Par Cecile Sauzay &
Associated Press
Plus de 20 ans
après, c'est la seule des victimes présumées à oser témoigner à visage
découvert. Comme huit autres femmes, des chanteuses et une danseuse, Patricia
Wulf a côtoyé la légende, le ténor espagnol Placido Domingo. C'était en 1998, à l'opéra de Washington. Le maître était alors directeur
artistique. Incontesté, puissant.
"Il regardait ma poitrine en disant
'comment ça va ?' En s'adressant à ma poitrine!", se souvient, émue, la
mezzo-soprano à la retraite.
L'actuel directeur de l'opéra de Los Angeles est
une figure immensément respectée dans cet art, et est accusé d'avoir fait
miroiter des rôles, des postes à plusieurs femmes auxquelles il faisait des
avances. Quand ces dernières refusaient, elles s'exposaient à des
représailles d'un point de vue professionnel.
Aucune des femmes
qui pointent du doigt le chanteur ne fournissent de preuves matérielles, comme
des messages écrits, mais ces faits de harcèlement sexuel sont relayés par des
dizaines de témoignages recueillis par l'agence Associated Press. Les faits en
question s'étalent sur une trentaine d'années depuis la fin des années 80.
La plupart des
victimes présumées ont requis l'anonymat, par peur des représailles. Certaines
travaillent encore, d'autres ont peur d'être humiliées publiquement ou harcelées.
"Est-ce que tu
dois vraiment rentrer chez toi ?"
Patricia avait 40
ans quand Placido Domingo lui a offert deux rôles, des solos dans "La
Flûte enchantée" et "Fedora". Elle raconte que la star la
prenait à partie tous les soirs en lui chuchotant cette phrase : "Est-ce
que tu dois vraiment rentrer chez toi ?", une phrase en apparence
équivoque mais que les sourires et les regards de l'artiste rendaient limpide,
selon la sexagénaire.
La chanteuse, dont
la carrière vient de décoller, finit par ne plus rire poliment mais par
indiquer clairement son malaise. Mais l'opportunité de travailler avec le
chanteur devenu directeur (directeur artistique entre 1996 et 2003 puis
directeur général entre 2003 et 2011) est trop belle.
Mais le ténor n'a
que très peu de retenue. Elle raconte comment il toquait à la porte de
sa loge et comment elle craignait de sortir seule dans le couloir. À un certain
moment, des collègues devaient l'accompagner jusqu'à sa voiture pour rentrer
chez elle le soir.
Elle en parle à sa
famille, à ses collègues, mais n'ose pas le dénoncer.
Pourtant, elle
décrit son expérience avec le ténor comme un cauchemar. "On se dit 'est-ce
que je vais perdre mon emploi ? est-ce que ma carrière est terminée si je dis
non ?", raconte l'américaine de 61 ans. Vous ressentez de la colère, de la
peur (...). J'ai travaillé dix ans rien que pour monter sur cette scène."
Une réputation
connue de tous
Dans le milieu de
l'opéra, il était de notoriété publique que Placido Domingo avait très souvent
des comportements déplacés. Danseurs, chanteurs, adminstrateurs, régisseurs et
professeurs ont confirmé cette information auprès de l'agence AP.
Pour Patricia Wulf,
le secret était « très connu » dans le milieu depuis de nombreuses années, il
devenait nécessaire de prendre la parole avec « l'espoir d'aider d'autres
femmes à témoigner, ou à être assez fortes pour dire non ».
En plus des 9
accusations, une demie douzaine de femmes disent aussi les avances que leur
avait faites le roi de l'opéra. En revanche, aucune des victimes présumées ne
parlent d'agression sexuelle ou d'attouchements.
La réaction de
Placido Domingo
Avec ces
accusations, Placido Domingo rejoint la longue liste des légendes ternies par les
soupçons de harcèlement sexuel. Aucune plainte n'a officiellement été déposée
mais le ténor a donné sa version des faits dans un communiqué.
"Ce sont des
allégations anonymes, pour des faits vieux de 30 ans parfois, et inexacts tels
qu'ils sont présentés, indique la star espagnole._ Malgré tout, il est
douloureux d'apprendre que j'ai pu contrarier quiconque ou que j'ai pu les
mettre mal à l'aise – peu importe à quand remontent les faits et malgré mes
meilleures intentions. Je pensais que toutes mes interactions et relations
avaient toujours été consensuelles. Les gens qui me connaissent ou qui ont
travaillé avec moi savent que je ne suis pas quelqu'un qui va
intentionnellement faire mal, offenser, ou mettre mal à l'aise quelqu'un.
Cependant, je dois reconnaître que les règles et standards par lesquels nous
sommes – et nous devrions – être jugés aujourd'hui sont vraiment différents de
ce qui avait cours par le passé"._
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