« Ma tête creva la
surface et ma bouche s’ouvrit pour happer l’air tandis que, dans un vacarme
d’éclaboussures, mes mains trouvaient le bord, prenaient appui et, transférant
la force de ma lancée aux épaules, hissaient mon corps ruisselant hors de
l’eau. Je restai un instant en équilibre au bord, désorienté par les échos
assourdis des cris et des bruits d’eau, étourdi par la vision fragmentée de
parties de mon corps dans les grandes glaces encadrant le bassin. […] Je me
ressaisis, ôtai mon bonnet et mes lunettes, et, jetant un dernier regard
par-dessus mon épaule à la ligne luisante de mes muscles dorsaux, sortis par
les portes battantes. […] Devant, je ne distinguais rien, j’avançais presque au
hasard, au-dessus de ma tête je ne voyais aucun plafond, peut-être courais-je
enfin à l’air libre, peut-être pas. Un vif choc au coude projeta un éclat de
douleur à travers mon bras, j’y portai tout de suite l’autre main et me
retournai : un objet, sur le mur, se détachait de la grisaille, luisant. Je
posai les doigts dessus, il s’agissait d’une poignée, j’appuyai et la porte
s’ouvrit, m’entraînant après elle. »
Un narrateur sort
d’une piscine, se change, et se met à courir dans un couloir gris. Il découvre
des portes, qui s’ouvrent sur des territoires (maison, chambre d’hôtel, studio,
ville ou zone sauvage), lieux où se jouent et se rejouent les rapports humains
les plus essentiels (la famille, le couple, la solitude, le groupe, la guerre).
Ces territoires parcourus, la course s’achève. Puis, tout recommence. Pareil, mais
pas tout à fait, dans chacun des sept chapitres que compte ce livre.
Exploration de la
pulsion sous toutes ses formes,
Une vieille histoire
est porté par un regard et un style implacables et dérangeants. Un projet
romanesque dans le droit fil de l’œuvre de Sade ou de Bataille.
Quelle est la genèse
de ce texte ?
En 2012, j’ai publié
une première version, en deux chapitres, de Une vieille histoire. Normalement,
une fois un livre publié, c’est terminé pour moi, mais là, il s’est passé
quelque chose d’étrange : le livre a continué à produire. J’ai donc repris le
manuscrit original et je l’ai développé pendant plusieurs années, notamment
durant les périodes d’attente de la réalisation de Wrong Elements, mon film sur
les enfants-soldats en Ouganda.
Quelles ont été vos
principales sources d’inspiration ?
La structure est née
telle quelle, mais prolonge d’autres textes que j’avais déjà publiés chez Fata
Morgana. Quant aux décors, je pioche partout, sans hiérarchiser : photos,
films, anecdotes racontées, rêves, livres, choses vécues, souvenirs d’enfance,
tout est sur le même plan. C’est ma façon d’écrire depuis toujours. Le réel
entier est « good enough to steal », comme disait William S. Burroughs.
Qu’entendez-vous par
« décors » ?
Disons, dans ce
livre en tout cas, que c’est ce qu’on pourrait appeler, en bonne logique
freudienne, le « contenu manifeste » de chaque scène. Et comme tel, les décors
successifs de ce livre sont interchangeables, sont traités si vous voulez comme
des décors de cinéma. Mais ce qui compte, c’est le « contenu latent », les
processus fondamentaux, les pulsions qui s’expriment à travers eux. En évacuant
la question du « réalisme », je ne conserve que ce qui est fondamental : les
rapports humains.
Entretien réalisé
avec Jonathan Littell à l’occasion de la parution de Une vieille histoire.
http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Jonathan-Littell.-Une-vieille-histoire/(source)/206963
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