lunes, 13 de mayo de 2019

L’ACADÉMIE DE L'OPÉRA DE PARIS, LA PÉPINIÈRE DE TALENTS



Unique au monde, la pépinière d’artistes de la vénérable maison lyrique ne forme pas seulement les Roberto Alagna et les Sabine Devieilhe de demain: modiste, costumier, charpentier ou chef de chant, tous les métiers de l’opéra y sont représentés afin de transmettre les nombreux savoir-faire essentiels à cet art total.
Munie d’un petit crochet et penchée au-dessus d’une fine résille presque transparente, Camille implante, l’un après l’autre, les longs cheveux noirs qui viennent grossir la perruque que la soprano Anja Harteros arborera dans La Force du destin. Le geste aussi précis qu’un chirurgien, cette jolie rousse aux faux airs d’Émilie Dequenne atteint parfois, grâce à la concentration requise par la minutie de sa tâche, un état proche de l’hypnose!


L’académicienne Camille Laurent écoute attentivement les indications de Clothilde Loosveldt pour implanter les cheveux de la perruque sur laquelle elle travaille. Courtesy of Christel Jeanne

"J’ai découvert ce métier par l’intermédiaire du patinage artistique, que je pratique depuis que je suis enfant, puis grâce à un stage à l’Opéra de Strasbourg pendant mon année de 3e", confie la perruquière, qui a intégré l’Académie de l’Opéra de Paris en septembre dernier, après une première étape au sein de l’atelier de perruque-maquillage de l’Opéra national du Rhin. "Ici, je peux me spécialiser en coiffure historique afin de travailler plus tard dans l’univers du théâtre, du cinéma, ou même –un vieux rêve– de la comédie musicale."
L’Académie de l’Opéra de Paris forme une quarantaine de jeunes artistes et artisans
À l’instar de Camille, les "académiciens" en formation dans les murs de Bastille sont une quarantaine. Autrefois atelier lyrique à seule destination des chanteurs, l’Académie de l’Opéra de Paris, réinventée depuis 2015 par sa directrice Myriam Mazouzi, propose désormais toutes les apprentissages corrélés à la conception d’une production lyrique.
"Nous sommes partis de nos difficultés à recruter des artisans d’excellence spécialistes de nos métiers, explique la grande ordonnatrice de ce centre de formation à domicile. En formant ensemble artistes et artisans, au sein de promotions d’une quarantaine de jeunes venus du monde entier, nous créons un esprit de troupe qui les sensibilise aux enjeux de leurs futures conditions de travail."
C’est bien une atmosphère de jeune compagnie lyrique qui règne dans la salle de répétition cachée dans les entrailles de Bastille. La cheffe d’orchestre Elizabeth Askren y anime durant trois jours une master class destinée aux "pianistes chefs de chant", les artistes qui accompagnent la majorité des répétitions d’opéra à travers le monde, seules les couturières et autres générales ayant lieu avec l’orchestre.


Elizabeth Askren, cheffe d’orchestre, intervient pour une master class de trois jours auprès des étudiants pianistes-chefs de chant, auxquels elle enseigne les rudiments de la direction d’orchestre. Courtesy of Christel Jeanne

Ce métier à part, qui nécessite une connaissance parfaite de toutes les grandes partitions lyriques et une attention particulière aux chanteurs et aux voix, sert souvent de tremplin aux futurs chefs d’orchestre.

Aujourd’hui, trois étudiants, Alessandro, Benjamin et Rémi, s’essaient donc à diriger leurs condisciples Timothée et Liubov, respectivement baryton et soprano, dans le duo de Papageno et Papagena extrait de La Flûte enchantée. "OK, merci, dit la professeure en interrompant Benjamin après quelques mesures. Je suis intéressée par ta musicalité, j’aime ton énergie, mais il faut que ton geste soit confortable pour eux."
Pulsation, mimiques, attitude corporelle: tout est passé en revue. "La conception du leadership a évolué, analyse cette  New-Yorkaise qui partage sa vie entre Dallas, Paris et la Roumanie. Aujourd’hui, un maestro passe beaucoup moins en force. Il faut apprendre à être disponible pour les musiciens tout en insufflant une identité à sa direction."
"Une expérience merveilleuse", se réjouit l’apprentie mezzo Jeanne Ireland
Quelques étages plus haut, c’est une pianiste chef de chant au nom prédestiné, Margaret Singer, qui fait bénéficier l’apprentie mezzo Jeanne Ireland de son expertise pour une séance de coaching d’une heure.
Carreras, Domingo, Leontyne Price: Margaret a travaillé avec les plus grands. Aussi Jeanne l’écoute attentivement décomposer une phrase de l’air Il m’en souvient, issu de Béatrice et Bénédict, de Berlioz, afin d’incarner au mieux cette musique à la diction si exigeante pour une Américaine. "C’est la première fois qu’elle ouvre la porte de ses sentiments. Essaie d’improviser plus, car son coeur à elle improvise."


Séance de coaching vocal entre Margaret Singer et Jeanne Ireland. Courtesy of Christel Jeanne

Après des études de musique à Chicago puis en Floride, la jeune native du Colorado, sélectionnée presque par hasard par l’académie, se retrouve aujourd’hui embauchée dans certaines productions de la maison. "Le premier opéra que j’ai vu ici, c’était Don Carlo avec Jonas Kaufmann et Elina Garanca, se souvient-elle avec des étoiles dans les yeux. Être associée à des chanteurs de ce niveau, apprendre à trouver ma voix tout en développant ma technique, c’est une expérience merveilleuse."
"Toutes les corrections d’élocution, de rythme et de justesse sont nécessaires, confirme Margaret Singer. Mais le plus important pour un chanteur, c’est d’être fidèle à un rôle sans trahir sa propre personnalité vocale."
Costumières et modistes de l'Opéra rivalisent avec les petites mains de la haute couture
Tout comme Jeanne, de nombreux académiciens-chanteurs ont la possibilité de fouler les planches de Bastille ou de Garnier pour leurs premières prises de rôle. Ce sont alors leurs collègues costumières ou modistes qui confectionneront, selon les desiderata du metteur en scène, robe à panier ou tenue moderne, escoffion médiéval ou cagoule de résille.
Préparés aux techniques les plus subtiles grâce au mécénat de la Fondation Bettencourt-Schueller, les artisans, derniers en France à maîtriser par exemple le savoir-faire du tulle, rivalisent avec les petites mains aux doigts d’or employées par la haute couture.
"À part quelques formes simples que nous faisons fabriquer en série par une maison italienne, tout est fait sur place et sur mesure", explique Laure Cuvillier, tutrice tellement passionnée par la transmission qu’elle a créé un CAP mode et chapellerie à Nogent-sur-Marne. Tambourin, groom, polichinelle et autres képis ou hauts-de-forme tuyau de poêle prennent corps sur de belles marottes en bois, dont certaines sont rétractables pour ne pas abîmer les feutres.
Pour une nouvelle production en costumes d’époque, neuf mois de travail sont nécessaires. Aussi Laure réfléchit-elle déjà à Manon, de Massenet, programmée pour janvier 2020. "Je ne peux rien révéler, juste que les modistes vont se régaler!", confie avec gourmandise cette fan absolue de la reine Élisabeth II, qui a commencé sa carrière dans les "chapeaux de ville".
Et tout en préparant les saisons présente et future, les ateliers et leurs apprentis de haut vol conçoivent aussi les productions maison de l’Académie, telle cette effervescente Chauve-Souris donnée fin avril à Bobigny et bientôt en tournée* à Amiens et Grenoble. Une opérette toute trouvée pour apprendre à voler de ses propres ailes.
* La Chauve-Souris, de Johann Strauss, les 15 et 17 mai 2019 à la maison de la culture d’Amiens, les 22 et 24 mai 2019 à la MC2 de Grenoble.

Par Pauline Sommelet,

http://www.pointdevue.fr/culture/lacademie-de-lopera-de-paris-la-pepiniere-de_9525.html?xtor=EPR-1-[]-[20190513]&utm_source=nlpdv&utm_medium=email&utm_campaign=20190513

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