu’il acquit sa notoriété. En France, deux
expositions durant le Mois de la Photo et deux livres, En Inde et New York
Macadam, publiés aux éditions du Chêne, suffirent à faire de lui une figure de
proue de la jeune création contemporaine. L’ensemble de son œuvre appartient
aujourd’hui à la Maison Européenne de la Photographie.
Bernard Pierre Wolff,
qu’une mort brutale a mythifié, n’a laissé sur sa vie et son œuvre que peu
d’informations et de commentaires. À première vue, son travail s’inscrit dans
la tradition du grand photojournalisme d’après-guerre. Comme Henri
Cartier-Bresson, Bernard Pierre Wolff a toujours considéré que le talent du
photographe consistait, face à l’incohérence du réel, à révéler et à imposer un
ordre latent. Comme lui, il a parcouru le monde à la recherche de l’image
universelle capable de rendre compte instantanément d’une situation ou d’un
événement. On ne doit point s’étonner, dès lors, de trouver dans chacune de ses
images (dont aucune n’est recadrée) le souci de la composition et de la
perfection formelle. La plupart d’entre elles pourraient illustrer le fameux
concept bressonien de l’« instant décisif », où la tête, l’œil et le cœur du
photographe sont sur une même ligne de mire. En ce sens, Bernard Pierre Wolff
est un classique… mais un classique qui a retenu les leçons d’un Robert Frank
et, surtout, d’un Charles Harbutt, pour lesquels «tout désormais peut être
photographié» : le laid, le banal, l’insignifiant…
Dans cette perspective, les
rues de New York, avec leur cortège de figures inouïes, leur faune incongrue et
souvent incroyable, allaient devenir un champ d’observation privilégié. À
partir de 1974 et pendant plus de quatre ans, Bernard Pierre Wolff arpenta la
ville en tous sens, photographiant tout ce qui pouvait l’être : les dingues,
les drogués, les travestis, mais aussi les scènes de vie les plus anodines. Il
composait des images quotidiennement, avec ivresse et volupté, transformant peu
à peu son art en une pratique hallucinatoire.
Toute son œuvre, que ce
soit son magnifique reportage sur l’Inde ou, plus tard, le travail qu’il fit
sur le Japon, témoigne de cette subjectivité forcenée qui, chez lui, bouscule
tout et menace, à l’intérieur du cadre, jusqu’à l’équilibre trop parfait des
formes et des lignes. En effet, le principe constitutif des photographies de
Bernard Pierre Wolff s’articule autour des fulgurances du désir. Un désir
obsessionnel et à chaque fois décisif, qui déclenche le processus créatif et
fait que chaque image porte en elle, comme irradiant, cette empreinte
indélébile — sorte de trou noir — par laquelle tout s’ordonne.
Ici, la sensuelle cambrure
d’une hanche, là, un sourire complice, plus loin encore, à moitié caché et
presque hors du cadre, le torse nu d’un homme au travail… le désir en acte
rejoint le réel pour le façonner et lui donner sens.
https://www.parisbouge.com/event/184316
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