domingo, 16 de julio de 2017

TÊTE À TÊTE AVEC SIMON MCBURNEY. FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE

Rencontre avec Simon McBurney, metteur en scène de l'opéra The Rake's Progress, nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence en juillet 2017.


Libertà !
L'opéra a toujours entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d'expression. À Venise, la ville qui a abrité dès 1637 les premières salles ouvertes au public, l'opéra a connu un premier essor fulgurant durant quelques décennies de liberté intellectuelle et artistique exceptionnelle, liberté impensable à Rome à la même époque. Monteverdi et Cavalli ont su profiter de ce climat privilégié pour écrire des œuvres dont l'audace et la liberté de mœurs ne cessent de nous surprendre. Erismena témoigne du goût typiquement vénitien pour le travestissement, pour le mélange des genres comiques, tendres et tragiques. À travers les jeux de l'amour et les déclinaisons infinies de la séduction, l'opéra de Cavalli nous incite à voir dans la passion amoureuse un aveuglement fatal, l'aliénation même de la liberté.
Avec Don Giovanni et Carmen, nous nous trouvons face à deux figures incarnant la liberté la plus radicale. Chez Molière comme chez Mozart, Don Juan ne se contente pas de séduire toutes les femmes qu'il rencontre, il bouscule les interdits les plus incontournables de son temps : il défie l'ordre social et l'ordre moral, les règles profanes et sacrées. Refusant tout repentir, Don Giovanni meurt mais sa condamnation morale n'est pas exempte d'une forme de transfiguration.
Carmen incarne quant à elle une liberté qui, heurtant de front les préjugés du XIXe siècle, provoqua des réactions bien plus violentes qu'à la création de Don Giovanni. Carmen séduit, charme, se rebelle, ne cède à aucune menace et choisit la mort plutôt que de renoncer à sa liberté. Plus que le roman de Prosper Mérimée, l'opéra de Bizet a porté son héroïne au rang de figure mythique : la force du chant consiste précisément à exacerber les sentiments, à renforcer les caractères, à porter les relations humaines à une forme d'incandescence qui accroît l'intensité de notre réaction émotionnelle et facilite la projection de chacun de nous dans le récit.
Composé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, The Rake’s Progress dépeint de manière aussi virtuose que cauchemardesque la descente aux enfers d'un homme trahi non seulement par sa soif de richesses et de plaisirs, mais par toute la société en laquelle il a cru : la déchéance du libertin s'accompagne de la progressive privation de liberté qui était la sienne. Les innombrables allusions littéraires et musicales qui parsèment la partition lui confèrent une dimension kaléidoscopique unique dans l'histoire de l'opéra. On peut y lire aussi la désillusion et le ressentiment de ses auteurs, Auden et Stravinski, tous deux récemment immigrés aux États-Unis, à l'égard d'une civilisation qui avait généré tant de destructions et de catastrophes.
La fable de Pinocchio est quant à elle un véritable récit initiatique : on ne naît pas libre, on le devient. La marionnette est incapable de maîtriser ses désirs et ses pulsions, incapable aussi de tirer les leçons de ses mésaventures. C'est seulement dans le ventre de la baleine que Pinocchio prendra son destin en main : il provoque — contre l'avis de son père — son expulsion, revient au monde et trouve le chemin d'une liberté chèrement acquise. L'opéra de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, dont Aix présentera la création mondiale, n'est pas juste un « opéra pour enfants » : il se veut accessible à tous les publics, enfants compris, et notre espoir est que les spectateurs de tous âges et de toutes origines forment, le temps de la représentation, cette communauté humaine, intelligente et sensible, qui donne sens au conte revisité et réincarné.
À un moment de l'histoire où les valeurs de liberté et de démocratie sont contestées ou combattues un peu partout dans le monde, il n’est pas inutile de faire résonner ces œuvres dans toute leur force, d'en sonder la charge émotionnelle et critique et de s'interroger sur leur pertinence et leur actualité.
Bernard Foccroulle
Directeur général


http://festival-aix.com/fr/medias/tete-tete-avec-simon-mcburney

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