John Cale, les
amateurs de rock à part le savent, est un bouillon de culture à lui tout seul.
Un musicien total, inclassable et insaisissable. Qui ne manque pas d’humour non plus.
par Jérôme Soligny
Lors de son dernier
passage par la Cité de la musique, Cale était arrivé sur scène avec une banale
banane à la main, comme si c’était facile de rejouer, même pour la bonne cause
et dans le bon contexte, un des dix albums réellement mythiques de l’histoire
du rock : The Velvet Underground & Nico. Le plus dingue dans la carrière de
Cale, c’est que cette illustre et précoce contribution (il n’avait que
vingt-cinq ans lorsque le 33 tours est paru) aurait pu suffire à la remplir.
Certes, il n’a participé qu’à l’écriture de trois des onze titres du
chef-d’œuvre (dont « Sunday Morning »), mais sa présence, outre son violon, se
fait également sentir dans les arrangements, puisque comme chacun sait et
malgré les notes de pochette, Andy Warhol n’est pas intervenu sur ce plan-là.
Le premier talent de John Cale est peut-être l’art de la conception musicale,
un penchant pour la déraison, un faible pour l’aventure, le grand design.
Gallois transplanté à New York à l’âge adulte, il a évidemment tiré profit de
rencontres musicales exceptionnelles (John Cage, La Monte Young) et a pris très
tôt le parti d’aborder son premier instrument (l’alto) et la musique dans son
ensemble, autrement. Dès « Venus in Furs », ce sens du risque et cette
pugnacité qui ne lui ont jamais fait défaut étaient flagrants.
Son champ des
possibles, John Cale allait l’ouvrir davantage en se consacrant, manière
d’écrire, au chant des impossibles. Ainsi, pas moins que Nico, les Stooges,
Nick Drake, Brian Eno, Patti Smith, les Modern Lovers, Ian Hunter, Siouxsie And
The Banshees ou Manic Street Preachers ont pu bénéficier de ses talents de
producteur ou d’instrumentiste à part. Plus près de nous encore, Cale a
travaillé avec les Françaises et Français Marie Et Les Garçons, Alan Stivell,
Lio, Louise Féron et Les Nouvelles Polyphonies Corses. Évidemment, cet
ubiquiste à sa façon a su se nourrir de ces diverses expériences et elles ont
infusé sa discographie solo personnelle qui a démarré sur les enjoliveurs en
1970 par Vintage Violence, un parfait exemple de pop anticonformiste. Trois ans
plus tard, John Cale allait enfoncer ce clou doré avec Paris 1919 dont la
chanson-titre est une des merveilles de son œuvre comme de celle du producteur
Chris Thomas.
Slow Dazzle en 1975,
brillait par ses références (à Brian Wilson ou Elvis Presley) et l’équipe de
choc constituée pour l’enregistrer (Phil Manzanera, Chris Spedding, Brian
Eno…). Ses années 80 allaient vibrer du spectral Music For A New Society et de
Words For The Dying, un disque réagissant au conflit des Falklands à base de poèmes
de Dylan Thomas. Cale inaugurera la décennie suivante avec Songs For Drella,
album de retrouvailles avec Lou Reed pour honorer la mémoire de Warhol, passé
de pop à trépas, dont découlera une brève reformation du Velvet Underground
qu’ont trouvé superflue certains détracteurs de profession bien évidemment
absents lorsqu’elle a eu lieu à la Fondation Cartier. D’autres albums
stupéfiants ont suivi, parmi lesquels Wrong Way Up (1990) avec Brian Eno, Last
Day On Earth (1994) avec Bob Neuwirth et Walking on Locusts à la couverture
floue, mais dont la production est nette et précise. Les années 2000 ne
réussiront pas moins bien à l’artiste que les décennies précédentes, puisque le
stimulant HoboSapiens (2003), blackAcetate, Shify Adventures in Nookie Wood et
M :FANS (2016) – avec « If You Were Still Around » cosignée par Sam Shepard et
envoyée à Lou – seront encensés par la presse et lui permettront d’accéder à
une nouvelle génération d’amateurs de son art.
Son spectacle
Futurespective, John Cale l’a voulu comme un voyage fantastique peut-être pas
si éloigné de celui que David Bowie chantait en 1979, en ouverture de Lodger.
Evidemment, ces deux planètes se sont frôlées. En matière de rock, l’âge n’a
pas d’odeur et surtout pas celle de la retraite. En vérité, cela fait belle
lurette que Cale multiplie les coups secs et violents, les injonctions que sa
connaissance musicale kaléidoscopique et sa bravoure légendaire lui dictent de
distribuer. Au point qu’aujourd’hui, il est un modèle pour les jeunes groupes
et musiciens les plus audacieux, à l’image de ceux qui l’accompagnent sur
scène. Devant son clavier, faisant face au public et aux écrans d’ordinateur,
ou bien à la guitare, il revisite ses classiques souvent en mode expérimental
car la corde raide est le fil conducteur de ce grand corbeau noir. La voix a
changé avec le temps, tous comme les repères musicaux. Certains sont devenus
des phares, d’autres se sont émoussés. Mais le chaos est toujours là, rampant,
cristallisant.
Futurespective, et
c’est normal puisque John Cale a également composé plusieurs BO, est un peu la
musique de son film à lui : plus d’un demi-siècle de trépidations sonores de
volutes mélodiques et d’encordages harmoniques gonflés. Avec lui, l’avant-garde
n’est pas près de mourir et encore moins de se rendre.
https://philharmoniedeparis.fr/fr/magazine/futurespective-le-voyage-fantastique-de-john-cale
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