Par Claire Devarrieux
L'université de Yale, qui
détient un fonds Beauvoir important, a acquis cette correspondance riche de 112
lettres.
Claude Lanzmann, Simone de
Beauvoir et Jean-Paul Sartre le 4 mars 1967. Photo AFP
Claude Lanzmann avait reçu
112 lettres de Simone de Beauvoir, «exceptionnelle correspondance d’amour
unique au monde», juge-t-il, s’attirant l’ironie des réseaux sociaux. Il vient
de les vendre à l’université de Yale, où est déjà conservé un fonds important
de manuscrits de l’auteur de la Force de l’âge. Le metteur en scène de Shoah,
le directeur des Temps modernes, revue dont il prit la direction après la
disparition de Beauvoir, qui avait suivi celle de Sartre, a eu 92 ans en
novembre, et il a le sentiment qu’il est «trop tard» pour bien des choses.
«Trop tard serait désormais le leitmotiv de ma vie, écrit-il dans un communiqué
rendu public par Christie’s. Il serait trop tard pour à peu près tous les
problèmes ou questions dont je pensais qu’ils se régleraient de soi, auxquels
je ne prêtais pas une attention particulière. Alors surgirent, au premier plan
de mes soucis et angoisses, les Lettres, les 112 Lettres que j’avais reçues de
Simone de Beauvoir depuis 1953, date à laquelle elle m’avait écrit pour la
première fois, à partir d’un petit hôtel d’Amsterdam.»
Claude Lanzmann a 27 ans,
et Simone de Beauvoir, 44, quand ils deviennent amants, en juillet 1952.
Régénérescence pour l’une, tornade pour l’autre. Il est la seule personne avec
laquelle elle cohabitera de manière conjugale. Leur liaison dure sept ans, mais
ils resteront très proches et complices jusqu’à la mort du «Castor» en 1986.
Cela n’affecte en rien les relations de Beauvoir avec Sartre. C’est d’ailleurs
un des plus beaux chapitres des mémoires de Lanzmann, le Lièvre de Patagonie
(Gallimard, 2009), quand il raconte les us et coutumes du trio amical,
l’infatigable bavarde qu’était Beauvoir, relatant à l’un et à l’autre de ses
compagnons le moindre détail de ses pensées et de son emploi du temps.
Beauvoir était également
une inlassable épistolière, et une grande amoureuse. On a eu la chance, ces
dernières années, de lire ses lettres à Jean-Paul Sartre, à Nelson Algren, à
Jacques-Laurent Bost. Lira-t-on ce qu’elle a écrit à Lanzmann? L’intéressé,
toujours dans le même communiqué, indique: «Je n’avais pas oublié ces missives
d’amour fou, quelquefois très longues, qui me bouleversaient. Mais il
s’agissait d’une correspondance radicalement privée et je ne pensais ni à la
faire connaître, ni à une quelconque forme de publication. Elles ne regardaient
que Simone de Beauvoir et moi.» La suite du communiqué concerne la loi
française, que Lanzmann juge «scandaleuse», et qui stipule que le contenu d’une
correspondance appartient à celui qui écrit, et non au destinataire. En clair:
dans le cas de Simone de Beauvoir, c’est à son ayant droit, sa fille adoptive,
Sylvie Le Bon de Beauvoir, qu’il appartient d’autoriser une éventuelle publication.
En revanche, la lettre elle-même appartient à celui qui la reçoit.
«Il ne faut en rien songer
à les faire publier, poursuit Claude Lanzmann, même si un éditeur courageux se
montre prêt à enfreindre cette loi inique. Il demeure pourtant pour le
destinataire de ces lettres une ultime possibilité : même si elles ne seront
jamais publiées par lui, elles continuent pourtant à appartenir physiquement à
celui qui les a reçues. Les lettres lui appartiennent comme un matériau brut.
Il a le droit de les céder en espérant que l’acquéreur puisse, sinon les
publier, du moins les conserver et permettre leur accès aux historiens et aux
chercheurs. C’est ce qui vient heureusement de se passer pour les 112 lettres
que m’avait adressées Simone de Beauvoir.»
2018 est une année
Beauvoir, mais on ne pensait pas parler d’elle dès le mois de janvier. Il sera
beaucoup question de ses Mémoires au mois de mai, car paraîtront alors deux
volumes de ses œuvres autobiographiques dans la Pléiade.
http://next.liberation.fr/livres/2018/01/19/claude-lanzmann-vend-les-lettres-de-simone-de-beauvoir_1623759
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