Unique au monde, la
pépinière d’artistes de la vénérable maison lyrique ne forme pas seulement les
Roberto Alagna et les Sabine Devieilhe de demain: modiste, costumier,
charpentier ou chef de chant, tous les métiers de l’opéra y sont représentés
afin de transmettre les nombreux savoir-faire essentiels à cet art total.
Munie d’un petit
crochet et penchée au-dessus d’une fine résille presque transparente, Camille
implante, l’un après l’autre, les longs cheveux noirs qui viennent grossir la
perruque que la soprano Anja Harteros arborera dans La Force du destin. Le
geste aussi précis qu’un chirurgien, cette jolie rousse aux faux airs d’Émilie
Dequenne atteint parfois, grâce à la concentration requise par la minutie de sa
tâche, un état proche de l’hypnose!
L’académicienne
Camille Laurent écoute attentivement les indications de Clothilde Loosveldt
pour implanter les cheveux de la perruque sur laquelle elle travaille. Courtesy
of Christel Jeanne
"J’ai découvert
ce métier par l’intermédiaire du patinage artistique, que je pratique depuis
que je suis enfant, puis grâce à un stage à l’Opéra de Strasbourg pendant mon
année de 3e", confie la perruquière, qui a intégré l’Académie de l’Opéra
de Paris en septembre dernier, après une première étape au sein de l’atelier de
perruque-maquillage de l’Opéra national du Rhin. "Ici, je peux me
spécialiser en coiffure historique afin de travailler plus tard dans l’univers
du théâtre, du cinéma, ou même –un vieux rêve– de la comédie musicale."
L’Académie de
l’Opéra de Paris forme une quarantaine de jeunes artistes et artisans
À l’instar de
Camille, les "académiciens" en formation dans les murs de Bastille
sont une quarantaine. Autrefois atelier lyrique à seule destination des
chanteurs, l’Académie de l’Opéra de Paris, réinventée depuis 2015 par sa
directrice Myriam Mazouzi, propose désormais toutes les apprentissages corrélés
à la conception d’une production lyrique.
"Nous sommes
partis de nos difficultés à recruter des artisans d’excellence spécialistes de
nos métiers, explique la grande ordonnatrice de ce centre de formation à
domicile. En formant ensemble artistes et artisans, au sein de promotions d’une
quarantaine de jeunes venus du monde entier, nous créons un esprit de troupe
qui les sensibilise aux enjeux de leurs futures conditions de travail."
C’est bien une
atmosphère de jeune compagnie lyrique qui règne dans la salle de répétition
cachée dans les entrailles de Bastille. La cheffe d’orchestre Elizabeth Askren
y anime durant trois jours une master class destinée aux "pianistes chefs
de chant", les artistes qui accompagnent la majorité des répétitions
d’opéra à travers le monde, seules les couturières et autres générales ayant
lieu avec l’orchestre.
Elizabeth Askren,
cheffe d’orchestre, intervient pour une master class de trois jours auprès des
étudiants pianistes-chefs de chant, auxquels elle enseigne les rudiments de la
direction d’orchestre. Courtesy of Christel Jeanne
Ce métier à part,
qui nécessite une connaissance parfaite de toutes les grandes partitions
lyriques et une attention particulière aux chanteurs et aux voix, sert souvent
de tremplin aux futurs chefs d’orchestre.
Aujourd’hui, trois
étudiants, Alessandro, Benjamin et Rémi, s’essaient donc à diriger leurs
condisciples Timothée et Liubov, respectivement baryton et soprano, dans le duo
de Papageno et Papagena extrait de La Flûte enchantée. "OK, merci, dit la
professeure en interrompant Benjamin après quelques mesures. Je suis intéressée
par ta musicalité, j’aime ton énergie, mais il faut que ton geste soit confortable
pour eux."
Pulsation, mimiques,
attitude corporelle: tout est passé en revue. "La conception du leadership
a évolué, analyse cette New-Yorkaise qui
partage sa vie entre Dallas, Paris et la Roumanie. Aujourd’hui, un maestro
passe beaucoup moins en force. Il faut apprendre à être disponible pour les
musiciens tout en insufflant une identité à sa direction."
"Une expérience
merveilleuse", se réjouit l’apprentie mezzo Jeanne Ireland
Quelques étages plus
haut, c’est une pianiste chef de chant au nom prédestiné, Margaret Singer, qui
fait bénéficier l’apprentie mezzo Jeanne Ireland de son expertise pour une séance
de coaching d’une heure.
Carreras, Domingo,
Leontyne Price: Margaret a travaillé avec les plus grands. Aussi Jeanne
l’écoute attentivement décomposer une phrase de l’air Il m’en souvient, issu de
Béatrice et Bénédict, de Berlioz, afin d’incarner au mieux cette musique à la
diction si exigeante pour une Américaine. "C’est la première fois qu’elle
ouvre la porte de ses sentiments. Essaie d’improviser plus, car son coeur à
elle improvise."
Séance de coaching
vocal entre Margaret Singer et Jeanne Ireland. Courtesy of Christel Jeanne
Après des études de
musique à Chicago puis en Floride, la jeune native du Colorado, sélectionnée
presque par hasard par l’académie, se retrouve aujourd’hui embauchée dans
certaines productions de la maison. "Le premier opéra que j’ai vu ici,
c’était Don Carlo avec Jonas Kaufmann et Elina Garanca, se souvient-elle avec
des étoiles dans les yeux. Être associée à des chanteurs de ce niveau,
apprendre à trouver ma voix tout en développant ma technique, c’est une
expérience merveilleuse."
"Toutes les
corrections d’élocution, de rythme et de justesse sont nécessaires, confirme
Margaret Singer. Mais le plus important pour un chanteur, c’est d’être fidèle à
un rôle sans trahir sa propre personnalité vocale."
Costumières et
modistes de l'Opéra rivalisent avec les petites mains de la haute couture
Tout comme Jeanne,
de nombreux académiciens-chanteurs ont la possibilité de fouler les planches de
Bastille ou de Garnier pour leurs premières prises de rôle. Ce sont alors leurs
collègues costumières ou modistes qui confectionneront, selon les desiderata du
metteur en scène, robe à panier ou tenue moderne, escoffion médiéval ou cagoule
de résille.
Préparés aux
techniques les plus subtiles grâce au mécénat de la Fondation
Bettencourt-Schueller, les artisans, derniers en France à maîtriser par exemple
le savoir-faire du tulle, rivalisent avec les petites mains aux doigts d’or employées
par la haute couture.
"À part
quelques formes simples que nous faisons fabriquer en série par une maison
italienne, tout est fait sur place et sur mesure", explique Laure
Cuvillier, tutrice tellement passionnée par la transmission qu’elle a créé un
CAP mode et chapellerie à Nogent-sur-Marne. Tambourin, groom, polichinelle et
autres képis ou hauts-de-forme tuyau de poêle prennent corps sur de belles
marottes en bois, dont certaines sont rétractables pour ne pas abîmer les
feutres.
Pour une nouvelle
production en costumes d’époque, neuf mois de travail sont nécessaires. Aussi
Laure réfléchit-elle déjà à Manon, de Massenet, programmée pour janvier 2020.
"Je ne peux rien révéler, juste que les modistes vont se régaler!",
confie avec gourmandise cette fan absolue de la reine Élisabeth II, qui a
commencé sa carrière dans les "chapeaux de ville".
Et tout en préparant
les saisons présente et future, les ateliers et leurs apprentis de haut vol
conçoivent aussi les productions maison de l’Académie, telle cette
effervescente Chauve-Souris donnée fin avril à Bobigny et bientôt en tournée* à
Amiens et Grenoble. Une opérette toute trouvée pour apprendre à voler de ses
propres ailes.
* La Chauve-Souris,
de Johann Strauss, les 15 et 17 mai 2019 à la maison de la culture d’Amiens,
les 22 et 24 mai 2019 à la MC2 de Grenoble.
Par Pauline Sommelet,
http://www.pointdevue.fr/culture/lacademie-de-lopera-de-paris-la-pepiniere-de_9525.html?xtor=EPR-1-[]-[20190513]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20190513
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