Sonya Yoncheva interprète le rôle-titre de Iolantadans la
production de Dmitri Tcherniakov deIolanta/Casse-Noisette en ce
moment au Palais Garnier. La soprano, qui n’avait pas pu se libérer pour le
live-chat du 3 mars avec Marion Barbeau et Marine Ganio, a tout de même
souhaité répondre aux questions des internautes.
Marie :
Connaissiez-vous l’histoire de Iolanta lorsque vous étiez enfant ?
Sonya Yoncheva (S.Y.): Pas du tout. Je n’avais jamais entendu cette
histoire de ma vie. Je l’ai complètement découverte avec l’opéra et j’ai été
absolument fascinée. J’ai vite compris que ce n’était pas un conte de fées, une
utopie, mais qu’il y avait beaucoup de profondeur à explorer, de sentiments, de
pudeur, de non-dits, d’interdits, de problèmes de société… J’ai été absolument
prise par cette histoire.
André : On
dit que Iolanta est le seul opéra de Tchaïkovski qui finit bien, que tout tend
vers le positif. Êtes-vous d’accord ?
S.Y.: Oui, je suis d’accord. Parce que la vie de Iolanta est tellement
sombre, l’opéra commence avec tant de doutes chez cette jeune fille, avec un
père qui la séquestre dans cette maison, qui ne veut pas la montrer au monde…
Au départ, elle souffre tant, ses sentiments se développent et sa vie passe
sans qu’elle ne connaisse rien du monde et je trouve ça si tragique que cela
mérite d’être canalisé dans un happy-end !
Timothée :
Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a annoncé que Iolanta et Casse-Noisette
seraient les deux parties d’un même spectacle. Les chanteurs et les danseurs sont-ils réunis sur scène ?
S.Y.: Oui, complètement. Dans une partie du
spectacle, nous sommes tous sur scène. Je ne veux pas en dire plus, il faut vraiment voir
le spectacle parce que c’est tellement bien fait, si bien calculé. Je trouve
que cette transition de Iolantaà Casse-Noisette est
un coup de génie.
Hélène :
Chère Sonya, que pensez-vous de la mise en scène de Dmitri Tcherniakov ? Vous
plaît-elle ? Vous sentez-vous en phase avec son interprétation de Iolanta ?
S.Y.: Complètement. Parce que quand on a commencé les répétitions,
j’ai décidé de lui faire confiance à 200 %. Quand il m’a raconté sa vision de Iolanta,
j’ai trouvé qu’il avait très finement lu les choses, compris l’histoire, pas
seulement les faits mais tout ce qui se cache entre les lignes, tous les doutes
et les tensions familiales et sociales. Oui, j’adore la mise en scène de
Dmitri Tcherniakov. Je l’ai félicité mille fois déjà, je trouve que c’est un
homme qui vient du futur, il voit des choses que dans le monde de l’opéra nous
ne sommes pas tous encore capables de voir.
Sonya Yoncheva dans Iolanta/Casse-Noisette au Palais Garnier © Agathe
Poupeney / OnP
Sarah : Comment se sont passées les répétitions ? Comment
décririez-vous la direction d’acteurs de Dmitri Tcherniakov ?
S.Y.: Extrêmement intense. Je sortais de
chaque répétition comme on dit en bulgare « comme un citron pressé » ! Vraiment
sans énergie et en même temps chargée de tant d’émotions, je rentrais à la
maison avec plein de pensées, je n’arrivais pas à dormir. Lors de certaines
répétitions, parfois nous pleurions tous, c’était comme une thérapie. Ses
séances de travail sont extrêmement intéressantes. Je souhaite aux jeunes gens
voulant commencer ce métier, de metteur en scène ou d’interprète, d’assister à
une répétition avec Tcherniakov.
James
: Dans Iolanta, l’héroïne est aveugle, et elle l’ignore parce que son père le
Roi René lui a caché. Avez-vous ressenti une
difficulté particulière à jouer une aveugle ?
S.Y.: Oui au tout début c’était très
difficile parce que ce n’est pas seulement le fait qu’elle ne voie rien.
Évidemment il fallait trouver cette espèce d’angle des yeux qui se perdent
quelque part, qui ne brillent pas ou qui sont éteints mais ce qui était encore
plus difficile c’était de trouver le langage corporel de quelqu’un qui est
aveugle. J’ai un peu observé des personnes atteintes de cécité. Ils sont
souvent assistés, aidés, ou ils connaissent les lieux qu’ils fréquentent, mais
en même temps leur corps n’est pas tout à fait comme les autres, il est en
alerte permanente, comme du feu sous la glace. J’ai passé un peu de temps à trouver ça, je me
persuade aujourd’hui que j’ai trouvé la solution, ma solution en tout cas. Mais
la difficulté était également pour mes partenaires, et même davantage que pour
moi une fois que moi j’avais trouvé mon langage corporel juste. Avec
mon regard, l’aspect surprenant des expressions de quelqu’un d’aveugle sur mon
visage, mes collègues ont été assez déconcertés. C’était un peu dur pour eux
parce qu’ils devaient jouer avec quelqu’un d’incroyablement vivant à
l’intérieur mais en même temps éteint, avec qui peu d’interaction est possible.
Avec Iolanta on reste seul. Et Iolanta demeure seule même accompagnée dans un
certain sens. C’est là tout le tragique de sa cécité, c’est qu’elle est
accompagnée par la solitude et l’ignorance. Notre but était de montrer cette solitude qui se
brise à travers le choc de l’amour et de la lumière. Tout cela est si délicat
que ça nous a poussés à travailler à rebours du jeu opératique traditionnel. Je
dirais que c’était presque cinématographique. Tout devait
être extrêmement précis et dans le ressenti intérieur. La manière de faire même de Dmitri
était celle d’un cinéaste.
Tristan :
Comment approchez-vous cette œuvre majeure de Tchaïkovski, alors que vos
principaux engagements en ce moment sont Violetta dans La Traviata ou Mimi dans
La Bohème ? Ces rôles ont-ils un lien entre eux pour vous ?
S.Y.: Oui et non, pour moi le seul point
commun c’est que ce sont des femmes qui vivent à travers moi et mon corps. On peut dire que j’ai
plusieurs filles qui vivent en moi. J’essaie à chaque fois que je les
interprète d’être moi-même. C’est comme ça que je peux leur apporter de la
fraicheur, dépoussiérer un peu le personnage. Je
ne suis pas du tout fan des interprétations opératiques traditionnelles, c’est
pour ça d’ailleurs, qu’avec Dmitri, que sur cette création, on a trouvé autant
de points communs dans nos opinions.
Clément : Au
cours de votre carrière quel est le rôle qui vous a le plus touché ?
S.Y.: Violetta dans La Traviata. Mais je dois dire qu’au
fil des représentations, Iolanta est en train de prendre une place grandissante
dans mon cœur. Parce que, vous savez, tout va dépendre de la dramaturgie. Si
Iolanta me touche tant, c’est aussi grâce à l’interprétation de Dmitri. Sa
lecture m’a complètement saisie et jetée dans l’eau. Iolanta est extrêmement
touchante par sa foi en l’amour et son courage. Sa soif de découvrir le monde
est déchirante. C’est une jeune fille qui est séquestrée dans
une cage, disons-le clairement. Son père essaie de compenser son handicap en
essayant de créer un environnement parfait autour d’elle, de l’entourer de
personnes qui l’aiment. Mais ces gens ne l’aiment pas vraiment parce qu’ils
sont là pour la servir et sont payés par son père pour le faire. A travers
Vaudémont elle découvre le vrai amour, et cela lui donne la force de découvrir
la vérité du monde même si l’inconnu la terrifie. Moi, à sa place je ferais la
même chose. Je pense que l’amour seul a le pouvoir de nous changer la vie. Il
peut nous ouvrir les yeux, nous rendre vivants, il peut aussi nous tuer. Les
sentiments sont des armes hyperpuissantes, jouer avec est dangereux mais c'est
en même temps un tel plaisir. C’est explorer ce spectre des sentiments que peut
provoquer l’amour qui m’intéresse dans mon métier.
Propos recueillis par Milena Mc Closkey
https://www.operadeparis.fr/magazine/iolanta-prend-une-place-grandissante-dans-mon-coeur
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