Par Marion Mirande
« Seule une beauté aurait le droit de me plaire et pourquoi pas une
horreur ? » interroge le prince dans Yvonne princesse de Bourgogne, l’opéra de
Philippe Boesmans. Apathique, quasi muette, laide comme un pou, Yvonne, la hors
normes, vient bousculer le parfait équilibre et les apparences de la cour du
roi Ignace. D’après la pièce de Witold Gombrowicz, l’œuvre du compositeur belge
retrouve la scène du Palais Garnier où elle avait été créée en 2009, dans la
toujours aussi grinçante mise en scène de Luc Bondy.
Créé en 2009 au Palais Garnier, comment est né
Yvonne, princesse de Bourgogne ?
Un jour, alors que je me trouvais avec Luc
Bondy au Festival d’Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle nous a demandé pourquoi
nous ne ferions pas un opéra d’après Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold
Gombrowicz. Luc, avec qui je collaborais régulièrement, aimait comme moi
beaucoup Gombrowicz. Nous avions tout lu de lui à l’exception, pour ma part, d’Yvonne,
une pièce de jeunesse. Suite à cette proposition, j’ai reçu un coup de fil de
Gerard Mortier qui, à son tour, me demandait si nous ne voulions pas faire «
Yvonne »… L’idée du projet avait déjà fait son chemin !
À sa découverte, quels aspects de la pièce vous ont séduit et
semblé intéressants pour être adaptés sous forme opératique ?
Gombrowicz ne s’intéressait pas à l’opéra. C’est l’opérette qu’il
aimait. Avec « Yvonne », j’ai trouvé formidable d’amener sur une scène d’opéra
cette situation où un jeune homme se dit : pourquoi je ne prendrais pas pour
épouse une femme laide ? Yvonne est tellement laide que tout le monde en est
horrifié. Sa laideur crée un désordre jusqu’à ce que les choses tournent à
l’obscène. Le trouble est un thème qu’affectionnait Gombrowicz et que l’on
retrouve dans ses œuvres postérieures à la pièce.
En écrivant un opéra dont le rôle-titre n’est pas chanté, vous
faites voler en éclats les conventions du genre. Par quels moyens musicaux faites-vous
exister Yvonne parmi les voix des autres interprètes ?
C’est amusant que l’œuvre ait pour titre le nom d’un rôle autre que
celui de la soprano ou de la mezzo de la soirée. Yvonne devait rester un rôle
muet, c’était fondamental. Elle ne dit que deux-trois mots dans tout l’opéra.
On lui pose souvent des questions qui restent sans réponse. Quand elle ne
répond pas, l’orchestre joue la musique d’Yvonne, la « musique de la
non-réponse ».
Philippe Boesmans
Philippe Boesmans ©
Bernard Coutant
Lors de la création, vous aviez dit que l’œuvre s’apparentait à du
théâtre-chanté et n’avoir jamais été aussi près du texte. Dans quelle mesure «
Yvonne » diffère de vos précédentes œuvres ?
« Yvonne » est écrit en français, contrairement à mes autres pièces
qui sont essentiellement en allemand. En composant des opéras, je me dois
d’offrir au public des œuvres semblables à des pièces de théâtre. Tout le texte doit être compréhensible. Mon écriture doit ainsi favoriser
son accessibilité. Bien entendu, cela nécessite des chanteurs qu’ils parlent bien la
langue. Dans l’interprétation de l’opéra français, on
pense souvent à la voix, à la technicité vocale. Or Ici, c’est la compréhension
du français qui prime. À l’opéra, les émotions et les sentiments peuvent être
développés à l’excès. Ce n’est pas le cas dans « Yvonne ». Les choses sont exposées
rapidement, on va droit au but. Il n’y a quasiment pas d’airs, à l’exception de
celui de la reine quand elle lit ses mauvais poèmes. Leur médiocrité m’a donné matière à composer un air qui s’apparente à une
parodie de Gounod. C’est très amusant de voir représentée sur la scène du Palais
Garnier une caricature de l’opéra ! J’ai aussi cherché à ce que les choses
soient exagérées. Au théâtre, les mauvais comédiens exagèrent toujours. C’est
le cas avec le chant qui force à l’exagération. Gombrowicz n’aimait pas le
théâtre, à l’exception de Shakespeare, et ne souhaitait pas que l’on joue «
Yvonne ». La seule fois qu’il a vu sa pièce sur scène, c’était par une
compagnie de théâtre amateur, alors qu’il vivait dans le Sud de la France. Il appréciait qu’elle soit interprétée par des non-professionnels. Cela lui
donnait l’impression que son œuvre appartenait à un registre moins intellectuel
que celui dans lequel on la rangeait communément.
Pourriez-vous évoquer le travail de Luc Bondy sur le livret ?
Les pièces de théâtre sont toujours trop longues. Si celle-ci avait
été directement adaptée en opéra, nous nous serions retrouvés avec quatre
heures de musique. Il faut donc prendre ce qui est essentiel.
Généralement, on conserve environ un tiers. C’est le cas de Julie, du Conte
d’hiver, également créés avec Luc, et bien sûr d’« Yvonne ». Nous l’avons réduit
tout en respectant la structure en quatre actes.
L’écriture de Luc Bondy et votre travail de composition se sont-ils
réciproquement influencés ?
Les pièces sont toujours trop longues. Si celle-ci avait été
directement adaptée en opéra, nous nous serions retrouvés avec quatre heures de
musique. Il faut donc prendre ce qui est essentiel.
Généralement, on conserve environ un tiers. C’est le cas de Julie, Contes d’hiver, également créées avec Luc,
et bien sûr de « Yvonne ». Nous l’avons réduite tout en respectant la structure
en quatre actes.
L’écriture de Luc Bondy et votre travail de composition se sont-ils
réciproquement influencés ?
Nous avons avancé progressivement, en partant du début de la pièce
jusqu’à sa fin, en échangeant toutes les semaines durant environ deux ans. J’ai
toujours composé en étant en contact avec Luc. Nous échangions donc beaucoup
mais, au final, je décidais. Le compositeur est, je crois, le premier
dramaturge. Il décide comment les choses doivent être dites, de la musique de
la phrase. Luc m’écrivait quatre ou cinq pages à partir desquelles je
commençais à composer. Puis, je lui téléphonais pour savoir si on ne pouvait
pas reformuler les choses, changer un mot, afin que le chant soit plus clair.
J’étais vraiment focalisé sur cette idée de clarté, il me semblait essentiel
que le texte soit compréhensible. Nous avons ainsi œuvré ensemble pour
l’efficacité du son et une compréhension optimale.
https://www.operadeparis.fr/magazine/yvonne-et-la-musique-de-la-non-reponse
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