Grenoble, l’autre ville de Champollion, conserve l’une des
premières collections d’égyptologie française. Cet automne, son musée nous
entraîne pour un saut dans le temps de près de 3.000 ans, vers Thèbes et le
temple de Karnak où un clergé féminin, "divines adoratrices et chanteuses",
célébrait le dieu Amon.
À l’aube du premier millénaire avant J.C., l’Égypte antique
traverse un temps troublé, de transition entre Nouvel Empire et Basse Époque:
la Troisième Période intermédiaire. Les dynasties se succèdent –cinq en quatre
cents ans–, quand elles ne rivalisent pas avec la Basse-Égypte morcelée en
royaumes.
En Haute Égypte, en revanche, la puissance des prêtres d’Amon
s’affirme depuis Thèbes –actuelle Louxor–, et le temple de Karnak, dédié au
dieu Amon. Parfois les pouvoirs politiques et religieux se confondent, les
prêtres deviennent rois, les princesses et princes accèdent au sacerdoce.
Les femmes, dans cette société, occupent des fonctions suprêmes.
Elles bénéficient de soins et d’un mobilier funéraire équivalents à ceux des
hommes. Le couvercle de la momie, finement sculpté et décoré, de la chanteuse
d’Amon, Hénouttaneb, en témoigne, comme la Statue d’Isis allaitant Horus, ou
l’étui de bronze incrusté d’or, contenant une tablette d’ivoire, de la princesse
Chépénoupet II, fille du roi Piânkhy. Une adoratrice d’Amon qualifiée
"d’épouse du dieu".
Une statue à son nom, représentant la déesse Isis. 2018 Musée du
Louvre / Herve Lewandowski
Ces oeuvres du musée de Grenoble, du Louvre et des grandes
institutions européennes, offrent son sous-titre à ce parcours muséal: Servir
les dieux d’Égypte – Divines adoratrices, chanteuses et prêtres d’Amon à
Thèbes. Florence Gombert-Meurice, conservateur en chef du patrimoine au
département des Antiquités égyptiennes du Louvre, et commissaire scientifique
de la présente exposition, évoque pour nous cette surprenante spécificité de la
société égyptienne antique: la parité!
La femme égyptienne, 1.000 ans avant J.C., occupe-t-elle une place
majeure dans l’exercice du culte?
FLORENCE GOMBERT-MEURICE: À cette époque, le clergé féminin se
développe comme jamais auparavant. Les prêtresses, autour de l’adoratrice du
dieu Amon, jouent un rôle important, car elles accompagnent le dieu dans son
rôle de procréation, essentiel pour la fertilité du Nil et la prospérité du
pays.
Qui est l’adoratrice, quels sont ses devoirs, ses prérogatives?
C’est une princesse, fille de roi, envoyée à Thèbes pour devenir la
prêtresse principale du temple d’Amon. L’adoratrice a un rôle religieux, mais
aussi politique. Ses fonctions dans le temple sont avant tout de rendre le
culte à Amon en remplaçant la déesse Mout dans son rôle d’épouse du dieu. Elle
est à la tête de biens fonciers importants et une véritable cour s’organise
autour d’elle. Elle joue d’ailleurs un rôle politique et diplomatique en lien
avec la cour.
L’une d’entre elles, Chépénoupet, se distingue…
Certaines adoratrices sont tombées dans l’oubli, d’autres au
contraire sont connues par de multiples monuments, en particulier Chépénoupet
II. Le musée du Louvre conserve par exemple un unique étui en bronze incrusté
d’or et d’argent qui contient une plaque d’ivoire qui demeure mystérieuse. Mais
par ses décors et ses inscriptions, il démontre le rôle d’intercesseur que la
prêtresse pouvait avoir auprès des dieux.
La société égyptienne se montre alors moins patriarcale que ses
voisines…
Elle est avant tout construite de manière extrêmement structurée
autour du temple et son administration qui à cette époque prend le pas sur le
gouvernement proprement pharaonique. Il m’est difficile de dire si elle est ou
non patriarcale. Mais les hommes et les femmes, sur leurs cercueils décorés et
inscrits, affichent aussi bien leur filiation paternelle que maternelle.
Quel est le panthéon féminin et quelles sont ses attributions?
Les déesses sont nombreuses autour d’Amon dans le temple de Karnak.
La plus importante est Mout, épouse du dieu. Leur rôle est d’apaiser le dieu,
de le satisfaire et de le protéger. Elles peuvent être violentes et, à cet
égard, annihiler les puissances néfastes.
Les vases canopes de Padiouf, prêtre de Karnak et "menuisier
du roi". Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Christian Décamps
Et le rôle d’Amon?
Amon, sous la forme d’Amon-Rê, donc du dieu solaire, est avant tout
le "roi des dieux". Au début de ce premier millénaire s’instaure une
théocratie, c’est-à-dire que le dieu –et donc son clergé– exerce directement le
pouvoir.
Et qui sont les chanteuses d’Amon?
Soit des prêtresses attachées au temple, à la suite de l’adoratrice
d’Amon, pour l’accomplissement des rituels, soit des femmes, filles ou épouses
de prêtres qui, de manière sans doute plus occasionnelle participent aux
rituels sonores [en agitant des sistres, sortes de crécelles, ndlr] destinées à
apaiser et satisfaire Amon.
Le sistre d’Hénouttaouy, chanteuse d’Amon. 2018 Musée du Louvre / Christian Décamps
Quelle est la genèse de cette exposition?
Elle est née de la volonté de Guy Tosatto, directeur du musée de
Grenoble, de mettre en valeur les belles collections égyptiennes de son musée
et de celle de Jean-Luc Martinez, directeur du musée du Louvre, de faire jouer
son rôle d’origine de "museum central des arts" au Louvre en
favorisant les échanges de tous ordres avec l’ensemble des musées français.
Comme égyptologue et conservateur, j’ai donc conçu une exposition en partant
d’un fonds important du musée de Grenoble, des cercueils de prêtres et de
chanteuses d’Amon du début du premier millénaire et j’ai proposé de
reconstruire leur paysage historique, religieux et social: la Thèbes d’il y a
3.000 ans.
Le splendide cercueil extérieur d’Irbastetoudjanéfou, princesse de
la 22e dynastie. Georges Poncet / Musée du Louvre
C'est une époque mal connue de l'Antiquité égyptienne...
L’exposition place les visiteurs dans la Thèbes de la Troisième
Période intermédiaire -1069-655 av. J.-C. Le terme même de "période
intermédiaire" indique que les historiens n’y reconnaissent pas un grand
empire et aucun monument de cette époque n’est connu du public. C’est en fait
une phase de mutation pour la société égyptienne qui fait face à une crise
dynastique et à une succession de crises économiques. Parfois pourtant, durant
cette période, des sommets de l’art sont atteints, conjugués à des vraies
innovations en matière de pensée, de symboles et de religion.
Que peut-on dire de la collection Saint-Ferriol, à l’origine du
fonds égyptien grenoblois?
Le comte Louis de Saint-Ferriol a voyagé en Égypte au début des
années 1840, soit vingt ans après le déchiffrement des hiéroglyphes par
Jean-François Champollion. Il fait partie de ces hommes fortunés dont la
curiosité avait été éveillée par les découvertes récentes. Pris d’intérêt, il a
fait le voyage et constitué des collections au fil de son périple, en
particulier à Thèbes. C’est son fils Gabriel qui a fait don de la collection au
musée de Grenoble, en 1916. Parmi les points forts de cet ensemble se trouvent
des reliefs de temples thébains assez exceptionnels dans des collections de
région et des cercueils de prêtres et chanteuses d’Amon.
Le musée de Grenoble fait-il peau neuve pour le bicentenaire
Champollion?
Le projet du directeur est en effet de mettre en valeur les
collections égyptiennes de l’un des grands musées d’égyptologie de France à
l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-Francois
Champollion. S’il est né à Figeac, c’est bien à Grenoble que cette figure de
proue de l’égyptologie française a fait ses premières armes d’égyptologue.
Servir les dieux d’Égypte, jusqu’au 27 janvier 2019, musée de
Grenoble. Plus d’infos au 04 76 63 44 44 et www.museedegrenoble.fr
Par François Billaut
http://www.pointdevue.fr/culture/divines-adoratrices-egyptiennes-au-musee-de_7486.html?xtor=EPR-1-[]-[20181102]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20181102
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