Par Anna Schauder
« Tant que la danse sera
considérée comme un rite, rite à la fois sacré et humain, elle remplira sa
fonction ». Issue des Mémoires de Maurice Béjart, cette description de la danse
illustre à merveille la Mélodie, rôle mythique pour soliste du Boléro. Tout en
s’inspirant de nombreuses sources, Maurice Béjart associe des gestuelles
hindoues et africaines au strip-tease. L’apparente simplicité de la
chorégraphie sert de miroir, de révélateur au danseur. Très peu d’interprètes
ont eu la chance de danser sur la fameuse table rouge depuis l’entrée au
répertoire de l’Opéra en 1970. Rencontre avec Mathias Heymann, qui rejoint le
cercle des élus du Boléro dès mars.
Vous êtes en répétition
pour votre prise de rôle de la Mélodie, comment se passe la transmission ?
Mathias Heymann : Notre
maître de ballet, Fabrice Bourgeois, nous a tout d’abord donné, à Amandine
Albisson et à moi-même des « devoirs » à faire. Nous avons reçu une fiche
calligraphique avec des petites figurines de danseurs. Elles illustrent dans le
détail les dix-huit « phrases » à interpréter dans la chorégraphie du Boléro.
L’une d’elles s’appelle Chat, parce que le mouvement reprend la façon dont un
chat bondit dans les airs. Une autre porte le nom de Crabe, parce que la forme
de nos mains doit imiter celle des pinces d’un crabe. Pour la phrase intitulée
BB, j’imaginais que les ports de bras allant de droite à gauche imitaient le
bercement d’un enfant. En réalité, Maurice Béjart s’est inspiré de Brigitte
Bardot elle-même. Dans un premier temps, on mémorise donc ces « phrases » avant
même de commencer les répétitions. Ensuite, on met chaque mouvement en musique
dans le studio et on précise notre propre interprétation. Dimensionner le
studio au cours des répétitions est essentiel, parce qu’on n’a pas la table
rouge pour répéter. Pour me limiter dans l’espace, j’utilise deux chaussures.
Leur éloignement correspond au diamètre de la table, un peu comme on fait pour
reproduire une cage de football. Au cours des répétitions, on essaie plusieurs
idées, qui ne sont pas toutes bonnes. Il est pour cela important d’avoir le
regard extérieur de notre répétiteur et celui d’autres interprètes.
Mathias Heymann en
répétition, Palais Garnier, 2018 © Little Shao / OnP
Quel nouveau langage
chorégraphique découvrez-vous ?
Boléro est une chorégraphie
très puissante, tout en restant pure et simple dans les mouvements. Chez
Maurice Béjart, il faut casser les angles des positions classiques pour adopter
des lignes droites, bien nettes. Comme nous danserons à Bastille, le mouvement
devra être déployé à son maximum en raison de la distance qu’il y a entre la
scène et la salle. J’écoute beaucoup la musique de Maurice Ravel pour avoir une
idée précise de ce que je veux dégager. Danser la Mélodie est une chance inouïe
pour moi, d’autant plus que je l’interprète en plein milieu de ma carrière.
J’ai beau être Étoile avec des années d’expérience derrière moi, le Boléro
reste mythique - au point que je pensais que ce rôle serait trop colossal pour
moi. Je remercie Aurélie Dupont de m’accorder sa confiance.
Le rôle a été initialement
créé pour des interprètes féminins, quelle particularité a cette chorégraphie
selon vous quand elle est dansée par un homme ?
Il y a une grande
différence entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les interprètes
tous confondus. Chacun apporte sa touche à la chorégraphie. Malgré tout, j’ai
le sentiment qu’une force presque guerrière et animale se dégage des
interprétations masculines en raison de leur résistance physique. Pour les
femmes, il y a toujours une force, mais plutôt magnétique. La chorégraphie
devient une ode à la féminité et l’interprète accède au rang d’icône. J’ai regardé
des enregistrements vidéos du Boléro avec Duška Sifnios ou Jacqueline Rayet.
Elles sont comme des déesses inatteignables ! À l’inverse quand je vois Jorge
Donn ou encore Nicolas Le Riche, ils nous offrent un spectacle très fort,
peut-être plus incarné, plus concret.
Vous êtes à l’affiche à la
fois d’Onéguine et de Boléro, comment passez-vous du personnage narratif de
Lenski, rôle de votre nomination en 2009, à la chorégraphie très abstraite du
Boléro ?
En général, j’aime me
focaliser sur un état d’âme afin que mon interprétation soit la plus aboutie
possible. Ce n’est pas évident de passer physiquement et mentalement d’un rôle
à l’autre. Je surfe sur une vague amoureuse pour le personnage romantique et
entier de Lenski, tandis que je cherche à faire sortir un côté plus animal,
bestial dans Boléro. Cette prise de rôle me donne l’opportunité d’explorer une
autre facette de ma personnalité que je n’avais pas forcément pu aborder
jusqu’à maintenant.
https://www.operadeparis.fr/magazine/et-bejart-crea-bolero
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