Rencontre avec Simon
McBurney, metteur en scène de l'opéra The Rake's Progress, nouvelle production
du Festival d'Aix-en-Provence en juillet 2017.
Libertà !
L'opéra a toujours
entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d'expression. À
Venise, la ville qui a abrité dès 1637 les premières salles ouvertes au public,
l'opéra a connu un premier essor fulgurant durant quelques décennies de liberté
intellectuelle et artistique exceptionnelle, liberté impensable à Rome à la
même époque. Monteverdi et Cavalli ont su profiter de ce climat privilégié pour
écrire des œuvres dont l'audace et la liberté de mœurs ne cessent de nous
surprendre. Erismena témoigne du goût typiquement vénitien pour le
travestissement, pour le mélange des genres comiques, tendres et tragiques. À
travers les jeux de l'amour et les déclinaisons infinies de la séduction,
l'opéra de Cavalli nous incite à voir dans la passion amoureuse un aveuglement
fatal, l'aliénation même de la liberté.
Avec Don Giovanni et
Carmen, nous nous trouvons face à deux figures incarnant la liberté la plus
radicale. Chez Molière comme chez Mozart, Don Juan ne se contente pas de
séduire toutes les femmes qu'il rencontre, il bouscule les interdits les plus
incontournables de son temps : il défie l'ordre social et l'ordre moral, les
règles profanes et sacrées. Refusant tout repentir, Don Giovanni meurt mais sa
condamnation morale n'est pas exempte d'une forme de transfiguration.
Carmen incarne quant à elle
une liberté qui, heurtant de front les préjugés du XIXe siècle, provoqua des
réactions bien plus violentes qu'à la création de Don Giovanni. Carmen séduit,
charme, se rebelle, ne cède à aucune menace et choisit la mort plutôt que de
renoncer à sa liberté. Plus que le roman de Prosper Mérimée, l'opéra de Bizet a
porté son héroïne au rang de figure mythique : la force du chant consiste
précisément à exacerber les sentiments, à renforcer les caractères, à porter
les relations humaines à une forme d'incandescence qui accroît l'intensité de
notre réaction émotionnelle et facilite la projection de chacun de nous dans le
récit.
Composé au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, The Rake’s Progress dépeint de manière aussi virtuose
que cauchemardesque la descente aux enfers d'un homme trahi non seulement par
sa soif de richesses et de plaisirs, mais par toute la société en laquelle il a
cru : la déchéance du libertin s'accompagne de la progressive privation de
liberté qui était la sienne. Les innombrables allusions littéraires et
musicales qui parsèment la partition lui confèrent une dimension
kaléidoscopique unique dans l'histoire de l'opéra. On peut y lire aussi la
désillusion et le ressentiment de ses auteurs, Auden et Stravinski, tous deux
récemment immigrés aux États-Unis, à l'égard d'une civilisation qui avait
généré tant de destructions et de catastrophes.
La fable de Pinocchio est
quant à elle un véritable récit initiatique : on ne naît pas libre, on le
devient. La marionnette est incapable de maîtriser ses désirs et ses pulsions,
incapable aussi de tirer les leçons de ses mésaventures. C'est seulement dans
le ventre de la baleine que Pinocchio prendra son destin en main : il provoque
— contre l'avis de son père — son expulsion, revient au monde et trouve le
chemin d'une liberté chèrement acquise. L'opéra de Philippe Boesmans et Joël
Pommerat, dont Aix présentera la création mondiale, n'est pas juste un « opéra
pour enfants » : il se veut accessible à tous les publics, enfants compris, et
notre espoir est que les spectateurs de tous âges et de toutes origines
forment, le temps de la représentation, cette communauté humaine, intelligente
et sensible, qui donne sens au conte revisité et réincarné.
À un moment de l'histoire
où les valeurs de liberté et de démocratie sont contestées ou combattues un peu
partout dans le monde, il n’est pas inutile de faire résonner ces œuvres dans
toute leur force, d'en sonder la charge émotionnelle et critique et de
s'interroger sur leur pertinence et leur actualité.
Bernard Foccroulle
Directeur général
http://festival-aix.com/fr/medias/tete-tete-avec-simon-mcburney
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